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Rwanda : une commission d'enquête pour mieux masquer la vérité

C'est seulement quatre ans après les faits que les autorités françaises, contraintes de s'expliquer sur leur rôle dans le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, ont formé une commission d'enquête parlementaire. Commission bien docile. On a pu voir cités, comme témoins censés faire la lumière sur les agissements de la France au Rwanda, ceux-là mêmes qui la gouvernaient à l'époque : Léotard, Balladur, Juppé et Roussin, anciens ministres de la droite de cohabitation, puis Jean-Christophe Mitterrand, chef de la “ cellule africaine de l'Elysée ” de 86 à 92, qui sont venus réciter leur version des faits lors d'une “ audition ” le 21 avril. Balladur avait pris les devants, demandant à être entendu d'urgence et publiquement. On allait en apprendre... Mais ce fut pour nier, en bloc, toutes les accusations : non, la France n'a pas envoyé d'armes au Rwanda. Du moins, pas officiellement. Et la commission, polie, s'est contentée d'un “ je n'ai rien à ajouter à ce que chacun suppute ou suppose ”. Ou encore “ je n'étais pas censé tout connaître ”. Après Balladur, les autres faux témoins se sont succédés pour répéter à peu près la même chose, et, la main sur le cœur, évoquer ces courageux soldats français de l'opération “Turquoise”, puisque la France à les entendre n'aurait eu pour but que d'aider à la fin du génocide.

Chacun d'eux sait pourtant exactement ce qui s'est passé.

A partir du premier octobre 90, les soldats d'élite de l'armée française appuient le régime du président rwandais Habyarimana, attaqué par les Forces du Front patriotique rwandais. Ce sont deux officiers français qui commandent les opérations militaires. L'assistance militaire de la France passe de 7 à 55 millions de francs.

Parallèlement, ce sont des officiers français qui forment et instruisent les milices gouvernementales qui se livreront aux massacres. L'attentat contre le président rwandais le 9 avril 1994 déclenche le génocide des Tutsi et des opposants hutu par la dictature, le troisième du siècle par l'ampleur des massacres ; le nombre de morts est estimé à près d'un million. Des officiers parachutistes ont été vus en compagnie des miliciens, qui les saluaient de leur machette sanglante aux cris de : “ Vive la France ” !

Lorsque l'Etat français déclenche l'opération soi-disant humanitaire “ Turquoise ”, c'est pour protéger la fuite des dignitaires et des soldats rwandais gouvernementaux, en déroute devant la victoire des rebelles tutsi.

Trois semaines après le déclenchement des tueries, de hauts responsables du génocide comme Jérôme Bicamumpaka sont accueillis, à Paris, par Balladur et Juppé.

En fait ce sont tous ces hommes au pouvoir à l'époque qui ont couvert et organisé le massacre du Rwanda. Pour “ servir la France ”, comme ils disent, c'est-à-dire les intérêts des trusts et des capitalistes français en Afrique Noire : “ le Rwanda était considéré comme la Suisse de l'Afrique ” explique aujourd'hui Védrine.

Et même lorsqu'un coin du voile est levé comme lors de l'audition, le 28 avril, de Michel Cuingnet, chef de la mission de coopération française à Kigali de 92 à 94, c'est pour mieux masquer la vérité. “ Si Habyarimana n'avait pas été tué, dit ce haut fonctionnaire, il y aurait quand même eu de gigantesques massacres, car tout était prêt pour que le pouvoir reste à l'Akazu(sa clique), dont on a évacué les responsables par avion ”.. Nous avons suivi “ cette campagne idéologique... mise en oeuvre de façon systématique, avec la publication des ” Dix commandements des Hutu “ véritable charte de la haine raciale ”. Quant aux forces armées françaises prétendument évacuées, “ je suis désolé. En octobre 93, j'ai vu des positions de mitrailleuses tenues par des militaires français contrôlant les routes ”. Oui, mais il cache l'essentiel, c'est que l'armée française est directement impliquée dans le génocide lui-même.

Et lorsque Kambanda, l'ex-premier ministre du Rwanda, décidant de passer aux aveux, visiblement après des tractations avec l'ONU pour échapper à un procès, s'accuse lui-même d'être responsable du génocide, c'est pour mieux dégager la responsabilité directe de ses patrons, les dirigeants de l'Etat français.

