Extrême-droite : fausses questions et vrais dangers
La scission est maintenant entérinée au Front National. Le 23 décembre, Mégret et ses principaux lieutenants ont été exclus et Gollnisch a annoncé que tous les adhérents du FN qui assisteraient au congrès du 24 janvier prochain pour la convocation duquel les mégrétistes disent avoir recueilli 15 494 signatures, soit 36 % des adhérents du FN, seraient également exclus. Dans la plupart des conseils régionaux, les élus du FN siègent en deux groupes séparés, et il y aura dans les élections européennes deux listes issues du Front national, auxquelles les sondages donnent 14 % au total, 10 % pour celle de Le Pen, et 4 % pour celle de Mégret.
Cest dire que si lextrême-droite se déchire, le danger est loin den avoir disparu, dautant plus que les mêmes sondages attribuent à une liste éventuelle Pasqua - De Villiers 9 %.
Et le pire serait de se laisser détourner des vrais problèmes par les fausses questions qui sont avancées par des commentateurs politiques, intéressés à brouiller les cartes au moment où les causes du renforcement de lextrême-droite peuvent apparaître le plus clairement. Ainsi des spéculations sur qui représente le plus grand danger de Mégret ou de Le Pen.
Car le problème nest pas celui des individus qui se trouvera le mieux à même de jouer le rôle de chef dun futur parti regroupant la droite la plus réactionnaire et l'extrême-droite susceptible de battre, et sur le plan parlementaire et sur le plan extra-parlementaire. Ce ne sont pas les candidats qui manquent, parmi les Le Pen, Mégret et leurs proches actuels, ou parmi ceux, pas très éloignés, des politiciens les plus réactionnaires de la droite traditionnelle comme les Pasqua, Madelin et autres Millon, ou bien encore ceux plus jeunes et aujourdhui inconnus qui se révéleront demain. Cette question tient en grande partie au hasard, ou du moins à des raisons qui ne sont pas déterminantes dans le combat quont à mener tous ceux qui veulent agir pour briser la menace du fascisme.
La seule question qui se pose est celle de savoir quelles circonstances sociales et politiques ont permis la naissance dune extrême-droite électoralement puissante et lesquelles peuvent demain permettre la naissance dun véritable parti fasciste, combinant lutilisation du jeu parlementaire et les alliances avec la droite, et celle de la violence physique contre les travailleurs et leurs organisations, pour arriver au pouvoir.
Il est clair que cest la politique anti-ouvrière menée par les gouvernements de gauche pour le compte de la bourgeoisie dans les années 80 qui a permis au Front national de sortir de la marginalité en profitant de la démoralisation des militants socialistes et communistes quelle a entraînée, de laffaiblissement du monde du travail, désarmé par les dirigeants du PS et du PC.
Nous sommes aujourdhui dans la même situation politique de ces partis de gauche menant au gouvernement la politique de la bourgeoisie. Avec cette circonstance plus lourde de dangers que celle-ci aura besoin de briser toute résistance du monde du travail pour lui imposer laggravation de lexploitation, du chômage et de la misère quexige le maintien de ses profits. Sont conscients de cela non seulement des dirigeants du patronat et de lextrême-droite, mais aussi bien des politiciens de droite et certains du Parti socialiste. Et tandis que les uns, tels que les Pasqua, Madelin, Mégret, Le Pen et autres, se préparent à cette situation, les dirigeants des partis de gauche, eux, semploient à tenter de paralyser le monde du travail et sa remobilisation.
La crise de la droite et de lextrême-droite, dont émergera à plus ou moins long terme un parti susceptible de devenir un parti fasciste, nous laisse un répit suffisant pour nous donner les moyens de faire face à ce danger. La première condition pour cela est que nous aidions les évolutions politiques qui sont en train de sopérer, à savoir la rupture dune fraction du monde du travail avec la politique des partis de la gauche gouvernementale qui fait le lit de lextrême-droite, et son organisation dans une force politique capable douvrir à lensemble de la population laborieuse la perspective dun combat radical contre la bourgeoisie.
