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Pour que le " mouvement social " se fasse entendre politiquement

La perspective des européennes agite beaucoup les dirigeants du Parti communiste qui sentent se refermer sur eux le piège que le Parti socialiste, tout sourire, leur tend. En effet, les modifications du mode de scrutin aboutiraient à une élection proportionnelle encore plus tronquée, puisqu’il faudrait plus de 10 % des voix pour avoir des élus. Il est bien difficile pour le PCF de se résigner à envisager de se mettre sur les listes du PS, mais il lui est tout aussi difficile d’envisager seul, coincé entre le PS et l’extrême-gauche, d’avoir des élus.

C’est ce qui avait conduit Robert Hue à tendre la main il y a peu à l’extrême-gauche et aujourd’hui à s’intéresser à ce qu’il appelle " le mouvement social ", c’est-à-dire aux militants d’associations, de syndicats, qui ne sont pas membres du PCF et qui ont joué ou jouent un rôle déterminant dans les mouvements comme le mouvement des chômeurs ou celui des sans-papiers.

Robert Hue est d’autant plus inquiet qu’il risque d’avoir à affronter non seulement la concurrence de l’extrême-gauche (Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire et tous ceux qui les soutiendront) mais aussi les opposants au sein du Parti communiste comme Coordination Communiste ou la Gauche Communiste qui ont fait de la lutte contre Maastricht leur principal cheval de bataille, face aux reculades de la direction du PC devant le PS.

Alors, Robert Hue voudrait bien trouver des alliés et il voudrait bien que ces alliés soient aussi des alliés du gouvernement tout en s’y opposant… Comme il le déclarait il y a peu, " s’il y a une gauche de la gauche, nous voulons qu’elle soit dans le gouvernement de la France ". Robert Hue voudrait bien… l’impossible, tellement il est soucieux de jouer le rôle que le PS lui a dévolu. " Vous transformez une radicalité en un débouché, vous évitez son dérapage dans la violence et ce n’est pas rien ", déclarait le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, samedi dernier, à l’occasion de la commémoration ratée qu’organisait le PCF autour du 150ème anniversaire du " Manifeste communiste ". Il est difficile de faire ce sale boulot, de tenter de canaliser le mécontentement social pour le compte du gouvernement et de trouver des amis dans " le mouvement social ".

D’ailleurs, ce mot dérange Robert Hue qui préfère parler de " mouvement populaire ". C’est vrai que c’est plus électoral et que ça dérangerait moins le PS, mais Robert Hue risque de se retrouver bien seul.

Ce n’est pas nous qui le regretterons. Le mouvement social qui reprend des forces, cette " gauche rouge ", telle que l’a désignée récemment le " Nouvel Observateur ", est amenée à se donner les moyens de s’exprimer politiquement, sous peine de se condamner à être récupérée par les appareils de la gauche ou ceux qui voudraient la soutenir. Ce serait bien sûr une impasse et surtout une façon de tourner le dos aux intérêts des travailleurs comme à toutes les victimes de cette société. Cette expression politique du mouvement social se tournera inévitablement vers les idées du socialisme et du communisme auxquelles il redonnera toute leur vigueur révolutionnaire. Pour aider à cette évolution, pour l’amplifier, l’extrême-gauche a un rôle irremplaçable. Elle le jouera en gardant toute son indépendance vis-à-vis du Parti communiste, tout en étant pleinement solidaire, malgré leur confusion ou leurs calculs, de tous ceux qui, en son sein, militent pour que leur parti renoue avec les idées du marxisme révolutionnaire du moins telles qu’ils se les représentent en fonction de leur passé. Elle le jouera en entretenant des rapports de camaraderie et de solidarité avec tous ceux qui renouent avec les idées de la lutte de classes. C’est avec eux, au coude à coude, que nous pourrons redonner à ces idées toute leur richesse et leur force.

 

Austerlitz : les contrôleurs font grève, sans illusion, mais avec l’envie d’en découdre

A la suite du mouvement de grève d’avril-mai 97, la direction avait nommé un responsable pour aborder les problèmes de cette filière. Après avoir pris quelques mesures répondant très partiellement aux revendications, celui-ci avait fait traîner les discussions avec les organisations syndicales, en leur faisant comprendre que sa tâche était de rentabiliser l’activité des contrôleurs à effectifs constants : redéploiement, coûts, flexibilité, rentabilité… Pour enfoncer le clou, la direction avait fait effectuer un devis préconisant la suppression de certaines primes et allocations, la fermeture de certaines prises de service et la dénonciation d’avantages acquis qualifiés d’anormaux. Dans les établissements, après une pause due aux quelques concessions de la direction, mais aussi à l’attitude peu mobilisatrice des directions syndicales, le sentiment de se faire berner s’est exprimé de plus en plus clairement. Dans ce contexte, pour éviter que les contrôleurs ne décident eux-mêmes de réagir comme ils l’avaient fait l’année passée, les directions syndicales prirent les devants en appelant à une journée de grève de 24 heures pour le vendredi 4 juin, d’autant plus que les contrôleurs, en même temps que les autres cheminots, avaient montré leur forte détermination en étant à la pointe de la grève, le 13 mai, avec une participation de plus de 70 %.

