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La fuite en avant de la mise en place de l’euro

Une monnaie unique sans Etat et des Etats sans monnaie : des contradictions insolubles pour la bourgeoisie, cadre des luttes sociales et politiques à venir

Avec la création de l’euro, dans lequel sont maintenant libellées les opérations sur les marchés financiers et les transactions commerciales les plus importantes, les bourgeoisies européennes veulent faire du marché européen un véritable marché " domestique " pour leurs trusts, un terrain privilégié assez vaste pour faire face à leurs concurrents américains ou japonais. La mise en place d’une monnaie unique résout certains problèmes qu’avaient les capitalistes européens du fait de la coexistence de plusieurs monnaies nationales sur un même marché, en éliminant les coûts des opérations de change, et surtout les risques de variations brutales des monnaies alors que des masses énormes de capitaux spéculent sur leur cours. Mais la création de l’euro suscite bien plus de problèmes qu’elle n’en résout, car dans le même temps où ils se dessaisissent de leur monnaie, les Etats européens créent une monnaie sans Etat.

C’est ainsi qu’ils abandonnent leur pouvoir monétaire à la Banque Centrale européenne dont l’ " indépendance " par rapport aux gouvernements n’est que la dépendance à l’égard des marchés financiers, auxquels étaient déjà entièrement soumises les banques centrales des différents Etats européens, endettés à des niveaux considérables. Quand il prête aux Etats, le capital financier dicte ses conditions et exige des intérêts d’autant plus élevés qu’il doute de leurs capacités de remboursement. Cette " indépendance " de la Banque Centrale Européenne a les mêmes objectifs que celle des banques centrales nationales : empêcher ce que les financiers appellent la " démagogie des hommes politiques ", c’est-à-dire utiliser les manipulations monétaires comme l’inflation pour rattraper par exemple les augmentations de salaires ou de budgets qu’ils auraient été contraints de céder devant des mouvements sociaux. A cette différence près qu’avec la mise en place de l’euro, les Etats nationaux perdent absolument toute marge de manœuvre, en particulier les pays les plus pauvres qui devront passer par les conditions des pays les plus riches de la zone euro, qui déterminent le cours de la monnaie unique.

La dictature des marchés financiers s’exercera de façon encore plus brutale.

De même la dictature des trusts. Avec l’euro, et la facilité plus grande des transactions commerciales et des opérations financières qu’il permet, la concurrence s’exercera sans aucun frein, les trusts vont pouvoir concentrer leurs activités et leur implantation de la manière la plus rentable pour eux, les régions les plus pauvres seront laissées à l’abandon, des pans entiers de la population - salariés mis au chômage lors des restructurations opérées par les trusts et par suite de la banqueroute des entreprises les moins concurrentielles, petite bourgeoisie en faillite - seront brutalement plongés dans la misère.

Or, face à la crise sociale que cette logique prépare, les bourgeoisies européennes, parce que toute leur histoire est celle de leurs rivalités nationales, n’ont pas d’Etat à l’échelle du marché intérieur qu’elles veulent construire, et sont bien incapables, alors que la moindre discussion sur les budgets de l’Union européenne ou la présidence de la Banque centrale européenne donnent lieu à des batailles de chiffonniers, d’en édifier un aujourd’hui.

Un Etat européen leur serait indispensable non pas tant, comme le disent certains économistes, pour qu’il puisse compenser les inégalités régionales par des transferts budgétaires vers les zones les plus pauvres - ce que ne font pas les Etats nationaux - et adoucir les coups qu’elles distribuent aux populations, mais pour mener leur guerre contre leurs concurrents et contre les travailleurs. Il faudrait que l’oligarchie de la finance et des trusts puisse opposer à l’ensemble des populations européennes un Etat capable de faire face aux crises sociales et politiques que leur politique ne peut qu’engendrer, c’est-à-dire faire accepter coûte que coûte, par tous les moyens dont il disposerait, par la violence de la répression au besoin, la dégradation catastrophique de leurs conditions d’existence.