La droite de la droite sagite vers lextrême-droite pour flatter les préjugés chauvins contre lEurope
La droite nen finit pas de sagiter pour essayer de se ressaisir, de se donner comme limpression dun moment de répit dans son implosion-éclatement révélé par la dissolution du printemps 97, provoqué par la pression de la cohabitation et du Front national et aujourdhui entretenu par la question de lEurope.
Alors que la grande majorité des politiciens de droite sont devenus de zélés convertis à leuro, Pasqua na pas abdiqué de son intention de rallier les déçus de cette droite aux convictions changeantes. En annonçant le 1er janvier son intention de conduire une liste aux élections européennes, il pose à lhomme fidèle à ses idées pour disputer au FN à deux têtes lélectorat réactionnaire comme tous ceux qui, désorientés, inquiets de lavenir, pourraient exprimer leur mécontentement contre lEurope, en particulier une fraction de lopinion populaire corrompue par la propagande chauvine du PC.
Lui aussi a cependant dû mettre de leau dans son vin de messe. Il nest pas absolument contre lEurope, mais contre " lEurope socialiste ", et ce héros prend toute sa dimension gaullienne quand il déclare " mon problème, ce nest pas la droite, mais la France ". Pour lui, le problème ce n'est ni l'euro, ni l'Europe, mais les Français !
Il chante la même chanson que son ami le petit marquis vendéen De Villiers, lui aussi prêt à faire une liste, voire à rejoindre Pasqua. Quel duo ! La seule vraie question qui les oppose est de savoir qui sera premier de liste. Cest la même question qui oppose la droite centriste du RPR " eurosceptique " reconverti en euroconvaincu et leurs " amis " de lUDF. Sans politique, ni maître, la droite nen finit pas de se diviser autour des querelles de chefs, de places et de sinécures.
Les élections européennes auront un rôle de clarification en obligeant chacun à se définir. LEurope devient la question clé autour de laquelle devra se définir chaque grand courant politique. Il ny a que trois attitudes de fond possibles : celle des fidèles serviteurs des intérêts des quelques groupes et holdings financiers qui dirigent léconomie et veulent lEurope, centre droit et centre gauche qui cohabitent autour du pouvoir ; celle des démagogues réactionnaires, dépassés et condamnés par l'histoire, qui visent à dévoyer le mécontentement populaire sur le terrain du chauvinisme ;et la réponse du mouvement ouvrier aux évolutions et progrès des techniques des moyens de communications et déchanges qui rendent caduques les vieilles frontières et Etats nationaux, la lutte pour une Europe démocratique et socialiste des peuples.
Il dépend pour une part de l'extrême-gauche que le mécontentement et l'inquiétude face à lEurope bourgeoise sexpriment sur les idées de progrès et de démocratie pour offrir une nouvelle perspective au mouvement populaire face aux deux politiques bourgeoises, celle qui prend le masque de la démocratie et du modernisme, comme celle qui invoque les valeurs rétrogrades, quelles quen soient les variantes politiciennes.
Edito des bulletins d'entreprise du 28/12/98
Leur monde : celui du fric, de lexploitation et de la réaction ; notre monde : celui de la solidarité et du progrès, celui qui prépare lavenir
Quel tapage ils nous font, tous ces gens fortunés, avec le passage à leuro ! Un grand frisson parcourt les banquiers et les hommes dEtat de onze pays européens parce quils vont peut-être réussir à avoir une monnaie commune la semaine prochaine. Pour le sprint final, ils vont faire travailler sans relâche les salariés des Bourses et des banques européennes car eux-mêmes seraient bien incapables de mettre tout cela en place sans le travail demployés mal payés.
Après tant dannées de laborieuses tractations, ils nen reviennent pas davoir réussi à se mettre daccord entre eux. Ils voudraient nous faire croire quils viennent daccomplir un grand progrès historique. Ce quils appellent " le grand saut " à leuro est en fait minable. Il a seulement pour but de leur permettre de renforcer la force de pénétration des grands groupes industriels et bancaires européens sur le marché mondial. La logique démente de leur système les y pousse sous peine dêtre absorbés par leurs concurrents.
Dans les mains de ces gens-là une monnaie est une arme dans la guerre économique quils mènent partout en se servant des travailleurs comme de la piétaille sans importance, quon licencie à son gré pour tirer le maximum de profits. Les bourgeois des onze pays de " leuroland " se sont entendus pour exploiter plus efficacement les travailleurs en Europe et dans le reste du monde.
