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Pour introduire un débat

Nous publions l'introduction de notre projet de programme édité maintenant il y deux mois et autour duquel nous souhaitons ouvrir une discussion dans ces colonnes à partir de la semaine prochaine.

Nous éditons un projet de programme et de statuts pour un Parti Démocratique des Travailleurs Révolutionnaires (socialiste et communiste) que nous soumettons à une large discussion avec les travailleurs autour de nous, les militants d’autres tendances d’extrême-gauche ou partis, libertaires, militants d’associations, les jeunes qui, aujourd’hui, se tournent vers la lutte sociale et politique.

Notre tendance milite dans la perspective du regroupement des marxistes révolutionnaires. Ce regroupement s’inscrit dans la perspective plus large d’un nouveau parti des travailleurs, susceptible d’offrir une base politique et programmatique ainsi qu’un cadre organisationnel à tous les travailleurs qui s’émancipent des illusions réformistes et rompent toute solidarité avec la politique des partis au gouvernement ainsi qu’aux jeunes, travailleurs ou intellectuels, qui veulent s’approprier les idées du marxisme révolutionnaire.

Plus que de tenter de définir le cadre dans lequel pourraient s’unifier les différentes tendances révolutionnaires, il s’agit d’esquisser les lignes d’un parti politique des travailleurs dont la tâche est de redonner toute leur actualité aux idées du marxisme révolutionnaire, en reprenant l’essence même du bolchevisme, la lutte politique et sociale se combinant dans un même combat pour l’émancipation de la classe des travailleurs, en le repensant pour notre époque et la classe ouvrière moderne.

Il ne s’agit pas d’un programme ou d’un modèle d’organisation tout fait à appliquer par en haut mais d’aider aux évolutions et transformations en cours, de leur donner conscience d’elles–mêmes, de formuler des objectifs politiques qui découlent de ces évolutions, de les relier aux combats du passé.

Les chemins qui conduisent au regroupement des forces qui donneront naissance à ce nouveau parti d’extrême-gauche sont divers. Chacun s’efforce de trouver des réponses nouvelles à la situations nouvelle qui se crée. Chaque réponse mérite attention, respect et discussion. Chacune renforce l’autre. Nous voudrions, pour notre part, tracer une orientation générale pour l’ensemble du mouvement pour accélérer les convergences nécessaires.

Ce projet de programme et de statuts sera pour nous le texte autour duquel s’organiseront nos discussions avec les autres tendances en particulier avec les camarades de la Ligue Communiste Révolutionnaire sur les tâches et objectifs du mouvement révolutionnaire, et le texte autour duquel nous développerons notre propre travail. A notre niveau, il nous faut réaliser le double objectif d’œuvrer au regroupement des forces révolutionnaires dans le même temps qu’il faut gagner une nouvelle fraction de la classe ouvrière et de la jeunesse aux idées, principes et perspectives que nous définissons.

En rédigeant ce projet, nous définissons une perspective et c’est bien le risque de cet exercice qui anticipe sur une réalité politique, potentielle certes mais qui n’a pas encore pris conscience d’elle-même, celle du futur parti d’extrême-gauche. Une tendance, même modeste numériquement, peut être dans une situation politique qui lui permet de mieux saisir certaines évolutions. Elle peut contribuer à formuler les réponses politiques nécessaires et justes. Notre projet est marqué par nos propres limites même s’il prétend se nourrir de l’expérience de l’ensemble du mouvement révolutionnaire. Il est une ébauche qui ne pourra que s’étoffer et s’enrichir au travers des discussions, de l’élargissement de l’activité et de l’influence des idées du marxisme, des regroupements à venir pour dépasser les limites de notre seule tendance et devenir le programme riche et fécond d’un authentique parti.

De la mythologie gauchiste sur les luttes qui, … un jour, … peut-être…

Plusieurs quotidiens ont relevé les déclarations d’Arlette Laguiller à RTL sur l’unification entre LO et la LCR qui " n’est pas à l’ordre du jour. ", ce à quoi elle a ajouté que " s’il y a des luttes semblables à celles de 68 ou de 36, je crois que l’unification, non seulement serait à l’ordre du jour, mais se ferait très, très rapidement. " Des propos aussi audacieux…pour un avenir indéterminé cache en fait beaucoup de frilosité pour le présent.

La direction de Lutte Ouvrière semble par avance embarrassée par la dynamique que risque de déclencher l’accord électoral qu’elle a recherché, à juste titre, avec la LCR. C’est étonnant dans la mesure où pendant longtemps, LO a milité pour le regroupement des révolutionnaires, sans craindre aucunement la perspective de déboucher sur une presse commune et même de se retrouver dans un cadre organisationnel commun où les divergences seraient assumées, débattues et dépassées au travers de relations militantes démocratiques et fraternelles. Plutôt que de s’engager franchement dans cette direction comme devraient le faire également la LCR et tous les autres groupes révolutionnaires, LO est amené pour justifier ses réticences à reprendre une conception gauchiste des grandes luttes ouvrières, très commune à une grande partie de l’extrême gauche.