Le Danemark paralysé par la grève

Depuis lundi 27 avril, le Danemark vit au rythme d’une quasi grève générale. Ce sont environ 500 000 salariés (sur 5 millions d’habitants) qui ont cessé le travail, dans les différentes branches concernées par les négociations entre patronat et syndicats cette année : ouvriers du bâtiment, routiers des compagnies privées de transport, employés de bureau, journalistes, caissières...

En effet, à la revendication d’une sixième semaine de congés payés, les négociations n’aboutissaient qu’à un seul jour supplémentaire : le 24 décembre ! Ce qui n’a pas empêché la direction de LO, la principale centrale syndicale danoise, d’appeler ses membres à voter oui à ce petit cadeau patronal. A sa grande surprise, c’est l’inverse qui s’est produit, l’obligeant à organiser la grève pour ne pas se faire dépasser par sa base.

En colère et déterminés, les travailleurs veulent se battre pour que toutes leurs revendications soient satisfaites, à savoir la sixième semaine de vacances, mais aussi la réduction du temps de travail, la récupération des heures supplémentaires et l’augmentation du salaire des apprentis.

La grève finit par paralyser l'ensemble du pays, entre autre du fait du manque d’essence (les transports urbains publics, la poste et certaines écoles ne peuvent plus fonctionner – le carburant est réservé aux ambulances et aux pompiers). Malgré les difficultés que cela engendre, auxquelles s’ajoute la pénurie de certains aliments, plus de 70 % de la population, d’après la presse danoise, soutient les salariés en lutte.

La situation de la population danoise s’est dégradée ces dernières années. Actuellement, 10 % de la population possède 81 % des richesses, le partage le plus inégalitaire depuis les années 30. Le chômage avoisine les 9 ou 10 %, et les privatisations se multiplient, ce qui aggrave les conditions de travail. La compression constante des dépenses publiques se traduit par une détérioration des services publics – crèches, aides aux personnes âgées, hôpitaux (où les listes d’attente s’allongent), etc.

Le gouvernement social-démocrate, en place depuis cinq ans, a géré dans la continuité des précédents. Ainsi, l’impôt sur la fortune a été supprimé, ce qui a rapporté environ 670 millions de francs aux riches, tandis que l’allocation chômage était réduite. Prétendant lutter contre le chômage des moins de 25 ans, le gouvernement a inventé des contrats obligatoires de 6 mois, payés en-dessous du salaire minimum, sans indemnités maladie ni congés, et sans aucune garantie d’embauche à la clé.

Dans ce contexte, la centrale syndicale LO est empressée à négocier dans le secret avec le patronat, et veut surtout éviter que le conflit se généralise. Mis à part les salariés de la compagnie aérienne suédoise SAS, qui se sont mis en grève le 4 mai en solidarité avec les travailleurs danois, la grève ne s’est pour l’instant pas étendue à l'ensemble des travailleurs. N’offrant pas d’autre perspective que le résultat des nouvelles négociations, LO a ainsi laissé l’initiative à DA, l’organisation patronale. Celle-ci a organisé un lock-out à partir du 5 mai, renvoyant chez eux 60. 000 salariés... et a rompu le secret des négociations en publiant ses propositions : toujours un jour de vacances supplémentaire, et un deuxième jour pour les salariés ayant des enfants, proposition que LO a rejetée.

Face à ce conflit, le gouvernement social-démocrate de Rasmussen n’est pas encore directement intervenu. Il a vraisemblablement le souvenir de la grève de 1985 qui s’était généralisée après que le gouvernement s’en était mêlé. Il s’est contenté de demander qu’un médiateur intervienne dans les négociations. En revanche, il n’a pas attendu longtemps pour envoyer ses flics défaire plusieurs piquets de grève.

Un accord conclu sur le dos des pauvres de Nouvelle-Calédonie

Jospin s’est rendu en Nouvelle-Calédonie pour inaugurer le centre culturel Jean-Marie Tjibaou et pour apposer sa signature à l’accord sur l’avenir de l’archipel, conclu le 21 avril à Nouméa. Le premier ministre veut se donner le beau rôle, comme son homologue Rocard l’avait fait dix ans plus tôt lorsqu’il avait signé les accords Matignon. Ces derniers prévoyaient un référendum pour 98 et laissaient planer un vague espoir d’indépendance pour cette année. Nous y sommes... et le nouvel accord maintient la domination coloniale malgré le transfert de pouvoir de l’Etat français vers le territoire calédonien. Et dans quinze ou vingt ans, en 2013 au plus tôt, les Calédoniens pourront se prononcer par référendum sur la “ pleine souveraineté ” de l’île, le mot indépendance ne figurant pas dans l’accord.

