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Rapport Roché : imposer aux salariés du public les mêmes reculs qu’aux salariés du privé, Juppé l’a rêvé, Jospin veut le faire

Selon une méthode désormais éprouvée, le gouvernement, avant d’entamer les négociations sur les 35 heures dans la Fonction publique, a passé commande d’un rapport sur le temps de travail des fonctionnaires à l’ancien conseiller à la Cour des comptes, Jacques Roché.

Selon ce rapport, la durée de travail des fonctionnaires oscillerait entre 29 heures et 38 heures 10, " une précision qui ne s’invente pas " commente le Figaro-économie, alors que ce rapport, qui prétend tirer des leçons valables pour l’ensemble des 4,5 millions de salariés du public, a analysé en tout et pour tout les horaires de 565 agents des services déconcentrés et de 579 des services centraux, dans l’état d’esprit que l’on devine, puisqu’il a décompté les pauses et dénonce le " laxisme dans le contrôle des temps de présence " ! Il dénonce également les " congés illégaux ", c’est-à-dire les avantages acquis par les salariés au fil des années qui s’ajoutaient aux congés prévus par le Code du Travail. En ce qui concerne les salaires, le constat est aussi tendancieux : selon les auteurs du rapport dont on se demande où ils ont pu trouver de tels chiffres, " la rémunération des personnes en place a évolué trois fois plus vite que l’inflation soit 5 % par an et 3,2 % de gain de pouvoir d’achat en moyenne par an ".

Le but du rapport, c’est de donner une base " objective ", celle d’un rapport " d’experts ", aux pires préjugés contre les salariés en général et ceux de la Fonction publique en particulier pour préparer le terrain aux attaques du gouvernement. Le rapport - qui selon Zuccarelli, le ministre de la Fonction publique, doit " éclairer le gouvernement mais ne l’engage pas " -, préconise annualisation et flexibilité, remise en cause des avantages acquis, " modération salariale ", " l’accélération de la démarche de modernisation à l’instar du privé " ; c’est-à-dire une dégradation des conditions de travail. C’est la panoplie complète des attaques que le gouvernement et le patronat ont menées main dans la main contre les salariés du privé dans le cadre des accords sur la loi Aubry.

Un autre rapport rédigé dans le cadre de la mission de concertation du Commissariat du Plan, remet en cause le maintien - arraché de haute lutte en décembre 95 - des trente sept années et demie de cotisations au lieu des quarante imposées dans le privé par Balladur. Selon ce rapport, trop de fonctionnaires partent trop tôt à la retraite et les pensions sont trop élevées car, remarque " le Monde " qui s’en fait l’interprète, " les fonctionnaires accumulent des droits à la retraite sans verser de cotisations en contrepartie ". Un article contre le droit de grève dans la Fonction publique paru dans " Libération " du 8 février, d’un certain Michel Godet, professeur au Cnam, est dans la même tonalité : " la grève de ceux qui bénéficient de grands avantages, comme la garantie de l’emploi, peut être indécente. Il y a des règles d’éthique à respecter, dont le service minimum ". Encore un qui sans " engager " le gouvernement, va sans doute " l’éclairer " !

C’est donc toute une campagne qui se prépare contre les salariés de la Fonction publique et qui vise horaires, conditions de travail, salaires, retraites et droit de grève. La loi des 35 heures est une machine de guerre que le gouvernement veut utiliser pour contraindre les salariés du secteur public à tous les reculs que les patrons imposent aux salariés du privé en profitant des accords sur la loi Aubry.

Le but de cette campagne s’appuyant sur les préjugés les plus antiouvriers, c’est de tenter de justifier aux yeux de l’opinion publique les mesures qui vont être prises mais aussi de tenter de culpabiliser les salariés de la Fonction publique, " coupables " de bénéficier d’avantages par rapport au privé, de les mettre en position défensive pour les dissuader de résister aux mauvais coups. Jospin, comme Juppé par le passé, s’appuie sur les préjugés contre les fonctionnaires et il tente de jouer la division entre les travailleurs du public et ceux du privé. Il se croit peut-être plus fort que lui, parce qu’en plus de l’appui de Notat qui soutenait déjà Juppé en 95, il a le soutien de la direction du PC et des dirigeants de la CGT.

Mais si certains ont renié décembre 95 et s’en glorifient, flûte de champagne à la main, ce n’est le cas ni des militants, ni des salariés qui l’ont vécu et qui ne sont, eux, pas prêts à accepter de Jospin des mesures qui s’annoncent encore pires que celles de Juppé.

