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Ralston : une combativité qui se fait sentir

Depuis trois mois, les salariés de Ralston, premier groupe mondial de la pile, sont mobilisés contre le plan de 334 licenciements.

En début de semaine dernière, une délégation s’est rendue à Bruxelles pour rencontrer l’adjoint du commissaire européen chargé des questions industrielles. L’adjoint en question a mis tout de suite les choses au point : le commissaire européen, qui se présente comme un " libéral éclairé ", n’a pas vocation à intervenir dans les affaires internes d’un Etat, encore moins dans celles d’un patron. L’Union Européenne est à la botte des patrons, nous le savions déjà, en voilà une preuve on ne peut plus claire !

De retour à Caudebec nous avons préparé la journée du 5 juin à l’occasion de la venue de Jospin, ainsi que notre réunion publique du 6. Ce vendredi 5, Jospin est d’abord venu au collège du Mont Vallot, à Elbeuf, collège classé en " Zone d’Education Prioritaire ". Il y avait une quinzaine de travailleurs de chez Ralston, des chômeurs de l’Association des Demandeurs d’Emploi de l’Agglomération Elbeuvienne (ADEBE), des sans-papiers soutenus par le collectif antiraciste d’Elbeuf ainsi qu’une délégation d’enseignants en grève. Nous étions attendus, non pas par le Premier ministre, mais par... ses flics ! Et ce n’est pas non plus le Premier ministre qui nous a reçus, mais un sous-fifre. Nous avons présenté nos revendications, et à chaque fois chacun reprenait à son compte les revendications des autres, que ce soit l’interdiction des licenciements, des papiers pour tous, l’augmentation des minima sociaux ou de meilleures conditions de travail dans les établissements scolaires difficiles.

L’après-midi nous sommes allés à une bonne cinquantaine manifester au Parc Expo de Rouen, où se tenaient les " Assises sur les ZEP " avec Jospin. Au total, un millier de personnes, Ralston, enseignants, sans-papiers, chômeurs... Il y avait aussi beaucoup de syndicalistes, des militants d’extrême-gauche et du PCF. Nous nous sommes joints à l’ensemble des manifestants, déplaçant les barrières dans un coin, faisant un sit-in dans un autre, renversant les grilles ailleurs, bref donnant un peu d’activité aux CRS. Nous avons même eu droit à la visite incongrue des chasseurs, puis aux lacrymogènes et autres jets d’eau. Nous sommes ensuite repartis, après cette vraie journée " d’action ".

A notre réunion publique à Saint Aubin lès Elbeuf, le 6 juin, il y avait plus de 300 personnes. Un petit film a été projeté, qui relatait les divers épisodes de notre lutte : péage gratuit de Louviers, manifestation du Premier mai, intervention au 24 heures motonautiques de Rouen, intervention à l’assemblée consulaire du patronat elbeuvien... Puis le responsable CFDT a raconté l’histoire de l’entreprise, une histoire faite de rachats, de fermetures de site... et de gros profits pour les actionnaires. Puis une camarade, porte-parole du Comité d’organisation de la lutte contre les licenciements, a fait le bilan des actions, de l’organisation au quotidien, des contacts pris, en particulier avec les salariés menacés de licenciement dans la région, comme avec des salariés de Varta, en Allemagne.

Enfin un camarade de la CGT a rappelé les quatre revendications des travailleurs de Ralston : interdiction des licenciements à Ralston comme ailleurs, ouverture des livres de comptes de l’entreprise et de ses dirigeants, arrêts des subventions publiques aux entreprises privées, réquisition des entreprises qui licencient, à commencer par Ralston.

La parole a ensuite été donnée à la salle. Il y a eu une vingtaine d’interventions dynamiques reflétant le soutien militant de camarades qui, dans leur entreprise, se tiennent informés de ce qui se passe à Ralston et essaient d’entraîner leurs collègues dans les actions des Ralston. Une syndicaliste enseignante a annoncé que les revendications des Ralston circulaient sous forme de pétitions dans toutes les écoles d’Elbeuf. Des chômeurs ont affirmé leur soutien. Une camarade de Grande Paroisse a raconté la mort d’un collègue cette semaine, victime des conditions de travail qu’impose le patron...