De la même façon qu’elles concertent à l’échelle européenne leurs attaques contre le monde du travail sur le plan économique et social, les bourgeoisies européennes ne peuvent pas ne pas chercher à opposer un front politique uni aux classes ouvrières, mais elles sont incapables de le faire d’emblée. Un Etat ne se décrète pas, il lui faut une base sociale qui se reconnaisse en lui.

Face aux peuples et au mouvement ouvrier, c'est là la faiblesse de l'Europe de la BCE. Elle affaiblit chaque Etat national sans que se mette en place un pouvoir européen reconnu par qui que ce soit, capable de faire face à une montée des luttes que dans le même temps elle aide à converger au niveau de tout le continent. Voilà pourquoi, loin d'affaiblir le mouvement ouvrier, l'Europe crée les conditions de luttes nouvelles à condition que les travailleurs soient à même de se donner des organisations décidées à mener une politique de classe fidèle à leurs intérêts.

La fuite en avant dans laquelle les bourgeoisies européennes se précipitent, avec cette monnaie unique sans Etat, ne peut qu’engendrer des crises politiques, une instabilité plus grande de leur domination, dont le monde du travail peut profiter, s’il y est suffisamment préparé, pour ouvrir une autre perspective à l’ensemble des peuples d’Europe.

Après l'agression contre l'Irak, Clinton offre un gros paquet de milliards à l'armée

Après avoir déclenché l'opération " Renard du désert " contre le peuple irakien pour faire diversion, Clinton se retrouve malgré tout sur la sellette après le vote de la Chambre des représentants poussant plus loin la procédure de destitution et permettant son procès devant le Sénat. La machination déclenchée par les républicains ultra-conservateurs commence à inquiéter les médias et les politiciens qui craignent que ce procès n'entraîne une crise politique difficile à maîtriser. Le " New York Times " a écrit après le vote de la Chambre : " La seule chose certaine, désormais, c'est l'incertitude. " tandis que le sénateur démocrate de New York Moynihan déclarait : " Nous sommes une nation indispensable et nous devons protéger la présidence en tant qu'institution stable et incontestable ". C'est le cadet des soucis des politiciens d'extrême-droite qui font pression sur leurs collègues pour que la procédure de destitution soit la plus longue possible et aille jusqu'au bout. Ils agissent bien sûr au mépris total de l'opinion publique qui reste, en dépit de toutes les révélations ou pseudo-révélations des intégristes chrétiens, largement favorable à Clinton. De son côté, le président a jeté un peu de poudre aux yeux en annonçant quelques mini-mesures sociales pour tenter de discréditer les Républicains ne s'intéressant qu'à sa vie privée. Mais de façon plus discrète, mais beaucoup plus décisive pour les intérêts de la " nation indispensable " à l'ordre mondial, il vient de proposer une rallonge de 12 milliards supplémentaires au budget de l'armée, l'augmentation la plus importante depuis le début de la guerre froide. Pour satisfaire le lobby du Pentagone et des trusts de l'armement, Clinton et le Parti démocrate ne risquent pas de se faire doubler par leurs concurrents républicains. Ils multiplient les discours sur la nécessité d'une stratégie d’" endiguement renforcé " (containment-plus). Cela en dit long sur les intentions profondes de l'Etat et des trusts américains qui, au-delà de la gué-guerre entre politiciens rivaux provoquée par le " Monicagate " se préparent à mener toutes sortes de guerres contre des peuples qui ne se soumettraient pas intégralement à leur joug.

Jean Malaquais : " Orgueil de ne jamais désavouer sa parole ; gloire de n’abdiquer jamais "

Jean Malaquais vient de mourir à l’âge de 90 ans. Juif polonais (son vrai nom est Malacki), il a fait toutes sortes de métiers dans l’Europe des années 30 (mineur de fond, débardeur...) avant d’arriver en France. Ecrivain apatride, combattant révolté de sa classe, il est envoyé à la guerre en été 39. Evadé en 1940, il réussit à embarquer en 1942 pour le Venezuela puis les Etats-Unis. Malaquais témoigne de ces années dans ses livres.