 

La répression s’amplifie contre les sans-papiers et ceux qui les soutiennent

Michel Beurier, secrétaire de l’Union départementale CGT de Clermont-Ferrand, vient d’être traduit en correctionnelle et risque une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison pour " aide au séjour irrégulier avec préméditation et violences volontaires ". Il avait été arrêté le 21 août au cours d’une séance du Tribunal administratif qui examinait le cas d’un travailleur sénégalais sans-papiers. Sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, celui-ci avait profité d’une bousculade pour échapper aux policiers. Michel Beurier avait été accusé, ainsi qu’une responsable de la Ligue des droits de l’homme, d’avoir favorisé cette fuite alors que tous deux s’étaient retrouvés, comme tout le monde, au milieu de la bousculade.

Gardé à vue 24 h, mis sous contrôle judiciaire, il lui a été dans un premier temps interdit d’aller au Tribunal administratif et imposé de rendre des comptes sur ses activités syndicales. La justice vient de décider de le traduire devant le Tribunal correctionnel.

Le Collectif départemental de soutien au mouvement des sans-papiers-63 écrit : " il apparaît désormais qu’il vaut mieux détourner des millions d’argent public que de manifester sa solidarité aux plus pauvres, donc aux plus faibles " et il dénonce " cette étape de plus dans l’atteinte aux libertés ".

Dans le même temps où il continue à expulser chaque jour des travailleurs immigrés, le gouvernement tente d’intimider ceux qui leur apportent leur soutien tout en amplifiant la répression contre les sans-papiers eux-mêmes. Sirine Diawara, que la police n’avait pas réussi à expulser grâce aux protestations des passagers de l’avion à bord duquel il avait été embarqué, purge actuellement une peine de un an de prison ferme. Et plusieurs de ses camarades, en cours de procès, risquent des peines équivalentes.

Et le gouvernement s’en prend également à ceux qui partagent leur vie. C’est ainsi qu’une jeune femme de Perpignan a été condamnée à quatre mois de prison, dont deux ferme, pour avoir hébergé son compagnon, père de ses enfants et ne pas l’avoir dénoncé. Bien qu’il ait été régularisé depuis, la peine a été maintenue et ce n’est qu’après de nombreuses démarches et l’intervention de soutiens dénonçant sa situation que la jeune femme vient finalement d’être libérée au bout d’un mois de prison.

  

46 ème Congrès de la CGT, un délégué, Francis Dubuc, raconte :

Ouvrier à Cofrablack dans la banlieue bordelaise, j’ai participé au 46 ème Congrès de la CGT en tant que délégué de la fédération Chimie, dans laquelle nombre de délégués étaient en désaccord avec le document d’orientation présenté par la direction, la majorité de la délégation réclamant une refonte de ce texte dans le sens de la lutte de classe et de la socialisation des moyens de production.

Mais ces désaccords, il n’a pas été facile de les faire entendre au cours des quatre débats organisés dans la semaine : " du mouvement de novembre-décembre 1995 à la bataille des 35 heures ", " vers un nouveau progrès social ", " un syndicalisme citoyen et rassemblé ", " accélérer le renouveau de la CGT ". Les interventions étaient divisées en deux catégories : des interventions de six minutes et des micro-débats dans lesquels on pouvait intervenir trois minutes, si l’on parvenait à saisir un micro… Comme l’on devait préciser sur la feuille de demande d’intervention à quelle fédération on appartenait, il était facile de trier les contestataires. Ainsi de notre fédération, il n’y aura eu tout au long de la semaine que trois interventions, une sur le premier thème du congrès, la seconde sur un sujet annexe, les cotisations, et la troisième sur le quatrième thème de débat mais pour les ingénieurs cadres et techniciens. Trois autres copains de la fédé interviendront dans les micro-débats, pendant lesquels mon voisin me fit remarquer la précipitation orchestrée d’avance pour bloquer les micros. Mes demandes d’intervention n’ont pas été retenues.

Il y avait de toute évidence des campagnes qui se menaient en sous-main pour caricaturer les positions des contestataires. Lors d’une pause, j’ai été ainsi abordé par un camarade qui milite dans le même UL que moi et qui m’a déclaré : " alors la chimie est contre l’unité ". C’était effectivement une version plus que déformée de ce que je pensais, personne ne pouvant évidemment être contre l’unité, encore faut-il savoir avec qui et sur quelles revendications elle se fait. La présence insistante des médias, cherchant à tout prix à obtenir des déclarations spectaculaires des " opposants " et qui s’intéressaient tout particulièrement à notre fédération, ne contribuait pas à détendre l’atmosphère.

Il y a quand même eu des moments où tout n’a pas pu être aussi ficelé que certains l’auraient voulu. C’est un copain du Bâtiment qui, au cours d’une discussion sur l’action, impatienté par la tournure des débats se mit à crier " l’action tout de suite, y’en a marre des palabres ". Cela ouvrit la brèche à plusieurs interventions : " action oui, mais tout de suite ", " action, oui, mais pas une seule journée isolée, avec une suite programmée " " tous dans la rue ". Ce fut Thibault en personne qui dut intervenir pour éteindre le feu en proposant une journée d’action interprofessionnelle, " tous ensemble ".

