éditorial



Le désordre, c’est le libéralisme

La grève, l’arme des travailleurs pour défendre la collectivité

A peine rentré d'Amérique centrale où il était allé à la quête de quelques contrats auprès des dictateurs locaux pour les industriels français, tout juste finie la réunion des dictateurs africains, bons serviteurs des intérêts des financiers français, Chirac est allé faire un petit tour de campagne électorale à Rennes avant de s'occuper des droits de l'homme… Soucieux de tenir un discours inspiré, digne de sa haute fonction, l'éternel candidat, comme chacun sait, homme moderne et de progrès, a déclaré son intention de " libérer les énergies nouvelles de la démocratie ". Et comble de la modernité, il est parti en guerre contre… le droit de grève, se prononçant pour l'instauration d'un service minimum en cas de conflit dans les services publics.

Voilà qui illustre la conception de la démocratie de ces avocats des classes privilégiées, le droit pour ces dernières de dominer la vie sociale sans contrainte ni contrôle, et le mépris des travailleurs, qui doivent rester à leur place, n'ayant comme seul droit que celui de protester quand on le leur permet. La démocratie pour les riches, c'est la limitation des droits pour les travailleurs, sans parler des chômeurs, des exclus.

La droite, comme bon nombre de journalistes, mène une véritable campagne contre le droit de grève sous prétexte de défense du service public et des usagers, campagne aussi contre la grève des cheminots qui a jusqu'alors rencontré la sympathie légitime de la grande majorité des usagers.

Ils ne manquent ni de culot ni de cynisme, les Chirac et leurs émules. Comme si les travailleurs faisaient le sacrifice de la grève sans raison, comme si ceux qui prenaient les usagers en otage n'étaient pas ceux qui essaient de les dresser contre les cheminots qui, eux, assurent la bonne marche du service public, comme si la dégradation de ce service public n'était pas de la responsabilité de l'Etat et des différents gouvernements de droite ou de gauche.

Les cheminots luttent pour de l'embauche, ils luttent contre la dégradation du service public, refusent la menace de privatisation. Ils ont raison, leur lutte est celle de tous les travailleurs.

Cette lutte signifie des inconvénients parfois pénibles pour les usagers. C'est certain. Mais laisser faire la politique des gouvernements et de l'Etat au service de quelques groupes financiers, c'est laisser le chômage progresser, c'est accepter que des milliers de jeunes n'aient aucune perspective, c'est laisser les services publics se dégrader. Il n'en est pas question.

Car c'est bien la politique libérale que vante Chirac et que pratique Jospin en s'en excusant, qui est responsable du chômage, de la dégradation des services publics comme de l'ensemble des conditions de vie des salariés, qui provoque désordre et anarchie. Sauf de laisser faire, les travailleurs n'ont d'autre choix que de lutter pour l'avenir de la société, pour leur propre avenir comme celui de leurs enfants.

La campagne lancée par Chirac vise l'ensemble des travailleurs. Pour pouvoir librement agir dans le sens des intérêts des Bouygues, Elf, Thomson et autres groupes financiers, les politiciens ont besoin de nous préparer à accepter de nouvelles attaques. En faisant pression sur les cheminots comme sur l'ensemble des organisations syndicales, ils voudraient nous faire baisser la garde pour se préparer à déclencher de nouvelles attaques.

Accrochés à leurs privilèges et à leur monopole, écrit le Figaro, enthousiaste soutien de Chirac, les cheminots mènent un combat d'arrière-garde. Dans quelques années, tous les chemins de fer européens devront s'ouvrir à la concurrence, comme l'exige la logique de la construction européenne. Cette exigence, le transport aérien, le transport routier, le téléphone, l'électricité ou la télévision, la connaissent déjà. Elle va s'amplifier partout. " Voilà qui est clair et sans ambiguïté. Mais c'est bien cette politique là qui désorganise les service publics, ruine l'Etat au profit de groupes financiers, aggrave le chômage.

L'Etat voudrait brader les services publics, fruits de notre travail, auprès du privé. Il voudrait pour cela les rentabiliser au maximum. C'est une politique réellement criminelle, irresponsable au regard des intérêts de la collectivité, de l'ensemble de la population, travailleurs et usagers confondus.

