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La campagne pour la liste LO-LCR aux européennes, une campagne pour un réel parti du mouvement social, un parti de lutte

Vendredi dernier, Arlette Laguiller et Alain Krivine ont ouvert leur campagne pour les élections européennes, à Paris, devant une salle de la Mutualité archicomble et enthousiaste. Tous ceux qui se sont retrouvés ce soir-là éprouvaient le sentiment d'un espoir nouveau qui se formait, timide encore mais nourri par la chaleur des retrouvailles. Beaucoup ne croyaient plus que cela soit possible de se retrouver, militants et sympathisants de toutes tendances, ensemble, pour s'engager dans une même bataille. Beaucoup aussi ont ressenti une certaine gêne devant la prudence de la tribune, comme si les deux organisations se méfiaient d'elles-mêmes et de l'enthousiasme de leurs propres militants. Certes, le début de campagne à reculons est heureusement dépassé, et l'on semble s'apprêter à rentrer dans le vif du sujet, mais nos camarades de Lutte ouvrière comme ceux de la Ligue sont empêtrés dans cet accord que chacun voudrait un simple accord électoral alors que tout le monde sait que cela n'est pas possible. D'où une ambiguïté.

Cette ambiguïté se lèvera dans les semaines qui viennent. L'accord électoral posera la question à travers la campagne électorale elle-même de la suite à lui donner. C'est de cette question qu'il nous faut discuter, c'est en fonction des réponses que chacun y apportera que se définiront les différents courants au sein de l'extrême-gauche. Les vieux clivages sont caducs, une nouvelle et décisive discussion s'engage autour de la question du futur parti, de son programme, de son fonctionnement comme de ses alliances.

C'est dans le cadre de cette discussion que nous avons rédigé et publié notre projet de programme pour un parti démocratique des travailleurs révolutionnaires.

La discussion ne se mènera donc pas que par écrit, elle se mènera concrètement, dans le travail militant, en confrontant les raisonnements et idées des différentes tendances à leurs résultats et conséquences pratiques. C'est à travers cette discussion, du moins pour ceux qui ne se comportent pas en fraction sans principe, que se formulent les réponses les plus justes, les plus capables de répondre aux préoccupations et aux tâches des militants du monde du travail comme de la jeunesse.

Pour nous, la campagne qui s'ouvre en soutien à la liste d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine doit prendre le contenu d'une véritable campagne d'organisation dans la perspective de jeter les bases d'un futur parti. Il ne s'agit pas de prétendre par nous-mêmes être en mesure d'accomplir cette tâche, il s'agit dans le cadre de la campagne pour la liste d'appeler les jeunes, les travailleurs en devenant des propagandistes du programme de cette liste, en s'en emparant pour le défendre, de devenir dans les faits des militants de ce futur parti. Chacun selon ses moyens.

Chacun d'entre nous aura à cœur de démultiplier les effets de la campagne en agissant pour faire pénétrer les idées du socialisme et du communisme révolutionnaire parmi la jeunesse et dans le monde du travail.

Ce sera d'ailleurs la seule façon de dépasser les limites de l'accord électoral entre la LCR et LO comme de leur plate-forme, loin de toute critique sectaire, stérile.

Cette plate-forme est un compromis, une sorte de point neutre entre les deux tendances, c'est dans l'activité concrète auprès des travailleurs et des jeunes qu'elle prendra son réel contenu.

Nous pensons que cette plate-forme ne critique pas assez clairement l'impuissance du Parlement de Strasbourg en affirmant la perspective des États Unis socialistes et démocratiques d'Europe. Nous pensons surtout qu'elle ne relie pas les revendications du plan de défense à l'indispensable organisation et mobilisation du monde du travail, faisant de ce plan un programme suspendu en l'air dont on ne sait s'il s'agit d'un programme électoral ou d'un programme de lutte. Ménageant le PS et le PC sans dénoncer leur responsabilité dans le recul du monde du travail, elle reste très prudente dans la définition du rôle et des tâches de ses futurs élus. Cette ambiguïté s'explique aisément par l'ambiguïté des relations LCR et LO qui disent, l'une comme l'autre, ne pas prendre d'engagement pour la suite, elle est une des plus inquiétantes car une des plus lourdes de conséquence et de glissement électoraliste. Ces élus, représentants authentiques du monde du travail, seraient les porte-parole politiques de ses luttes, situant leur activité essentiellement en direction des entreprises, des cités et des quartiers pour aider à l'organisation d'une force authentiquement socialiste et communiste, révolutionnaire, un véritable parti du mouvement social, un parti de lutte de classe. Toute leur activité serait tournée vers la tâche d'organisation du monde du travail. Le dire suppose rompre avec tout raisonnement électoraliste, et donc s'affirmer résolument pour un parti des travailleurs dont les élus, qu'ils soient de LO ou de la LCR, se considèrent comme les représentants.

