Kosovo : la population prise dans un étau ne peut rien attendre de bon de lOtan
Les pays de lOTAN ont intensifié cette semaine leurs pressions sur le dictateur serbe Milosevic pour le faire reculer un tant soit peu dans son intervention armée au Kosovo. Ce nest pas que le sort de la population du Kosovo inquiète outre mesure Clinton, Blair ou Chirac. Mais une guerre généralisée dans cette région attribuée à la Serbie par les grandes puissances en décembre 1912 pourrait fort bien dégénérer en un conflit encore plus vaste. Les frontières dans cette zone sont particulièrement arbitraires puisque de nombreuses personnes parlant albanais vivent dans des pays limitrophes de lAlbanie, constituant 8 % de la population du Monténégro, 30 % de celle de la Macédoine et 90 % de celle du Kosovo. Si toute cette partie des Balkans sembrasait, la guerre risquerait fort dimpliquer la Grèce et la Turquie.
Le choix actuel des grandes puissances est donc de sopposer à toute modification des frontières. Elles sont en accord total avec Milosevic pour sopposer à lindépendance du Kosovo. Cela ne rend pas la situation moins explosive pour autant. Pour dissuader Milosevic de continuer à mettre de lhuile sur le feu en lançant ses forces de répression contre des villes et villages du Kosovo, lOTAN a déclenché lundi des manoeuvres aériennes dans le ciel de lAlbanie et de la Macédoine. Cette opération baptisée fièrement " Faucon déterminé " a sans doute permis le repérage de cibles éventuelles au Kosovo mais na pas impressionné outre mesure le chef dEtat serbe.
La démonstration de force na provoqué quune maigre moisson sur le plan diplomatique. Les Etats-Unis avaient chargé Eltsine de se rendre utile dans cette crise en obtenant de Milosevic quil retire ses forces de sécurité du Kosovo.
Milosevic na évidemment pas cédé sur ce point mais il a accepté entre autres de reprendre langue avec Rugova, le dirigeant de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK). Il cherche à gagner du temps quil emploie à poursuivre la répression. Le bilan actuel fait état de 300 morts depuis février dernier et de 65 000 personnes qui ont dû fuir les combats.
Dun autre côté le rapport des forces sur le terrain au Kosovo est en train de se modifier rapidement, sur le plan politique plus que militaire, en faveur de lArmée de libération du Kosovo (UCK). De nombreux jeunes semblent rallier ses rangs. LUCK semble être perçue avec sympathie par la population des campagnes agressée par les forces serbes. Ces dernières ont de fait marqué le pas dans leurs opérations ce qui donne plus facilement la possibilité à lUCK dapparaître comme une force montante contrôlant un vaste territoire.
Il est difficile de savoir à ce stade si lUCK sefforce dêtre une formation concurrente cherchant à déborder Rugova et à ruiner sa stratégie diplomatique ou si elle ambitionne dêtre le bras armé de la LDK. Quoiquil en soit, il est clair que les dirigeants de lUCK comme de la LDK font confiance aux pays de lOTAN pour consolider leurs perspectives nationalistes, ce qui suffit à indiquer quils ne représentent pas les intérêts des classes populaires du Kosovo. Car cest aux opprimés et aux exploités de tous les Balkans que les ouvriers et paysans du Kosovo auraient intérêt à sadresser et non à Clinton et à Chirac qui ont " réglé " la question bosniaque avec le cynisme quon sait.
Le but des dirigeants impérialistes est dempêcher que le conflit du Kosovo ne soit plus contrôlable par eux. A cette condition ils ne verront aucun inconvénient à ce que Milosevic combine les palabres diplomatiques avec quelques massacres. De leur côté ils se préparent à verrouiller totalement les frontières qui séparent le Kosovo de lAlbanie et de la Macédoine. De telles mesures viseraient de toute évidence à maintenir le peuple kosovar dans un corset de fer et à empêcher la livraison darmes à lUCK. Un tel projet montre clairement que toute " solution " ficelée par les grandes puissances se réaliserait contre les masses populaires du Kosovo.