Le gouvernement français veut concilier d’un côté le RPCR de Lafleur, représentant les intérêts de la bourgeoisie blanche “ caldoche ” et de l’autre côté le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste), principale force indépendantiste. Il n’a trouvé que de la bonne volonté de la part des représentants de ces deux partis, les uns et les autres jouant le jeu de la réconciliation sur le dos de la population pauvre canaque qu’ils craignent par dessus tout. Ils se rappellent tous sans doute avec un frisson de peur la révolte canaque des années 80 qui avait contraint l’Etat colonial français à négocier. Les bourgeois de l’île, qui n’ont rien perdu de leur morgue coloniale, préfèrent faire quelques concessions pour sauver leurs privilèges, d’autant plus facilement que l’accord conclu préserve leurs intérêts. Ils conservent en effet le contrôle de la province du Sud et de la capitale Nouméa où se concentrent toutes les richesses.

Quant aux nationalistes du FLNKS ces propositions du gouvernement français arrivent à point pour redorer leur blason et enterrer autour du temple dédié à Tjibaou et à “ l’identité canaque retrouvée ” tous les mauvais souvenirs. Le 4 mai jour d’arrivée de Jospin était aussi la date anniversaire où en 89 deux des principaux dirigeants du FLNKS, Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné avaient été tués par un tenant de l’indépendance immédiate. Aujourd’hui l’opération comporte aussi des risques. Ils devront convaincre à nouveau leur base militante, surtout celle issue des couches les plus pauvres de la population canaque que le référendum sur l’autodétermination ne pourra se tenir qu’en 2013 ou 2018 ! Entreprise difficile car cela peut apparaître comme une reculade aux yeux de tous ceux dont la situation quotidienne ne cesse de se dégrader, pour qui l’idée d’indépendance fournit l’espoir d’une vie meilleure, et qui n’ont pas oublié les crimes du colonialisme français (notamment le massacre de la grotte d’Ouvéa ). Par contre l’accord convient bien aux dirigeants du FLNKS, formés dans les écoles françaises, bien dans la peau de notables gestionnaires et qui n’en sont pas à leur premier compromis avec l’Etat colonial.

Jusqu’à présent il y avait un point sur lequel butaient les négociations entre le FLNKS et l’Etat français c’était la question du nickel. L’archipel détient les plus importantes richesses de nickel au monde, cinquante millions de tonnes. Celles-ci étaient exclusivement la propriété de la SNL(Société Le Nickel), filiale de Eramet, groupe dont l’Etat français est actionnaire majoritaire, aux côtés de Elf Aquitaine. Les dirigeants indépendantistes du FLNKS remettaient en cause cette mainmise exclusive de l’impérialisme français sur les réserves de nickel et réclamaient depuis avril 96 la cession par la SLN de deux gisements situés au nord du territoire à une société minière (la SMSP), contrôlée par le FLNKS. C’est chose faite aujourd’hui. Les notables du FLNKS, qui dirigent la province du nord où la population canaque est majoritaire, vont pouvoir construire une usine de retraitement du nickel dans cette partie de l’île jusqu’alors restée sous-industrialisée.

Les dirigeants du FLNKS, on le voit, ne sont pas les porte paroles des couches pauvres de la population canaque. Ils se servent d’elles comme masse de manœuvre pour arracher à l’impérialisme français quelques miettes du gâteau, favorisant les intérêts d’une bourgeoisie indigène. Ils pourront se retrouver à la tête d’une Kanaky peut-être indépendante mais où les pauvres canaques, tahitiens, wallisiens ou futuniens ne trouveront ni la liberté, ni la fin de leur misère et serviront de main-d’œuvre dans les mines ou les champs des bourgeois caldoches ou canaques. Les problèmes de la jeunesse des villes, des habitants des bidonvilles condamnés au chômage ou des tribus des campagnes les plus pauvres, à l’agriculture vivrière en déclin, ne seront pas résolus par cet accord conclu au sommet et sur leur dos.