De la tribune a été proposée la constitution d’un Comité d’Organisation de la lutte contre le chômage sur toute l’agglomération afin d’élargir la lutte des Ralston.

Ce meeting a été perçu comme un tremplin pour la manifestation du 13 juin, ainsi que pour toutes les actions qui suivront dès la semaine prochaine.

 

Dentressangle (33) : non aux licenciements

Pour la deuxième fois en à peine 6 mois, la direction veut nous imposer de nouvelles suppressions d’emplois en prétextant une baisse d’activité. Il s’agirait de 23 suppressions d’emploi sur les 4 dépôts de la région.

Ce plan est inacceptable car nous savons tous que pour Dentressangle, une des 3 premières entreprises de transport et logistique en France qui exploite 6500 salariés, les affaires vont bien : 80 millions de bénéfices l’an dernier, un chiffre d’affaires en augmentation de 30 % qui devrait atteindre 4 milliards de francs cette année, les actions augmentant, elles, de 41,9 % depuis janvier pour atteindre une valeur totale de 2,36 milliards de francs. Ses affaires vont si bien que Dentressangle a pu se permettre de racheter deux entreprises concurrentes UTL et Confluent.

Alors la baisse d’activité n’est qu’un prétexte pour nous jeter à la rue. Déjà, lors du premier plan social, après 5 licenciements économiques, le patron avait fait appel à des intérimaires, leur imposant même des heures supplémentaires. Non, aucun argument ne peut justifier un seul licenciement et puisque Dentressangle accumule les bénéfices, le seul plan social acceptable c’est l’embauche.

Pour faire passer son mauvais coup, la direction essaie de nous intimider, en nous convoquant un par un pour remettre en cause la qualité de notre travail, en ayant le culot d’essayer de nous culpabiliser pour la baisse d’activité, essayant aussi de nous diviser entre travailleurs des différents sites.

Mercredi matin, avec l’aide des militans CGT d’UTL et de l’UL de Saint-Médard, nous avons diffusé dans les trois dépôts un tract dénonçant les licenciements. La réaction ne s’est pas fait attendre : les délégués au CE, qui avaient voté les licenciements et s’étaient bien gardés de s’en vanter, ont convoqué précipitamment des réunions dans les deux dépôts de Blanquefort. Ils se sont fait prendre à partie par tous ceux d’entre nous qui sont décidés à faire obstacle à ces licenciements.

Pour cela, nous avons décidé de créer une section syndicale CGT, de nous organiser pour faire reculer le patron. Cela l’inquiète et pour nous dissuader de faire grève, il fait dire par une partie de l’encadrement que cela entraînerait le double de licenciements et que c’est nous qui en serions responsables !

Mais rien ne dit que le chantage du patron sera efficace, et une partie d’entre nous est bien convaincue que la seule solution efficace pour empêcher les licenciements, c’est de nous organiser et de lutter.

 

Accident grave à l’usine Grande-Paroisse de Grand-Quevilly (76)

Le 2 juin, dès le début des travaux de maintenance de l’anhydre 5, atelier de fabrication d’acide sulfurique de Grande-Paroisse (filiale d’Elf Atochem), trois ouvriers de l’entreprise Ortec dont deux intérimaires ont été brûlés par de l’acide sulfurique en démontant une vanne. L’un d’entre eux a été envoyé à Paris dans un service de grands brûlés, le deuxième est resté quelques jours en observation au CHU de Rouen, le troisième a pu regagner son domicile le jour même.