LEtat russe qui a livré léconomie au pillage des financiers russes et occidentaux, fait payer sa faillite à la population
LEtat russe, étranglé par son énorme dette de 130 milliards de dollars, dont 60, à court terme, est au bord de la cessation de paiement et de la banqueroute. Le gouvernement qui doit régulièrement emprunter pour rembourser la partie de la dette arrivant à échéance, ne trouve plus à le faire, les capitaux étrangers et russes se dégageant de la Russie.
Les groupes financiers y avaient investi massivement lan dernier 22 milliards de dollars, dont 18 sur les marchés financiers, dans les actions des entreprises privatisées, et surtout dans les obligations, ces titres émis sur leur dette par tous ceux, Etat, entreprises, régions, municipalités, qui empruntent. Les profits retirés de cette activité dusurier sont considérables, à la mesure des risques encourus, car les taux dintérêt sont très élevés pour attirer les capitaux. Mais dès que les risques paraissent trop importants, les capitaux se retirent pour se placer sur des valeurs plus sûres comme les actions des marchés occidentaux ou les obligations de lEtat américain. Les actions et obligations sont vendues, leur cours dégringole. La Bourse de Moscou a ainsi perdu 50 % de sa valeur en mai, ce qui fait plus de 60 % depuis le début de lannée, et le cours du rouble, attaqué pour les mêmes raisons - ceux qui en détiennent sen débarrassant pour du dollar - sest effondré, au point que la Banque Centrale russe a dû relever ses taux dintérêt, le loyer de largent, de 30 à 150 % pendant quelques jours.
Les capitalistes étrangers et russes doutent de la possibilité de faire autant de profits quils en ont fait ces dernières années. Ils craignent même de ne plus être remboursés ou de lêtre, si le rouble venait à être dévalué, en monnaie de singe. Ils perdent " confiance ", parce quil y a de moins en moins de richesses à piller, lEtat ayant déjà bradé à bas prix les morceaux les plus rentables de léconomie. Qui plus est, une des dernières compagnies pétrolières à privatiser, Rosneft, na pas trouvé preneur à 2,1 milliards de dollars, et le gouvernement russe la remise en vente, en baissant son prix de plus de 500 millions de dollars.
Il ne reste plus à Eltsine quà faire la manche auprès des gouvernements, des banques et des organismes financiers internationaux. Le chancelier allemand Kohl lui a apporté son soutien, Clinton a incité le FMI à débloquer une tranche dun prêt déjà accordé, et à en envisager un nouveau. Eltsine en Allemagne, Kirienko en France, sont allés vendre la promesse que les " réformes " seraient poursuivies, que lEtat baissera ses dépenses et fera mieux rentrer les impôts. Autrement dit quil pourra payer ses dettes, et que les capitalistes pourront continuer à senrichir sur le dos de la population.
Dans ses allocutions télévisées, Eltsine tape du poing sur la table contre les " riches " " mauvais payeurs " quil promet de contraindre à payer leurs impôts, ou ses ministres incapables de régler le problème des mois de salaires dus aux employés de la fonction publique ou aux mineurs. Un haut fonctionnaire des services statistiques vient même dêtre arrêté, pour avoir falsifié les comptes des entreprises afin de leur permettre déchapper à limpôt. Mais les banquiers russes qui ont assuré la réélection dEltsine en 96, qui possèdent la plupart des entreprises, qui ne payent ni leurs taxes à lEtat ni leurs salaires à leurs ouvriers, qui spéculent sur la dette et le rouble, et placent leurs profits à létranger, ne seront pas inquiétés. Le gouvernement vient de leur faire un nouveau cadeau en baissant pour les entreprises industrielles les tarifs des transports par chemins de fer, et vient dannoncer son intention de licencier 230 000 fonctionnaires lan prochain.
La comédie dEltsine contre les " voleurs " loin de tromper la population, la conforte dans sa haine du régime. Comme en Ukraine, des centaines de mineurs de Sibérie, de ceux qui avaient bloqué la ligne du Transsibérien le mois dernier, campent depuis une semaine devant le siège du gouvernement à Moscou, exigeant le paiement des salaires qui leur sont dus et la démission de Eltsine.
