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A l’encontre de ceux qui s’alignent derrière le gouvernement et le patronat, faire de la CGT un syndicat démocratique de lutte de classe

Le 46ème congrès de la CGT qui va se tenir à Strasbourg ne devrait pas en lui-même apporter de grandes surprises. Quelques résolutions seront peut-être modifiées sur place pour faire démocratique. Mais l’orientation a déjà été décidée et annoncée par les dirigeants de la CGT. Ce que l’on appelle le " recentrage " est déjà de fait accompli. Il vise, dans la continuité de la politique de la CGT, à effacer décembre 95 pour plier le syndicat au soutien du gouvernement. Une politique qui n’est certes pas nouvelle mais qui fait un pas de plus dans le sens du reniement des principes d’un syndicalisme de classe. Et c’est à juste titre que ce pas supplémentaire provoque de l’écœurement. De l’écœurement, mais aussi des prises de conscience très importantes pour l’avenir.

Thibault qui va succéder à Viannet comme secrétaire général veut être l’artisan d’un " syndicalisme de proposition " en rupture avec le " syndicalisme de protestation ". Pour lui-même la rupture est accomplie depuis belle lurette puisqu’on se souvient qu’en décembre 1995, il avait envoyé un fax à tous les syndicats de cheminots pour les inciter à cesser la grève contre le gouvernement Juppé.

Déjà compréhensif avec un gouvernement de droite, Thibault s’aligne avec d’autant plus d’entrain sur le gouvernement Jospin que le PCF y participe. Certains militants se plaignent à juste titre qu’on leur refait " le coup de 1981 " et des années suivantes. Certains, parmi ceux qui s’étaient détournés du PC ces derniers mois à cause de son " recentrage " derrière Jospin et le PS, espéraient pouvoir militer utilement contre le patronat et les nantis dans le cadre de la CGT. Ils se trouvent confrontés au même virage à droite de la CGT et se sentent désavoués dans leurs convictions et dans leurs aspirations. Au moment où le patronat est plus offensif que jamais contre les salariés, la CGT est prête en permanence à signer des accords sur les 35 heures qu’il n’y a pas très longtemps elle aurait dénoncés vigoureusement, au moins en paroles.

C’est sur cette base d’un syndicalisme de profil bas devant le gouvernement et les patrons que Thibault a engagé le rapprochement avec Nicole Notat. Car il ne s’agit pas pour ces dirigeants d’unir les forces des syndiqués CGT et des syndiqués CFDT pour préparer les luttes, mais de jouer le jeu de négociations en tout genre avec le gouvernement et le Medef du baron Seillière, où les intérêts des travailleurs passent à la trappe.

Sous prétexte d’ouverture ou de modernisation, Thibault va au devant des désirs patronaux et gouvernementaux en se disant ouvert à la discussion sur les fonds de pension et les régimes spéciaux de retraite. C’est toute une entreprise visant à dé-savouer et à démoraliser les cégétistes combatifs qui est engagée par la direction de la CGT. Cette orientation venant d’en haut ne peut que faire pression sur les militants et les délégués CGT dans le sens de céder localement aux exigences des patrons ou de l’administration.

Dans un certain nombre de syndicats CGT, la discussion de cette orientation a été ouverte, le plus souvent à l’initiative de militants d’extrême-gauche. Ils ont développé des arguments de fond pour contrecarrer cette orientation à tous les niveaux. Ces arguments commencent à rencontrer un écho et ils permettent aux militants désorientés de comprendre ce qu’il est possible de faire au coude à coude avec les révolutionnaires pour que la CGT devienne un instrument efficace de défense des intérêts des travailleurs.

Les révolutionnaires vont de l’avant. Ils ne peuvent évidemment pas faire chorus avec ceux qui seraient nostalgiques d’une CGT dominée par les méthodes staliniennes, qui était parfois radicale en paroles pour finalement avoir d’autant plus la possibilité de dévoyer les luttes ou de les trahir " dans l’unité syndicale ". Ils ne peuvent pas davantage se contenter d’évoquer l’époque d’avant 1914 où la CGT était animée par des syndicalistes révolutionnaires. Mais ils s’efforcent de donner un contenu actuel à certains principes et à certaines idées que ces militants défendaient et qui gardent leur validité.

