éditorial



 

Thibault et Notat se réconcilient pour mieux se concilier gouvernement et patronat, les salariés sauront se donner les moyens de défendre leurs intérêts eux-mêmes

Le congrès de la CGT a levé les ambiguïtés que, jusqu’ici, la direction de la CGT avait entretenues vis-à-vis de ses militants et des travailleurs quant à sa solidarité avec la politique anti-ouvrière du gouvernement. La flûte de champagne levée par Thibault, nouveau responsable de la CGT, aux côtés de Notat, la dirigeante de la CFDT, avec la bénédiction de Viannet, prend toute sa signification. Le congrès a bel et bien enterré le mouvement de décembre 95 qui avait mobilisé des centaines de milliers de travailleurs contre le plan Juppé.

Nicole Notat avait été alors entièrement solidaire de Juppé. Le nouveau secrétaire de la CGT était, lui, une des figures de proue du mouvement en tant que responsable du secteur cheminots. Aujourd'hui, Thibault accède à la tête de la CGT pour y imposer, sous prétexte de modernisme, une orientation de collaboration de classe. Ami du nouveau gouvernement, il trinque en toute logique avec l'amie de tous les gouvernements. En fait, les dirigeants de la CGT comme ceux de la CFDT, indépendamment de leurs amitiés ministérielles, n'ont pas d'autre choix, en cette période de crise, que d'essayer de se concilier patronat et gouvernement pour négocier quelques miettes et préserver leur position d'appareil. Ils n'ont pas d'autre choix parce qu'ils ont renoncé depuis longtemps à être d'authentiques représentants des salariés.

Thibault a imposé Notat aux militants de la CGT pour les faire taire au moment où beaucoup de militants, ou d’anciens militants, de travailleurs, notamment de jeunes, commencent à retrouver le besoin de tisser des liens, de discuter, de s’organiser démocratiquement pour défendre leurs intérêts de classe. Il tourne ainsi ouvertement le dos aux espoirs de ceux qui relèvent la tête dans les rangs du monde du travail. Le baron Ernest-Antoine Seillière, président du syndicat patronal, le Medef, ne s’y est pas trompé en se félicitant de " l’attitude moins systématiquement contestataire et plus ouverte " de la CGT.

A l'opposé, un nombre plus important que jamais de délégués dans un congrès de la CGT, a exprimé son inquiétude et son refus d'abdiquer, si bien que l’orientation a été approuvée avec 10 % de moins qu’au congrès précédent, il y a trois ans, et que des revendications comme le SMIC à 8500 F, le refus de l’annualisation du temps de travail, oubliés dans le rapport final, ont dû être rajoutés. La direction de la CGT a imposé par ce congrès ficelé son choix d’un syndicalisme aligné derrière le gouvernement de la gauche plurielle, jouant le jeu truqué de la signature d’accords qui entérinent le rapport de force imposé par le patronat. Mais c’est tous les jours, dans les entreprises, les quartiers, que les militants, restés fidèles aux intérêts de leur classe, sont confrontés aux réalités d’une politique de libéralisme sans retenue qui provoque chômage, misère et violence.

Pour une fraction de plus en plus large du monde du travail et de la jeunesse, le choix est clair. Face à la catastrophe sociale dans laquelle les capitalistes entraînent toute la société, il est urgent pour changer le rapport de force, de construire à la base, dans les entreprises, les bureaux, les quartiers, parmi les jeunes, une nouvelle force, capable de préparer les luttes d’ampleur, nécessaires pour mettre fin au recul de toute la société.

Cette nouvelle force est en train de prendre conscience d’elle-même. Elle s'interroge sur la façon de se donner les moyens de se faire entendre et de s’organiser, démocratiquement, collectivement, en toute indépendance des partis gouvernementaux et des dirigeants syndicaux qui ne se revendiquent du monde du travail que pour servir leurs objectifs étroits de carrière, de reconnaissance sociale.

La sympathie d’ores et déjà rencontrée par la liste pour les élections européennes d’Arlette Laguiller et d’Alain Krivine atteste de l’existence de ce courant. Robert Hue, invité dimanche soir, dans l’émission " Public " de TF1, s’est, à l’unisson avec Thibault, affirmé réaliste, soucieux d'enchaîner les salariés derrière le gouvernement de Jospin. Il a déclaré que l’ultra-libéralisme, c’était Juppé, pas Jospin, et que l’extrême-gauche ouvrière, ce que Hue appelle dédaigneusement l'ultra-gauche, n’avait pas de " proposition constructive ". Constructive pour qui ? Cette " ultra-gauche ", que d’autres appellent " la gauche rouge " est fière de ne pas avoir d’amis au gouvernement ni de relations dans les milieux patronaux.