Dans cette conception un tantinet mythologique, ces luttes auraient des vertus magiques ; elles permettraient d’unir et de fusionner les diverses tendances révolutionnaires dans une même organisation, embryon du futur parti. Mais sans ces luttes, ce ne serait pas possible. Les divergences seraient trop importantes et seraient des obstacles insurmontables au regroupement. Chaque tendance serait condamnée à mener sa propre vie, avec ses contraintes et ses routines. Triste conception…

Les exemples historiques de juin 36 et de mai 68 montrent à l’inverse de ce raisonnement que ces mouvements n’ont en aucune façon provoqué, ni automatiquement ni rapidement, le regroupement des tendances révolutionnaires de l’époque. La grève de Renault en 1947 n’a pas davantage contribué à la fusion des divers groupes révolutionnaires. A chaque fois, c’est plutôt le contentieux entre eux qui s’est alourdi. Et c’est pourquoi il faut que les révolutionnaires s’unissent et débattent ensemble de leurs tâches avant que des luttes importantes ne se produisent.

On pourra nous objecter que nous vivons une période différente (ce que nous serions bien les derniers à nier) mais il n’empêche que les tâches spécifiques qui incombent aux militants révolutionnaires ne peuvent être résolues par la grande lutte d’ensemble des travailleurs, sorte de ligne d’horizon censée permettre un jour de construire le parti dont les bases ne seraient même pas jetées auparavant.

C’est une conception erronée des luttes du monde du travail. L’éditorial de LO du 28 décembre évoquait " la saine colère " des travailleurs qui finira bien par éclater, " un jour " ; et bien d’autres tendances appellent également de leur vœux ce grand événement susceptible de dénouer toutes les difficultés.

Mais le mouvement d’ensemble qui finira par unifier les révolutionnaires et par imposer des mesures d’urgence au patronat et au gouvernement relève du mythe gauchiste de la grève générale. Pour reprendre les exemples de juin 36 ou de mai 68, ces mouvements n’ont pas éclaté tout à coup, indépendamment de tout un cheminement interne, de toute une prise de conscience politique au sein de la classe ouvrière. Et il est évident que la faiblesse et l’émiettement de l’extrême gauche ne lui a pas permis de contrecarrer la trahison de ces mouvements par les syndicats et les partis de gauche.

Caresser l’espoir qu’un mouvement d’ensemble peut éclater tout à coup, faire reculer la bourgeoisie et permettre de construire le parti des travailleurs est une façon de ne pas regarder en face quelles sont les responsabilités présentes des révolutionnaires. Leur rôle n’est pas de tout faire dépendre d' une explosion sociale mais d’avoir une intervention consciente, méthodique au sein du monde du travail, sans séparer mécaniquement les tâches de préparation des luttes et celles de la construction du parti car elles sont indissociables.

Ces tâches ne peuvent être menées à bien si chaque tendance révolutionnaire reste isolée des autres et n’accepte de collaborer qu’a minima, le temps d’une campagne électorale ou d’actions de solidarité avec les sans-papiers.

Toute l’évolution politique (et notamment le discrédit du PC et des appareils syndicaux) ouvre des perspectives inédites aux révolutionnaires. Les diverses tendances révolutionnaires ne pourront pas invoquer leur faiblesse numérique ou la dureté des temps pour refuser d’aller ensemble de l’avant. Leurs convictions profondes et la pleine conscience de leur rôle et de l’activité qui en découle l’emporteront à LO, à la LCR comme dans tous les autres groupes révolutionnaires. Le conservatisme de groupe avec ses routines, ses schémas et ses querelles stériles sera balayé.

Bien des travailleurs peuvent reprendre confiance dans les capacités de leur classe si les révolutionnaires ont la volonté d’engager ouvertement et démocratiquement tous les débats nécessaires entre eux et si chaque tendance se considère dès maintenant comme une composante indispensable du futur parti, au même titre que les autres. Ceux qui ne craignent pas le débat démocratique et l’unité des révolutionnaires prépareront les luttes dans de bonnes conditions. Ils n’auront pas peur de se mettre sous le contrôle des travailleurs et d’aller jusqu’au bout des possibilités avec eux. Ils contribueront au renforcement du camp des travailleurs et à l’accomplissement de ses tâches historiques.

A cet égard, la campagne pour la liste LO-LCR à laquelle nous participerons pour notre part sans réserve sera l’occasion pour l’ensemble des militants d’extrême gauche d'unir leurs efforts dans la perspective large de la construction concrète d’un parti des travailleurs, en rupture totale avec la bourgeoisie et tous ses serviteurs de gauche.