Ce " tous ensemble ", il a vraiment été mis à toutes les sauces. C’est finalement lui qui a été choisi par la direction pour étouffer toute velléité de chahut lors de l’arrivée de Notat. Nous étions plusieurs à vouloir marquer notre opposition à sa venue, ressentie comme un reniement de décembre 95 et un geste de conciliation progouvernemental, et nous avions d’abord décidé de quitter la salle en signe de protestation. Puis, certains déclarèrent que nous " étions des militants responsables " et que nous resterions dans la salle, les bras croisés. Mais lorsque Notat arriva, nos bras croisés et quelques sifflets passèrent inaperçus, couverts par les acclamations de la salle, la minorité était bien minoritaire… Et les cornes de brume que j’avais vues dans les rangs des cheminots n’étaient pas prévues pour chahuter Notat en souvenir de décembre 95, mais pour acclamer Thibault lors de la proclamation de son élection. De là où je me trouvais, j’ai quand même pu constater des délégués manifestant leur opposition dans les rangs de la Santé et du Bâtiment.

Du point de vue des votes, la règle était le vote à bulletin secret. Dans notre fédération, tout se faisait au grand jour, chacun disant ouvertement quelle position il prenait, chacun pouvant argumenter son choix. Nous avons été une majorité de délégués de la fédé à voter contre le texte d’orientation mais nous n’avons été que deux à nous abstenir sur la liste des candidats à la Commission exécutive fédérale.

Il y eut dans la dernière journée des moments un peu difficiles : d’abord quand je décidai de rester assis au milieu des autres debout acclamant Thibault puis Viannet. Pas facile de marquer son opposition dans ces cas-là. Mais je n’étais pas tout à fait seul, mon regard croisa celui d’une copine de LO, qui faisait de même. Dans ces cas là, les véritables solidarités s’affirment.

Puis il y eut pour conclure le Congrès, la Marseillaise. Comme je protestais que ce n’était pas un chant des ouvriers, un délégué devant moi répliqua " que c’était le chant des révolutionnaires de 1789 " à quoi je lui répondis que " c’était le chant de Thiers et des massacreurs de la Commune ". Heureusement qu’il y eut l’Internationale, chantée les mains levées formant une chaîne.

Lors du repas de fin de congrès, nous avons échangé impressions et adresses. Je n’étais pas seul à penser que le Congrès avait été bien ficelé, que le débat sur le texte d’orientation malgré un nombre impressionnant d’amendements était acquis d’avance " de toute manière, me disait un autre délégué à propos des amendements cela ne changera pas grand chose au texte ". Un autre abondait dans ce sens : " le texte finira au panier, la vérité viendra du terrain, mais il faudra quand même se le manger ". Et qu’une opposition à la politique de la direction ait pu s’exprimer dans un congrès pourtant sous contrôle, c’est déjà un gage que sur le terrain, les choses se trancheront véritablement et pas forcément dans le sens que les dirigeants de la CGT le souhaitent.

  

35 heures : répondre aux attaques

Echo du bulletin " Front des Travailleurs " (SNCF-Rouen) du 3/02/99

Ce qu’on peut déjà savoir du projet de la direction sur les 35 heures confirme tout le mal qu’on pouvait en attendre.

Pour les roulants, huit repos en moins, suppression des compensations de nuit. Les 27 jours " supplémentaires " de repos prévus ne seront pas primés, seront accordés à la volonté de la direction et annoncés dix jours à l’avance.

Pour les sédentaires, cela se traduirait par finir une demi-journée plus tôt en fin de semaine, mais travailler huit heures trente par jour les autres jours, la généralisation du travail de nuit et du dimanche, le tout en " fonction des besoins " et au bon gré de la direction.

Pour tout le monde, annualisation avec intégration des jours fériés et " modération salariale " à 1 % par an. Avec la suppression du " GVT "(sorte d’avancement automatique à l’ancienneté), cela se traduira par des pertes de salaire pour tous. Par contre, pour les embauches, c’est le grand flou, la direction ne s’engage à rien et tous les chiffres qui sont lancés ne tiennent jamais compte des suppressions de postes, des départs en retraite et encore moins des besoins !

La direction abat ses cartes. C’est une attaque généralisée. Les fédérations syndicales n’ont encore annoncé aucune riposte. Pourtant, face à cela il ne peut y avoir qu’une réponse : ce projet n’est pas négociable et surtout pas filière par filière. La réponse de tous les cheminots, ce sera : tous ensemble pour une vraie réduction du temps de travail, sans annualisation ni flexibilité, sans perte de salaire et avec embauches massives correspondantes.