Pour l’instant beaucoup de points obscurs restent à élucider mais la responsabilité de la direction est en cause ainsi que celle de l’entreprise extérieure : lors de la réunion du CHSCT qui s’est tenue après l’accident, aucun dirigeant de G.P. n’a été capable d’expliquer pourquoi on avait démonté cette vanne. A cette même réunion, des représentants de l’entreprise Ortec ont déclaré qu’ils avaient justement prévu une formation renforcée à la sécurité pour les intérimaires l’après-midi même de l’accident. Cela ne l’a pas empêchée de laisser les deux ouvriers intérimaires intervenir le matin sans aucun équipement de protection. Quant à la direction de G.P., elle se décharge sur l’entreprise de sous-traitance alors qu’elle est pleinement responsable des conditions de travail qu’elle impose aux travailleurs, particulièrement à ceux des entreprises sous-traitantes qui connaissent moins bien les travaux et le matériel et qui sont contraints d’accepter n’importe quel travail. C’est elle qui choisit délibérément de mettre des ouvriers inexpérimentés à des types de travaux aussi dangereux que l’intervention sur des conduites d’acide. Le communiqué publié par la direction de G. P. montre à quel point elle s’en lave les mains : il relate l’accident sans émettre le moindre regret pour les blessés et elle se félicite que l’environnement n’ait pas été touché par cet accident. Ce qui la préoccupe, ce n’est pas la santé des travailleurs mais c’est de ne pas avoir à s’expliquer vis-à-vis d’organismes extérieurs comme la DRIRE (Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de l’Environnement). Et puis, les cotisations à la CRAM sont proportionnelles au nombre de jours d’arrêt de travail imputable au personnel de G.P. Par contre les accidents qui arrivent à du personnel d’entreprises extérieures n’entrent pas dans ce calcul, alors quelle importance !

 

" Révélations " : les pensées profondes d’un patron de choc

Suite à la grève de fin mars début avril dernier à l’usine Aérazur à Caudebec les Elbeuf (76), le directeur général du groupe a rédigé une note interne que la presse a révélée au grand jour. La peur des grévistes lui fait perdre toute nuance. Ainsi il écrit : " La région de Rouen est actuellement l’endroit d’où partent presque tous les conflits nationaux : SNCF, transporteurs routiers, conducteurs de bus, etc. (heureusement qu’elle ne produit pas de choux fleurs). La CGT y est fortement implantée, il s’agit d’une véritable mafia qui occupe le terrain dans toutes les grandes entreprises (en particulier Renault-Cléon) et les administrations. " " Il existe dans cette région une très vieille tradition ouvriériste et syndicale. Le grand-père était cégétiste et a participé au Front Populaire, le père était cégétiste et a fait grève en Mai 68, les luttes syndicales font partie de la culture. Il n’y a donc aucune raison pour que les enfants deviennent soudainement anti-cégétistes, au mieux ils sont neutres. " " Il n’est pas question de compromis, quel qu’en soit l’enjeu, ces gens-là considèrent encore que la lutte des classes est l’objectif numéro un, que les entreprises sont des ennemis qui doivent être attaqués par tous les moyens […] Ce sont des irresponsables. En conséquence, on ne peut parler avec eux qu’en terme de rapport de force. "

En conséquence, ce patron de combat a pris quelques décisions : en cas de nouveau conflit, il faudra " pouvoir empêcher la CGT de se servir de l’électricité, du téléphone et des chariots élévateurs (qui leur permettent de bloquer les issues), trouver un moyen pour filmer tout le conflit et ainsi avoir des preuves permettant de poursuivre les responsables en justice ; augmenter le nombre de portes pour rendre le blocage plus difficile ; préparer un plan de communication par différents moyens ; et organiser un plan d’intervention avec une quinzaine de personnes bien décidées à contrer la CGT. "

La grève d’Aérazur et le mouvement des travailleurs de Ralston fait s’exprimer la rage de classe de ce patron de choc. C’est bon signe. Cela montre bien que les travailleurs en lutte représentent une menace pour le patronat et ce ne sont pas ces déclarations va-t-en guerre qui vont effrayer ceux-ci.