Thibault et ses amis veulent coincer les militants dans un faux débat entre le syndicalisme ringard " de protestation " et le syndicalisme d’avenir, " de propositions ", c’est-à-dire de collaboration de classe. Mais le problème réel est de construire un syndicalisme de lutte pour imposer le rapport de force le plus favorable possible aux travailleurs. Cela suppose que le syndicat soit totalement indépendant du gouvernement en place qui sert toujours les intérêts des capitalistes. Cela suppose qu’il fonctionne démocratiquement car c’est une condition pour que des travailleurs, en particulier des jeunes, reprennent goût à l’activité syndicale et y déploient toute leur énergie.

Les bureaucrates dans les diverses instances affichent leur bonne volonté à l’égard des revendications patronales relayées par le gouvernement. Le décalage est tel avec ce qu’observent et vivent les militants dans les entreprises que la crise dans la CGT ne fait que commencer. En fait, la voie est ouverte pour que, à la base, tous les militants et les syndiqués fidèles aux intérêts de la classe ouvrière se regroupent, tissent des liens entre eux et imposent leur propre orientation. L’enjeu à leur niveau est d’agir pour faire émerger un syndicat démocratique et combatif, totalement en prise avec les aspirations des travailleurs.

Privatisation d’Air France : le gouvernement aide à la constitution de grands groupes privés pour faire face à la concurrence

La privatisation de la compagnie Air France débutera par le pré-placement de l’offre sur les marchés du 27 janvier au 9 février. D’après les déclarations mêmes du gouvernement, il s’agit d’" une opération qui permettra à l’entreprise publique Air France de se doter des moyens financiers indispensables pour aborder une nouvelle phase de conquête et de développement ". Son PDG, Jean-Cyril Spinetta, a fixé la fin 99 pour choisir avec qui il conclurait une alliance, de Delta Airlines ou de Continental Airlines, deux compagnies américaines. La privatisation était déjà prévue pour fin 98 mais la grève des pilotes, en juin dernier, était venue perturber ce calendrier. Début janvier, en signant avec la direction un accord acceptant de marchander du salaire contre des actions, ce qui était une des causes de la dernière grève, les syndicats de pilotes ont sorti une épine du pied de la compagnie. Désormais, Spinetta peut se vanter de vouloir réaliser un plan d’économies de trois milliards de francs pour 99-2001 en faisant baisser le coût du travail de 10 % !

Le bénéfice net déclaré de la compagnie, troisième place mondiale pour le frêt, est de 1 336 millions de francs pour les six premiers mois 98-99. Ce chiffre révèle les déclarations mensongères de la direction exhortant les pilotes à mettre fin à un mouvement de grève qui, soi-disant, mettait Air France au bord de la faillite.

Désormais, Air France, avec le soutien actif du gouvernement, peut se lancer dans une opération de séduction des marchés : la Société Générale qui est chargée de mettre en place la privatisation, juge positif le prix de l’action fixée entre 80 et 93 F. De quoi attirer les actionnaires qui peuvent compter sur des taux de profits alléchants.

Jospin, prenant la parole, jeudi 21, devant des patrons, lors du forum de l’Expansion intitulé " Croissance ou récession ", a vanté le modèle américain et a pris nettement position en faveur des privatisations en déclarant notamment : " nous ne le faisons pas pour des motifs idéologiques, mais nous le consentons, lorsque cela est nécessaire, pour doter la France, dans le cadre européen, des groupes industriels que requièrent son développement économique et son rayonnement. ". Derrière les précautions de langage, le gouvernement affirme son adhésion à l’idéologie du marché et à la politique de constitution de groupes capables de conquérir de nouvelles parts de marché face à la concurrence acharnée à l’échelle internationale. Et dans cette lutte, il n’y a qu’un moyen pour être parmi les meilleurs, c’est de faire baisser le coût du travail et d’aggraver la situation des salariés.

La privatisation, pour le moment partielle, d’Air France est une leçon de choses de la politique du gouvernement Jospin. La concurrence sert à rentabiliser mais le gouvernement voudrait faire croire que la privatisation sert aussi à transformer les salariés en actionnaires. Il se vante du fait qu’ils détiendront entre 17 et 20 % du capital en bons de souscriptions d’actions, la participation de l’Etat devant rester aux alentours des 53 % et qu’ainsi, la compagnie occupera la première place en ce qui concerne l’actionnariat salarié. Mais entre les salariés et les patrons qu’ils soient privés ou sous direction de l’Etat, il n’y a aucun intérêt commun. Robert Hue, en déclarant que le gouvernement tient ses promesses (dont celle de stopper les privatisations ?) mais qu’il n’apporte " pas les réponses suffisantes aux grandes questions comme l’emploi. De même, il faut avoir le courage de s’attaquer à la domination des marchés financiers or je pense qu’il ne le fait pas assez " a de plus en plus de difficultés à faire prendre des vessies pour des lanternes à son milieu.