De son roman " Les Javanais " écrit en 1939 et qui raconte la vie et le combat de travailleurs sans-papiers dans une mine du sud de la France, Trotski écrivait " Comme tous les véritables optimistes, Malaquais aime l’homme pour les possibilités qui existent en lui ". Les gens aiment, haïssent, pleurent, se souviennent, grincent des dents [...] Les Javanais voient le monde d’en bas : précipités dans les bas-fonds de la société, ils sont obligés de se coucher sur le dos au fond de la mine pour abattre ou creuser la pierre au-dessus d’eux. C’est une perspective particulière [...] Les va-nu-pieds de Malaquais sont les produits d’une civilisation mûre. Ils regardent le monde avec des yeux moins étonnés, plus expérimentés. Ils n’appartiennent pas à une nation, ils sont cosmopolites ".

Envoyé à la guerre, Malaquais commence un journal : " Je voudrais avoir assez de constance, de fidélité à moi-même pour ne pas l’abandonner en cours de route, pour ne pas me dédire ". Il y témoigne pour tenir, " parce que rare ici est la bouche qui fasse entendre un mot de fraternité, un simple mot de camaraderie "... " Je n’ai jamais appris à vivre au rythme du troupeau. Il faut, à ce commerce, cœur plus sourd, regard moins critique qu’il n’est en moi. Il y faut aussi le désir de plaire et, oui, une soif d’approbation qui ne vont pas sans bassesse ". Je manque de " sagesse ", cette sagesse qui fait dire à ceux qui en ont à revendre qu’il faut savoir hurler avec les loups ". D’un de ses anciens amis, il dit : " Il semble ne pas comprendre que l’on puisse avoir le sens profond du social et ne pas béer d’admiration pour le populo. Quant à la bourgeoisie, elle qui le dégrade et l’avilit à souhait, j’en ai une aversion proche de la nausée ". Et, plus loin, " Vous ne me ferez pas applaudir les cocus par vocation. Je n’aime pas les victimes qui collaborent avec leur bourreau ".

Nous ne pouvons que nous sentir les camarades de celui qui écrivait dans ces années 40 : " Orgueil de ne jamais désavouer sa parole. Orgueil d’aller jusqu’au bout de l’engagement pris, si coûteux soit-il [...] Gloire de n’abdiquer jamais. Gloire de rester fidèle à une ligne de conduite que l’on croit juste, et ce, quelles que puissent être les retombées pour mon existence... Ne jamais, sous aucun prétexte, faire une entorse à cette chose que, faute de mieux, j’assimile à ma notion de droiture morale. Que la conscience accepte ou seulement admette la possibilité d’une telle entorse, et l’homme s’en va et la crapule s’en vient. "

Plusieurs livres de Malaquais sont disponibles : " Les Javanais ", Ed Phébus, coll Libretto (59 F) – " Journal de guerre, journal d’un métèque 1939-42 ", Ed Phébus (135 F) – " Le nommé Louis Aragon ou le patriote professionnel " (" Le prototype du patriote professionnel apatride, celui qui a atteint une espèce de grandeur dans le maniement du bénitier stalinien, est le nommé Louis Aragon, ex-dadaïste, ex-surréaliste, ex-lui-même... ") Ed Syllepse, les archipels du surréalisme (40 F).

Journées d’études pour un programme anticapitaliste placé sous le signe des Etats unis socialistes et démocratiques d’Europe

Samedi 23 janvier 1999 de 14 heures à 18 heures et dimanche 24 de 9 heures à 18 heures

69 ter rue de la Chapelle, 75 018 Paris, métro Porte de la Chapelle.

A l'initiative des camarades de la revue Carré Rouge avec la participation de la Ligue Communiste Révolutionnaire, de Voix des Travailleurs, La Commune, La Gauche Révolutionnaire et de la Gauche Communiste, sont organisées des journées de discussions et débats autour de quatre thèmes, histoire et actualité du mot d'ordre d'Etats-Unis socialistes d'Europe, la question de la démocratie, un programme de lutte et d'action économique, la jeunesse, l'école et l'emploi.

Tous ceux qui souhaitent participer à ces débats sont invités à se procurer les " bons de participation " auprès de nos camarades ou en écrivant aux " Amis de Carré Rouge ", 34 rue de Trévise, 75009 Paris (participation aux frais, 20 F minimum). Rendez-vous à tous.