Les cheminots refusent de se plier à la logique de la concurrence qui plie l'économie à la recherche de profits. C'est cette logique qu'il nous faut refuser et combattre. La véritable démocratie, le progrès, une société moderne exigent une économie qui fonctionne pour satisfaire les besoins de tous, sans abandonner des hommes et des femmes au désespoir, si ce n'est à la faim et au froid. Cette démocratie, ce progrès, cette modernité, elle n'est pas du côté des vieilles classes réactionnaires dont Chirac est un porte-parole, mais du côté des chômeurs de Marseille, des cheminots, de l'ensemble du monde du travail.

 

La grève des contrôleurs : une étape de la lutte de tous les cheminots

Mardi 8 décembre au soir, les contrôleurs en étaient pour la plupart à leur 12ème jour de grève. Tout au long de la semaine dernière, la direction de la SNCF a fait feu de tout bois pour les amener à reprendre le travail. Après avoir essayé de les isoler en présentant leur grève comme " catégorielle ", elle a prétendu répondre à leurs revendications en annonçant un renfort de 280 contrôleurs. Seulement, il s’agirait de cheminots détachés d’autres filières. Diminuer les effectifs d’une catégorie pour augmenter ceux d’une autre, diviser les cheminots et négocier avec les contrôleurs région par région, voilà le plan de la direction. Les contrôleurs se sont mis en grève pour des embauches nationales au statut. Des créations de postes. La manœuvre est grosse mais la direction compte bien que les fédérations syndicales marcheront dans ce plan.

En tout cas, bien des contrôleurs ont fait savoir qu’ils n’étaient pas d’accord du tout. A l’Assemblée Générale des grévistes de Paris-Austerlitz, la grande majorité des quatre-vingt contrôleurs a fermement repoussé l’idée de " déshabiller Pierre pour habiller Paul ". Depuis le début, les contrôleurs conçoivent et mènent leur mouvement comme une partie de la lutte de tous les cheminots pour des embauches dans toutes les filières. Et plus généralement, ils savent qu’ils se battent pour l’emploi, et pour pouvoir offrir aux usagers un meilleur service. C’est ce qu’ils ont exprimé par exemple à Rouen, dans un tract adressé aux usagers, tout en bloquant l’accès aux guichets et en facilitant aux voyageurs l’accès aux trains. Des centaines d’usagers de Rouen ont pu ainsi se dédommager de la gêne de la grève et mieux comprendre le sens de celle-ci.

Les contrôleurs ne veulent pas non plus que leur grève soit éclatée et que chacun se retrouve dans sa région à se battre séparé des autres. Les contacts se nouent à la base. A Paris, des contrôleurs de la gare de Lyon sont venus rencontrer ceux de la gare d’Austerlitz qui à leur tour se sont rendus auprès de ceux de Montparnasse. Le rassemblement du lundi 7 à Paris, bien que l’appel n’ait pas été vraiment relayé par les fédérations syndicales dans les régions, a réuni plus de 1000 contrôleurs qui ont manifesté ensemble autour de la direction générale.

La combativité des contrôleurs est d’autant plus remarquable que la direction campe sur ses positions. Elle en rajoute même. Le ministère et la direction viennent d’annoncer un budget pour 1999 qui ne prévoit aucune création de poste, malgré la prévision d’augmentation du trafic. Le rapport de forces peut sembler à beaucoup insuffisant pour imposer les centaines d’embauches qu’ils réclament. Mais les contrôleurs veulent tenir, parce que leur combat est amplement justifié et qu’il savent que c’est le seul moyen pour eux de résister à la dégradation de plus en plus insupportable de leurs conditions de travail.

L’attitude des fédérations syndicales n’a pas permis que le mouvement se transforme en mouvement d’ensemble des cheminots. Les contrôleurs se retrouvent jusqu’ici seuls à la pointe de la lutte. Mais leur lutte est suivie par tous les cheminots et leur obstination peut faire sauter bien des verrous. Un mouvement d’ensemble est une nécessité. Les contrôleurs, par leur volonté à la base, le prouvent et en même temps en posent un premier jalon.