Ce que la plate-forme ne dit pas, l'impact de la liste, la pression des nouveaux militants, des milieux les plus populaires comme le radicalisme de la jeunesse, lui donneront vie, force et vigueur. A notre niveau, c'est à cela que nous nous consacrerons en toute solidarité avec nos camarades de Lutte Ouvrière et ceux de la Ligue avec lesquels nous ferons campagne, une campagne qui sera un pas important vers la construction d'un parti militant du monde du travail.

  

L'extrême-gauche progresserait au détriment du PCF. Qui s'en étonnera ?

La présence d’une liste d’extrême-gauche bouscule sérieusement l’échiquier politique de la gauche plurielle. Robert Hue a beau prendre un air désinvolte et prétendre redouter avant tout le niveau de l’abstention, il craint surtout de perdre beaucoup de voix au profit de la liste LO-LCR. Si cela se confirmait en juin, cela entraînerait une perte de crédibilité du PCF et contribuerait à accentuer son déclin et son intégration de fait au sein de la social-démocratie.

Si la liste d’extrême-gauche attire de nombreuses voix d’électeurs du PCF et si son score est nettement supérieur à celui de la liste conduite par Hue, les révolutionnaires ne pourront que s’en réjouir. Cela indiquerait qu’une liste composée de militants révolutionnaires trotskystes est plus influente dans le monde du travail qu’une liste composée de gens qui n’ont rien de communistes (qu’ils soient membres du PC ou non) et qui s’échinent à faire croire aux travailleurs que le gouvernement Jospin défend dans une certaine mesure leurs intérêts et pas uniquement ceux de la bourgeoisie.

La direction de Lutte Ouvrière ne semble pas voir les choses de cette façon. Dans les interventions d’Arlette Laguiller, elle lui fait dire avec une lourde insistance qu’elle ne veut surtout pas prendre des voix au PCF. Elle voudrait seulement récupérer les voix que le PC a perdues depuis vingt ans sur sa droite au profit du PS ou qui se sont réfugiées dans l’abstention. Comme s'il lui appartenait de choisir !

Au meeting de Quimper du 29 janvier, elle déclarait : " Nous voulons certes obtenir plus de voix encore que précédemment. Mais si, en même temps, plus de voix se portent sur la liste du PC, nous n'en serons pas mécontents. Car une augmentation importante de notre score, ajoutée au maintien ou même à une augmentation de celui du PCF, serait l'expression d'une radicalisation de l'opinion populaire, et interprétée comme telle par Jospin et par le grand patronat, malgré la participation du PC au gouvernement ".

LO se lance dans des supputations très discutables en présentant l'addition des scores du PC et de l'extrême-gauche comme une sorte de " pôle de radicalité " électoral. Or il y a un parti, le PC, qui participe à un gouvernement au service des capitalistes et une extrême-gauche qui combat sans concession le patronat et la politique du gouvernement. Mais selon LO, on pourrait tout de même additionner les voix des deux listes pour en faire un avertissement à Jospin et au grand patronat... Sous couvert de la préoccupation parfaitement légitime pour des révolutionnaires d'apparaître solidaires des militants ouvriers du PCF ou de ses électeurs, la direction de LO donne l'impression qu'elle craindrait réellement que le PCF ne s’effondre et en conséquence de prendre ses responsabilités.

Quand le recul du PCF se traduisait dans les années quatre-vingts par un recul du militantisme dans les quartiers et les entreprises et par un renforcement du PS, les révolutionnaires ne pouvaient en aucune manière s’en réjouir. Ce recul traduisait une poussée à droite globale de l’électorat et une démoralisation au sein de la classe ouvrière. Mais aujourd’hui, les choses se présentent autrement. Si le monde du travail est toujours sur le recul, par contre ses illusions dans la gauche régressent. Pour bien des travailleurs (notamment du PCF) et pour bien des jeunes, les partis gouvernementaux doivent être sanctionnés. Et ils ont l’intention de le faire positivement, comme cela s’est déjà confirmé aux élections régionales, en votant extrême-gauche.