Sur l’établissement de Paris-Austerlitz, les syndicats CGT et FO ont repris l’appel, en déposant un préavis de grève reconductible, avec convocation d’une AG, comme c’est de tradition. Mais celle-ci fut boycottée par les cheminots. 5 présents, tous délégués, avaient reçu et retransmirent les propos suivants : " Cette grève ne servira à rien, la direction se fout de nous, et ce n’est pas avec 24 heures de grève que nous la ferons reculer. " Certains travailleurs précisant : " Si les syndicats veulent vraiment se battre, c’est tous ensemble et à partir du 10 juin, mais les syndicats ne veulent pas car ils soutiennent le gouvernement. "

Même si chacun pensait que le nombre de grévistes serait très limité, il fut décidé d’appeler à une AG. Le matin du 4 juin, 42 contrôleurs se réunissent, ce qui est peu (nous sommes en général entre 50 et 80), mais surprend quand même d’autant que le taux des grévistes est de 32 % en début de journée et 37 % à la fin, moins que le 13 mai, mais rien de ridicule.

En fait l’inquiétude est grande. A la situation générale (manque de personnel, salaires, conditions de travail) s’ajoutent les menaces sur l’emploi, car les trains des grandes lignes au départ de Paris-Austerlitz sont de moins en moins nombreux. Ce sont les contrôleurs de ce secteur qui sont les plus mobilisés. Ceux qui travaillent en banlieue se sentent moins concernés et comptent moins de grévistes.

 

Echos du bulletin commun LCR et VDT, "Front des Travailleurs" de GEC Alsthom (Petit-Quevilly)

ET PUIS QUOI ENCORE !

Pendant des mois on s’est battu contre la casse de l’usine Alsthom du Havre, et pour ne pas être déplacés à celle de Petit-Quevilly. On nous a obligés à venir, mais nous avions contraint les patrons responsables de tous ces déplacements à nous payer le car. Alors aujourd’hui, ce ne sont pas les dirigeants locaux de Petit-Quevilly qui vont nous impressionner et ne pas nous payer ce qui nous est dû.

ON NE VA PAS SE LAISSER ROULER

L’échéance de la suppression du car du Havre au 1er janvier 99 a provoqué la colère du personnel. Car c’est la direction qui nous a obligés à venir du Havre, qu’elle paye !

Il y avait eu une pétition signée très massivement demandant le paiement et la gestion du transport par la direction. Elle a été portée à la direction au C.E. du 29 mai. Celle-ci a dit qu’elle ne paierait pas et a mis en place le jour même la commission… qui a démissionné le lundi d’après devant son refus et son mépris.

L’attitude de la direction n’a fait que mettre de l’huile sur le feu entraînant un débrayage en fin de semaine dernière. Et lundi matin, le comité de direction a été envahi. La direction, sommée de répondre a renouvelé son refus au milieu des ateliers à U1, devant tout le personnel. La bagarre ne fait que commencer. Nous ne lâcherons pas la direction jusqu’à ce qu’elle cède.

 

Crise des institutions ? Une crise qui ouvre de nouvelles possibilités pour le camp du monde du travail

Logique du régime présidentiel oblige, le réseau des affaires se concentre autour de l’Elysée. Le système de protection juridique du président de la République sautera-t-il ? Personne ne peut le dire, mais les effets politiques sont évidents. Chirac est en faillite, sans majorité et donc sans pouvoir réel. Censé assurer la stabilité politique sous la Vème République, il en est au contraire devenu aujourd’hui le point faible. Les institutions de la Vème République, le régime présidentiel, sont en crise, au moment où la bourgeoisie aurait besoin d’un pouvoir fort pour mener son offensive contre le monde du travail. Née d’une crise politique, la Vème République aboutit à une nouvelle crise du système parlementaire. La machine à duper le peuple est grippée.

Quand De Gaulle profita de la crise algérienne pour établir un régime présidentiel

Quand il arriva au pouvoir à la suite du coup d’état militaire du 13 mai 1958 à Alger, De Gaulle établit une nouvelle Constitution qui dotait le Président de la République de pouvoirs étendus. Elu au suffrage universel, il nommait le Premier Ministre, formait avec lui le gouvernement et présidait toutes ses réunions de travail. L’exécutif devenait plus indépendant de l’Assemblée et des jeux politiciens.