EDF-GDF : l’accord sur les 35 heures, un prétexte à sceller l’accord CFDT-CGT-gouvernement

Le gouvernement et les directions d’EDF-GDF se frottent les mains. Les cinq syndicats de ce secteur ont signé, lundi dernier, l’accord sur l’aménagement et la réduction du temps de travail pour les trois ans à venir qui concernent 141 000 salariés. Ce qui fait pour eux toute la valeur de l’accord, c’est la signature de la CGT. Chacun des signataires met en avant mais en employant le conditionnel que cet accord " devrait permettre " la création de 3000 à 5000 créations d’emploi en plus du remplacement des départs en retraite ou en préretraite. La fourchette des chiffres est large car dans ce domaine les chiffres ne sont lancés que pour faire de l’esbrouffe et pour offrir une justification aux responsables syndicaux pour approuver un accord de flexibilité du temps de travail.

Par contre, en ce qui concerne la masse salariale, les directions d’EDF-GDF ne se permettent pas de faire des projections aussi floues. D’ici l’an 2000, il n’est pas question d’augmenter les salaires de plus de 1 % par an. Le volet concernant l’approbation par les syndicats de la " modération salariale " a fait l’objet d’un accord particulier qui n’a été approuvé que par la CFDT et la CGC et que la CGT, FO et la CFTC refusent de signer. Il y a là un petit chef d’œuvre d’hypocrisie qui arrange tout le monde sauf les travailleurs d’EDF-GDF. Cela permet à la CGT de préserver un peu son image de fermeté, l’essentiel pour le gouvernement et les directions d’EDF-GDF étant qu’elle ait approuvé un accord de flexibilité. A partir de maintenant et jusqu’au premier octobre prochain, l’accord global doit se concrétiser localement dans des négociations locales concernant les 200 centres de cette branche. La pression va donc s’exercer pour faire avaler une amplitude du travail sur 6 jours par semaine et sur 11 heures par jour sous prétexte de " satisfaire la clientèle ". Face aux protestations des travailleurs, les directions locales ne se feront pas faute de leur lancer que " leurs " syndicats ont approuvé les mesures de flexibilité qu’impliquaient la réduction du temps de travail, à l’unanimité.

De leur côté, les dirigeants de la CFDT jubilent. Bruno Léchevin, secrétaire fédéral de la CFDT chimie-énergie, s’exclame dans une interview au Monde : " Après avoir présenté le contenu de l’accord aux militants, j’ai ressenti une certaine fierté des équipes CFDT de se voir rejointes par la CGT ". Ils ont même de quoi être narquois dans la mesure où la CGT et FO avaient dénoncé en justice et obtenu l’annulation l’an dernier d’un accord signé par la CFDT avec la direction qui était en-deçà de celui qu’ils viennent de signer.

Qui plus est, l’accord signé par tous les syndicats s’inscrit dans le projet du gouvernement adopté au Conseil des ministres du 9 décembre dernier de mettre fin au monopole public d’EDF et à ouvrir donc ce secteur à la concurrence. Derrière se profile probablement, sinon la privatisation, tout du moins la déferlante contre les acquis des salariés d’EDF-GDF par le biais d’un changement de statut du personnel. La CFDT ne le cache pas et s’en félicite bruyamment puisque Léchevin déclare : " L’image d’entreprise de nantis, reposant sur un monopole, est révolue. Les salariés ont pris conscience qu’EDF-GDF ne sont plus inattaquables. Avec l’arrivée de la concurrence, nous serons confrontés à des problèmes d’entreprises comme les autres. ". Et quand il ajoute qu’il " nous faut réagir " c’est évidemment dans le sens d’être " performant " et non dans celui de préparer la lutte contre une telle perspective où " l’égalité " avec " les autres " consiste à ce que tout le monde soit menacé par des plans de licenciements. La CGT approuve de fait toute cette manœuvre, même si elle se sentira obligée, comme elle vient de le faire le 20 janvier, d’organiser des " journées d’actions " sans lendemain pour couvrir son approbation du projet gouvernemental et patronal.