Pour LO, la surestimation du sens des votes en faveur du PC s'accompagne d'une dévalorisation de celui en faveur de l'extrême-gauche. La LDC n°40 de novembre dernier commente ainsi les résultats des révolutionnaires aux régionales : " ce succès électoral relatif ne traduit pas une radicalisation du monde du travail, qu'aucun autre élément ne vient confirmer. " C'est le thème traditionnel du " rien ne change, rien ne bouge " qui a permis à la direction de LO de se dérober devant ses responsabilités depuis les présidentielles de 1995. Et c’est ce qui l'a amenée à exclure les militants qui avaient l'outrecuidance d'entrevoir des changements politiques et sociaux impliquant des possibilités et des responsabilités nouvelles pour les révolutionnaires. Dès cette époque, la direction assénait cet argument repris actuellement par Arlette Laguiller que " si les dirigeants du PC le voulaient… ", eux, ils auraient la force d’appliquer une politique en faveur des travailleurs ! Il fallait accréditer l’idée que LO est trop faible avec ses petits 5 % et qu’il n’y a pas de " demande " parmi les travailleurs pour construire le parti. Conséquence, il n’y avait plus qu’à réduire " l’offre " et à rester sur le repli.

Loin d'être conçu comme un vote sanctionnant la participation du PC au gouvernement et contribuant avant tout à l'émergence de ce parti qui manque à la classe ouvrière, le score de la liste LO-LCR est envisagé comme un simple aiguillon sur le PC et une bonne chose " pour redonner le moral aux travailleurs ".

Les révolutionnaires n'ont aucune nostalgie pour l'époque où le PCF était fort, faisait 20 % des voix, et où ils étaient condamnés à occuper une position marginale au sein de la classe ouvrière. Face au stalinisme, les révolutionnaires ont tenu, ils peuvent en être fiers et tourner cette page sans regret pour affronter les tâches du jour. Leur rôle, pour parler comme la direction de LO le faisait encore avant d'être inquiète des conséquences de ses succès, est de s'adresser " aux travailleurs du rang, aux militants ouvriers, à tous les militants et sympathisants qui sont en contact avec les travailleurs " , de discuter avec eux d'un programme " qui soit une ligne de partage des eaux " entre les camp sociaux. Ce programme sera le ciment du parti à la construction duquel s'attachent les militants de LO, de la LCR et de toutes les tendances révolutionnaires.

  

 " LIBEREZ SORY ! "

Depuis le 3 février un jeune musicien burkinabé, Sory Diallo, est enfermé dans un centre de rétention de la région parisienne, sous le coup d’un arrêt de reconduite à la frontière. Arrivé en 1993 à Nancy pour y suivre des études de musique, la préfecture a renouvelé son permis de séjour tant qu’il était étudiant... avant de lui refuser toute prolongation de séjour en avril 98, quand Sory Diallo demandait de pouvoir séjourner ici non plus comme étudiant mais en tant qu’artiste. Dès lors, Sory a rejoint le lot des quelques 60 000 " sans-papiers ", à la merci d’un contrôle de routine.

Ce qui s’est produit, par hasard, le 30 janvier : Sory a été immédiatement placé en centre de rétention à Nancy, alors que son groupe devait se produire le soir même dans la région... pour le cinquantenaire de la déclaration des droits de l’homme. Après un ultime recours déposé au Tribunal administratif, où Sory est arrivé menotté sous l’œil d’une quarantaine d’amis et de soutiens, l’administration a jugé qu’il ne correspondait pas " aux critères de la circulaire " : ni femme, ni enfant, ni ressources. Sory a expliqué qu’il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas travailler en France : le Burkina Faso est une ancienne colonie française, son indépendance est factice car le pays reste économiquement dépendant, il y règne une dictature. Rien n’y a fait. Le lendemain, il a été transféré à Paris.

La solidarité s’est organisée autour de Sory, ses amis se sont mobilisés, notamment des étudiants des Beaux-arts qui ont couvert la ville d’affiches pour un rassemblement devant la préfecture : trois cents personnes, parmi lesquelles des sans-papiers, des sans-emplois et de nombreux jeunes, se sont retrouvées pour exiger sa libération et la régularisation de tous les sans-papiers. Vendredi 5 février, nous étions de nouveau une centaine à manifester à l’occasion de l’inauguration du musée des Beaux-arts de Nancy... et les CRS étaient nombreux pour nous empêcher d’approcher les notables.

La rétention de Sory Diallo a été prolongée une nouvelle fois de cinq jours, car Sory n’a pas de passeport : l’administration doit attendre que l’ambassade du Burkina lui en délivre un pour pouvoir l’expulser. Aussi la mobilisation continue, avec un concert de soutien " à Sory Diallo, artiste, musicien en instance d’expulsion de France, et à tous les sans-papiers ".