De Gaulle, homme providentiel pour la bourgeoisie, ayant imposé la fin de la guerre d’Algérie à son propre Etat dominé par les généraux réactionnaires dont il avait la confiance, populaire également dans une fraction du monde du travail, parce qu’il avait été fait chef de la Résistance par le PC pendant la guerre, mit fin, avec la Constitution de la Vème République, à l’instabilité gouvernementale, plaie de la IVème République. Avec un mode de scrutin intégrant une part de proportionnelle, une foule de petits partis faisait et défaisait les gouvernements, pour y marchander leur place, tandis que la forte représentation parlementaire du PC, tenu à l’écart de toute combinaison gouvernementale, rendait fragile toute majorité. En instituant le scrutin uninominal à deux tours, De Gaulle réduisit des deux tiers la représentation du PC et imposait aux politiciens la recherche d’alliances stables pour accéder aux postes et aux sinécures. Le président de la République élu au suffrage universel s’imposait aux partis politiques.

Tant que De Gaulle resta au pouvoir, la droite fut relativement unie, dans un parti gaulliste, UNR puis UDR, car la popularité de De Gaulle était telle qu’il n’y avait pas de moyen plus sûr pour être élu que d’être un de ses " godillots ". Après De Gaulle, les vieilles divisions réapparurent à droite, tandis que l’apparition de l’Union de la Gauche créait les conditions de l’alternance.

Mitterrand s’empare du PS, réduit l’influence du PC, et tente d’institutionnaliser l’alternance

Aux élections présidentielles de 1965, le PC, pouvant sortir de l’isolement grâce à la fin de la guerre froide, appela à voter dès le premier tour pour Mitterrand, ainsi intronisé homme de gauche. En 71, au Congrès d’Epinay, Mitterrand mettait la main sur le Parti socialiste, et lançait l’Union de la Gauche, se faisant fort d’y réduire l’influence du PC. Il y réussit mieux que De Gaulle, le PC passant de 20 % à 15 % en 81, puis 10 % et moins les années suivantes. Ainsi capable de prendre des ministres communistes dans son gouvernement, en 1981, pour imposer au monde du travail les mesures anti-ouvrières exigées par la bourgeoisie, Mitterrand gardait une stature de Président assez crédible. Et de fait, il était bien un homme providentiel pour les politiciens du Parti socialiste et les dirigeants du Parti communiste auxquels il avait rendu à nouveau possible l’accès au gouvernement. Cela lui permit de garder une majorité assez solide, bien que la droite soit revenue au pouvoir de 86 à 88 et de 93 à 95, inaugurant ainsi les premières périodes de cohabitation de la Vème République.

Le régime présidentiel miné par l’alternance

Avec cette alternance des clans de politiciens au pouvoir, leur lutte acharnée pour les places, se sont multipliées les " affaires ", qui discréditent l’ensemble du personnel politique de la bourgeoisie. Incapable de garder une majorité pendant les sept ans de son mandat, le Président de la République est obligé de cohabiter avec l’opposition, ce qui gêne ses alliés politiques pour apparaître comme une alternative au gouvernement en place.

En dissolvant l’assemblée l’an dernier, Chirac croyait pouvoir éviter à la droite la défaite que lui aurait value le discrédit d’un an de plus au gouvernement. Il n’a fait qu’accélérer la déroute de celle-ci, ramener au gouvernement une majorité de gauche qui le condamne à la plus longue cohabitation - 5 ans si elle va jusqu’au bout - de la Vème République. Et perdre ainsi toute majorité, une grande partie de ses alliés d’hier lui reprochant cette défaite et refusant cette cohabitation qui, en les compromettant avec le gouvernement, profite à Le Pen.

Libéré des illusions et des fausses solidarités, le monde du travail reconstitue ses forces

Si le PS se trouve aujourd’hui, du fait de la déroute de la droite, en position hégémonique, il est aussi de ce fait, parce qu’assumant seul la responsabilité de la politique anti ouvrière de la bourgeoisie en position extrêmement fragile.

Rien ne distingue au gouvernement le PS de la droite, aussi bien dans ses actes que dans ses propos qui prennent un tour de plus en plus réactionnaire. Quant au PC, il apparaît comme un simple appendice du PS, et assume l’entière responsabilité de sa politique anti-ouvrière.

Les camps véritables, les camps sociaux, apparaissent, les illusions se dissipent, les fausses solidarités jouent de moins en moins. Dans la période des années 80, cette désillusion avait entraîné une démoralisation chez beaucoup de militants de gauche, et conduit ainsi, en affaiblissent moralement et intellectuellement le camp de la classe ouvrière, au renforcement des idées réactionnaires et aux succès de l’extrême-droite.

Aujourd’hui, ces désillusions conduisent à une lucidité nouvelle, à la conscience de l’imposture, et par opposition à l’affirmation de la légitimité des droits du monde du travail. Depuis 95, et de façon plus rapide depuis le retour d’un gouvernement de gauche au pouvoir, se manifeste à travers les mouvements sociaux, comme les élections, une évolution dans la conscience des travailleurs et des militants de gauche, dans le sens de la cristallisation d’une opposition ouvrière au patronat et au gouvernement.

Tout concourt au rassemblement des forces du monde du travail renouant avec les idées de la lutte de classe, à l’émergence d’un nouveau parti des travailleurs socialistes et communistes révolutionnaires.