Des forces politiques commencent à apparaître en Indonésie
Les manifestations détudiants se poursuivent en Indonésie. Tous sont conscients que le remplacement du dictateur par son successeur Habibie, intimement lié à lancienne équipe au pouvoir, ne résoud aucun problème. La moitié de la nouvelle équipe dirigeante était déjà membre du gouvernement Suharto, et continue de défendre lancien dictateur, sa fortune, et le système économique quil avait mis en place. La classe dirigeante indonésienne sest jetée dans les bras de larmée, seule capable à ses yeux dassurer cette période de transition de " laprès Suharto " et plus quHabibie, cest larmée qui en réalité dirige le pays sous les ordres du général Wiranto qui élimine de ses rangs tous les éléments douteux cest-à-dire soupçonnés de sympathies " démocrates ".
Trente ans de dictature ont empêché toute vie démocratique dans le pays. Il ny avait aucun parti dopposition reconnu lors de la chute de Suharto, en dehors de lopposition islamiste modérée de la Muhamaddya (une ligue musulmane qui revendique 28 millions de sympathisants, dirigée par Amien Rais). En février, Suharto profitait des premières émeutes qui secouaient le pays pour éliminer des militants, leaders ouvriers ou " intellectuels démocrates ". Plusieurs dizaines dentre eux ont alors " disparu ". En 1965, le massacre de tous les militants et sympathisants du PKI (le Parti communiste indonésien) avait débouché sur ce qui, de laveu même de la CIA, fut " un des pires meurtres de masse du XXème siècle " : 500 000 personnes furent tuées en quelques mois, avec lencouragement explicite des Etats-Unis alors engagés dans leur politique " dendiguement ". (Le New York Times salua lévénement en parlant d" une coulée de lumière en Asie "... ).
Toute lopposition politique doit donc se reconstruire et, en même temps que certains des anciens militants sortent de prison, des partis politiques réapparaissent : un Parti des travailleurs indonésiens, des syndicats, et surtout plusieurs structures informelles et semi-clandestines, car les militants nont aucune confiance dans le nouveau pouvoir. Les leaders ouvriers se cachent encore dans la banlieue industrielle de Djakarta. Les libérations de prisonniers sont très sélectives. Le gouvernement a réaffirmé quil ne libérerait pas " les marxistes, les communistes, ceux qui sopposent à la Constitution et les criminels ". Par contre, le régime essaie de sappuyer sur les organisations musulmanes, quil arme et finance. Fin mai, 3000 étudiants avaient occupé le Parlement pour exiger la démission dHabibie, " marionnette de Suharto ". Cest larmée qui les en a délogés, mais elle avait fait venir de toutes les provinces plusieurs milliers de militants islamistes pro-Habibie, qui, talkie-walkie dans la poche, ne semblaient pas constituer un rassemblement improvisé. De son côté lislamiste, Amien Rais dévoile son soutien au gouvernement en se déclarant favorable, pour le Timor qui revendique son indépendance, à une période de transition de... 10 ans, et en sopposant à louverture des comptes de la famille Suharto. Lors des émeutes de mai, cest du côté dun nationalisme anti-chinois que le régime avait tenté de détourner la colère. Mais la tentative a fait long feu et dans certains quartiers de Djakarta des travailleurs aident les petits commerçants chinois à réparer les dégâts causés lors des émeutes. Les masses populaires indonésiennes semblent conscientes des manuvres de division et diversion tentées par le pouvoir.
Etant donné la violence de la crise économique qui ravage le pays, les solutions toutes faites, les dérives islamistes ou les partis " démocratiques radicaux " qui se sont dans dautres pays imposés pour encadrer le peuple lors de crises semblables, ne pourront cette fois simposer facilement. Les travailleurs attendent des réformes réelles et sans leur contrôle sur toute la vie économique et sur les richesses du pays, aucune solution ne peut simposer. Dans ce contexte de crise mondiale, le FMI naccordera aucune marge de manuvre aux équipes dirigeantes. Les étudiants de leur côté revendiquent la reprise des subventions aux produits de première nécessité et la mise sous contrôle de la fortune de Suharto. Lopposition officielle, de même que larmée, ne veut pas en entendre parler. Cest autour de ces questions que la population apprendra à juger les aspirants au pouvoir.