 

A la poste, les 35 heures pour continuer les attaques contre les travailleurs

La direction de la Poste se prépare à appliquer la loi Aubry sur les 35 heures. En mars, elle a envoyé aux organisations syndicales un document resté très confidentiel, comme le résultat des rencontres avec les syndicats qui ont eu lieu de février à avril. De mai à octobre, la direction a prévu " l’analyse de la situation économique " de la Poste et " l’évaluation des impacts du projet ", comment, autrement dit, déceler les postes à supprimer, les bureaux à fermer, les tournées à rallonger, partout où elle estime que c’est encore possible. D’octobre à décembre, il faudra négocier et préparer l’application. Enfin, elle envisage le " déploiement du projet " pour 1999.

Peu de salariés de la Poste connaissent encore ce document, dans lequel la direction a le cynisme d’évoquer " de nouvelles modalités d’aménagement du temps de travail […] dans un esprit d’équité à l’égard de tous les personnels, en prenant en compte leurs attentes quant à leurs conditions de travail et à leur équilibre de vie ". Mais ce que tout le monde connaît, c’est la politique de la Poste qui, depuis des années, attaque les travailleurs tous azimuts.

Entre 1992 et 1997, ce sont 22 000 postes de titulaires qui ont été supprimés. Pour 1998, 3 400 suppressions supplémentaires sont prévues. Ce qui n’empêche pas la Poste de se vanter d’embaucher… des emplois – jeunes qui apparaissent clairement comme un moyen de plus de casser les statuts de la Fonction Publique. Et aujourd’hui sur environ 300 000 salariés, il y a 61 000 contractuels dont seulement 7 % sont à temps complet. En Aquitaine, 6 000 travailleurs sur 14 000 ont un statut précaire.

Des syndicats comme la CGT jouent le jeu des 35 h et font des plannings. Ils calculent par exemple qu’en ramenant la semaine de travail du facteur, qui est de 6 journées de 6,5 h, à 5 journées de 7 h, et en créant un volant de remplaçants pour assurer les tournées sur le 6ème jour qui deviendrait un congé tournant, il serait possible d’embaucher.

Mais les calculs de la direction sont à l’opposé. A Bordeaux par exemple, elle envisage de décharger les facteurs du tri général qui serait effectué par une nouvelle machine. Le temps gagné (environ 45 minutes chaque jour) permettrait de continuer à assurer les tournées sans avoir à embaucher.

A Montbéliard, choisi par la Poste comme site expérimental pour l’application des 35 heures, la direction, loin de prévoir d’embaucher comme le désirent tous les travailleurs, s’est voulu rassurante en déclarant que " l’effectif sera maintenu ", ce qui a déclenché une grève le 18 mai dernier.

Personne n’est dupe, ni des paroles, ni des intentions, car la Poste ne manque pas de moyens pour embaucher. Elle flambe aujourd’hui des millions en publicité pour financer le Mondial. Elle aurait voulu racheter 20 % du capital du Crédit Foncier lors de sa privatisation. Et si les comptes de 97 annoncent seulement 58 millions de bénéfices, c’est que plus de 500 millions ont été mis de côté à titre de provisions, sans parler des 765 millions qui ont été perdus en 1993 et 1994 dans des opérations financières ratées.

La logique de la direction de la Poste, c’est de gérer comme n’importe quel capitaliste qui attaque les travailleurs, supprime des milliers d’emplois et a recours aux contrats précaires pour alimenter ses investissements et la course aux profits financiers. Elle va essayer d’appliquer la loi sur les 35 heures, comme tous les patrons, pour faire encore plus d’économies sur le dos des salariés qui verraient leurs conditions de travail et de vie s’aggraver.

A l’opposé, de nombreux travailleurs sont conscients que seules les luttes pourront imposer les embauches. Et ces luttes commencent à renaître, pour l’instant coupées les unes des autres, sans réels liens pour connaître ce que font les camarades des différents centres et bureaux et pour profiter des expériences des uns et des autres. Mais ce n’est pas la volonté de se battre qui manque.