Elle entend aider à la construction du parti de la lutte des classes, du parti des luttes dont dépend l’avenir de toute la société, un parti qui affirmera la seule proposition constructive pour supprimer la misère et le chômage, pour enrayer la dégradation des conditions d'existence de la majorité de la population : s'en prendre aux profits des financiers.

 

Procès du sang contaminé : les politiciens de gauche comme de droite serrent les rangs derrière trois des leurs

Au bout d’un peu plus de six ans de procédure et de deux non-lieux, le procès de Fabius, Hervé et Dufoix vient de s’ouvrir devant un tribunal d’un genre nouveau, créé tout spécialement pour juger les trois responsables politiques du Parti socialiste inculpés pour " homicides involontaires et atteintes involontaires à l’intégrité des personnes " dans la contamination par le virus du Sida de personnes lors d’une transfusion sanguine. Cette " Cour de justice de la République " mise en place pour l’occasion est composée de députés, de sénateurs et de magistrats, appartenant tous au même milieu des politiciens proches du pouvoir, tellement l’indignation soulevée par l’attitude irresponsable des inculpés pouvait faire craindre une condamnation sans équivoque si le jugement avait été rendu par un jury de cour d’assises. C’est le même procureur général, Burgelin, qui a déjà par deux fois requis un non-lieu qui a été choisi à nouveau comme procureur.

Fabius, premier ministre au moment des faits, est mis en cause dans la décision d’avoir retardé le test de dépistage du virus d’un laboratoire américain Abbott pour laisser le temps à un laboratoire français, Pasteur, de mettre au point son propre test, Hervé et Dufoix, eux, ont laissé utiliser des stocks de produits sanguins contaminés. Le résultat en a été la contamination de 300 à 400 personnes, selon les " experts ", envoyées à une mort certaine et vraisemblablement beaucoup plus. Cela, bien sûr, non pas parce que les anciens ministres avaient l’intention de tuer, mais parce que la logique de la défense des intérêts financiers les a rendus solidaires des firmes pharmaceutiques et du centre de transfusion sanguine qui, pour gagner des parts de marché, ont pris le risque de détruire des vies humaines.

La société fonctionne selon les seuls impératifs de l’argent et il faut qu’à chaque fois, des hommes assument le rôle de la défense à tout prix de la logique de l’argent pour que celle-ci puisse aller jusqu’au bout. Et c’est le rôle qu’ont joué Fabius, Hervé et Dufoix, avec bien d’autres complicités, pour que des transfusions sanguines destinées à sauver des vies humaines se transforment en leur contraire. Le scandale de l’affaire du sang contaminé n’a pu, malgré les tentatives de la justice au service des mêmes intérêts financiers, être étouffé, mais seulement 7 personnes contaminées ont été reconnues comme telles, et 5 étant déjà décédées, il n’y en a que 2 qui sont citées comme témoins dans le procès. Pas plus les proches des personnes contaminées que les associations de défense des hémophiles n’y peuvent être entendues. Alors qu’il est évident que c’est grâce à leur mobilisation que le procès a tout de même lieu.

De la droite à la gauche, le monde politique affirme sa solidarité vis-à-vis des anciens ministres, parlant de la nécessaire " sérénité " dans laquelle doit se dérouler le procès. Cela n’a rien de surprenant en ce qui concerne les politiciens de la droite et du Parti socialiste qui, les uns comme les autres, sont impliqués dans des " affaires " où ils partagent la défense des intérêts financiers au prix de malversations, pots-de-vin, etc., qui sont le fonctionnement normal de cette société du fric. Ils ont eu aussi le soutien plus inattendu du responsable du Parti communiste, qui affirme sa solidarité avec les membres de son propre parti qui avaient des responsabilités au Ministère de la Santé. Il a déclaré qu’il y avait " une dérive et une sorte de chasse à l’homme politique ".

Certes, ce procès n'est que le procès des instruments du système et non celui du système lui-même. Mais ce procès-là, seuls les travailleurs pourront l'instruire.