La " séquence émotion " pour tous ces financiers, industriels et gros actionnaires aura lieu jeudi prochain avec lannonce des parités entre leuro, le dollar et les autres monnaies européennes. Il y aura un lâcher de ballons et aussitôt, ils se lanceront dans toutes sortes de spéculations au mépris des intérêts économiques et sociaux des peuples.
En France les milliardaires ne sont pas seulement radieux à cause du passage à leuro. Lannée boursière a été florissante pour eux. Les gains des actionnaires ont augmenté de 33,6 % à la Bourse de Paris. Le journal financier La Tribune titrait la semaine dernière : " La Bourse a fait un carton cette année malgré la crise ". Il aurait fallu écrire " grâce à la crise ", cest-à-dire grâce à lappauvrissement de toute une partie de la population. Cette opération a bénéficié du soutien sans faille du gouvernement Jospin qui a privatisé à tour de bras, qui a dit amen à tous les plans de licenciements, qui verse des subventions considérables au patronat sous prétexte de passage aux 35 heures et qui allège ses impôts.
Le service de ces larbins " de gauche " est vraiment impeccable. Mais le cadeau le plus royal de la gauche plurielle, celui qui na pas de prix ni en francs ni en euros, cest sa capacité à ne pas céder aux revendications des salariés, des chômeurs, des sans-papiers et des jeunes. Pour linstant face aux luttes, elle a su mentir, manuvrer, faire traîner les choses en longueur et envoyer les CRS à loccasion. Les politiciens de gauche servent avec le même zèle que ceux de droite le monde bourgeois, celui du fric, de lexploitation et du " chacun pour soi ". Ils sinclinent devant ses conformismes et ses préjugés réactionnaires.
Notre monde à nous les travailleurs, est tout autre. Cest celui de la solidarité et du progrès social. Cest le camp de tous ceux qui préparent un avenir humain pour toute la société.
Cela, nous nen avons pas toujours suffisamment conscience parce que tous les actes de dévouement et de solidarité entre nous se font " à la base ", discrètement, à linsu des médias qui, de toute façon, ne sy intéressent pas. Leur rôle en cette période des fêtes est plutôt de valoriser ce produit de remplacement à une solidarité réelle quest la religion et de pousser à une consommation effrénée de marchandises. Ils ne montrent pas la solidarité qui sexprime à légard des sans-emploi, des sans-papiers ou des sans-abris. Ils dénigrent les salariés en grève.
Nous devons faire en sorte que tous les actes de solidarité et que toutes les luttes collectives qui sont beaucoup plus nombreuses quon ne croit au sein du monde du travail se transforment en un bien commun, une expérience commune nous permettant de renforcer nos rangs.
Le monde de la finance a " retrouvé la confiance " grâce à la gauche plurielle. Ces gens-là se congratulent et communient ensemble pour célébrer les vertus de leuro et les futurs profits quils escomptent tirer sur notre dos. A nous travailleurs de reprendre confiance dans notre camp et ses idées. A nous de prendre conscience des grandes perspectives de transformation sociale quil porte en lui. Faute de quoi les politiciens dextrême-droite qui se déchirent actuellement seront un jour utilisés par le patronat pour nous écraser.
Lannée qui vient ouvre un nouveau chapitre dans la guerre de la classe des bourgeois contre nous, les travailleurs. Face à cette classe parasite et méprisable, nous devons nous donner les moyens de lemporter et de prendre en mains lavenir de la société.
Lu dans " Pour un brasier dans un désert ", recueil de poèmes de Victor Serge, qui vient d'être réédité (Ed Plein chant)
" Conscience que le présent n'est guère ; et qu'il faut tout donner, à cette heure, à l'avenir pour qu'il y ait un présent. Conscience que nul de nous n'est rien s'il n'est un homme parmi sa classe, humanité montante. Conscience que l'uvre à faire n'a point de limites, qu'elle a besoin de millions de bras et de cerveaux, qu'elle est la seule justification de nos vies. Conscience qu'un monde croule et qu'on ne peut vivre qu'en se donnant au monde qui veut naître. "
Moscou 1921