page 4



Asie : la " reprise " pour les capitalistes occidentaux, c’est la poursuite et l’aggravation du pillage

Les dirigeants du FMI et de la Banque mondiale se sont réunis à Bangkok pour discuter " du coût humain de la crise asiatique ". Pour cacher la logique impitoyable de leur système, ils font mine d’admettre qu’ils avaient commis des erreurs d’appréciation en sous-estimant " la sévérité des revers économiques ". Et mentant sur le présent comme ils mentent sur le passé, ils veulent faire croire que les choses s’améliorent : " je crois que la situation est beaucoup plus favorable qu’avant " a déclaré le vice-président de la Banque mondiale. Ils s’empressent de vanter la " reprise économique " dans les pays asiatiques et les prétendues facultés de récupération du capitalisme international : " tel le phénix qui renaît de ses cendres, les marchés financiers avalent les défis avec une facilité déconcertante " écrit imprudemment un journaliste du  Figaro.

En fait, ce que les économistes appellent la " reprise en Asie ", c’est la reprise du pillage par les capitalistes des pays riches à une échelle encore plus large qu’avant la crise. Endettés et à court de capitaux, les Etats et les entreprises du Sud-est asiatique font de la surenchère pour attirer les capitaux internationaux. Les protections que ces Etats avaient mises en place pour limiter leur emprise, tombent les unes après les autres. Le Parlement indonésien qui avait limité en 92 la participation des capitaux étrangers aux banques indonésiennes à 49 %, vient de voter une nouvelle loi leur permettant de détenir 100 % des actions d’une banque nationale. Le gouvernement coréen multiplie les offres de vente : il a annoncé la mise en vente de 11 des 26 entreprises d’Etat, qui représentent les deux tiers de la production et des effectifs du secteur public.

Les capitalistes européens se précipitent à la curée : les financiers américains - 33,6 % des investissements internationaux en Asie - et européens -32,6 % - s’y taillent la part du lion, bien loin devant les capitalistes japonais, 5,7 %. Dans les secteurs les plus touchés par la crise, c’est la grande braderie. C’est notamment le cas en Corée du Sud où cinq des sept banques et compagnies d’assurances déclarées " non viables " par le gouvernement vont être rachetées par des financiers internationaux. Hyundai, un des plus grands conglomérats du pays, a mis en vente 11 % de ses filiales. Ce sont des trusts de taille internationale qui sont mis à l’encan : la Korea Telecoms, un des premiers groupes mondiaux du secteur, ouvre 28 % de son capital aux financiers internationaux ; la Posco, une des plus grandes entreprises sidérurgiques du monde, a déjà ouvert son capital aux financiers internationaux et l’Etat coréen s’est engagé à leur vendre dans les deux prochaines années les 20 % de participation qu’il y a gardés.

Le Japon, enlisé dans la récession et incapable de sortir de la crise bancaire, est lui aussi une proie de choix. General Electric Capital, la branche financière de la multinationale américaine, a dépensé plus de six milliards de dollars pour prendre le contrôle de plusieurs sociétés financières, dont la Japan Leasing, deuxième société japonaise de crédit-bail. Daimler-Chrysler, premier groupe automobile mondial vient d’affirmer sa " grande impatience " d’acquérir une partie du capital de Nissan, deuxième groupe japonais, asphyxié par 22 milliards de dollars de dettes.

Mais cette curée ne fait qu’aggraver les problèmes économiques de la région. Ces prises de contrôle vont se traduire par des licenciements supplémentaires dans des pays où la crise financière a provoqué un cataclysme social : en Corée entre novembre 97 et juillet 98, un travailleur sur 20 a perdu son emploi et le gouvernement a annoncé son intention de licencier 11 % des 270 000 employés de l’administration centrale. La petite bourgeoisie qui s’était développée dans les années de croissance économique et qui constituait pour les régimes en place un facteur de stabilité sociale a été laminée par la crise financière. Le chômage et la misère ont provoqué une baisse de la consommation et les politiques d’austérité menées par les gouvernements sous la pression du FMI ne font qu’aggraver la situation. La relance par la consommation intérieure semble impossible et l’augmentation des exportations se heurte à une concurrence accrue : les capitalistes européens ont entamé une campagne " contre les taxes discriminatoires " pratiquées par les chantiers navals coréens, qui ont construit le tiers du tonnage mondial actuel.

La " reprise asiatique" est un leurre, elle ne se traduit pas par une relance réelle de l’activité économique. La rapacité des financiers crée les conditions matérielles des explosions sociales dont le vice-président de la Banque mondiale avoue sa crainte : " si la situation sociale continue à empirer, elle pourrait atteindre un point à partir duquel les troubles sociaux sont susceptibles de menacer la reprise ". Les manifestations massives en Malaisie ces derniers mois, les affrontements de novembre-décembre derniers entre les étudiants indonésiens et l’armée, les luttes des travailleurs coréens contre les licenciements, les manifestations et les émeutes qui se produisent en Chine contre les millions de licenciements imposés par l’Etat, en sont peut-être les signes avant-coureurs.

" Nouveau départ " à l'ANPE : plutôt que d'éliminer le chômage, on radie les chômeurs

Le gouvernement prétend toujours faire de la lutte contre le chômage une de ses priorités. Dans le cadre de la loi de lutte contre les exclusions, Aubry a lancé le programme " nouveau départ " censé permettre un suivi plus attentif des sans-emplois, en particulier pour les chômeurs de longue durée, les RMIstes et les jeunes de moins de 25 ans. L'idée très originale de la ministre est de convoquer un à un l'ensemble des chômeurs inscrits à l'ANPE pour leur proposer des stages, des formations... mais aussi des " ateliers " pour apprendre à rédiger un CV ou soigner son apparence ! Le " nouveau départ " a déjà démarré, suite à une circulaire du 1er octobre, et doit être entériné dans le cadre du " contrat de progrès " (rien que ça !) entre ANPE et ministère le 28 janvier.

Les salariés des ANPE dénoncent, outre la surcharge de travail, la perspective de radiations massives des listes. Un syndicaliste explique ainsi : " dès qu'il y a campagne de convocation, ça les augmente mécaniquement de 10 à 15 % ". En effet, il est prévu que les chômeurs qui ne répondront pas aux convocations seront directement rayés des listes. Ce sera toujours ça de gagné sur les statistiques pour appuyer la démonstration de l'efficacité de la gauche plurielle dans sa lutte contre le chômage et l'exclusion !

Des chiffres qui accusent

Aujourd’hui, une enquête de l'INSEE évalue à près de 6 millions le nombre de personnes vivant en France sous le seuil de pauvreté. Parmi ces " exclus ", on compte environ 202 000 sans domicile fixe, un million de RMistes, et 300 000 personnes dépourvues d’assurance maladie, 1,7 millions d’emplois précaires, sans compter tous ceux qui survivent grâce aux " minimas sociaux ".

La loi contre les exclusions, dont les décrets d’application paraissent au compte goutte au journal officiel, est bien impuissante face à cette vague de détresse qui submerge un pays parmi les plus riches de la planète.