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A Rambouillet, les grandes puissances dictent leur loi au mépris des intérêts des peuples de l'ex-Yougoslavie

La communauté des Etats impérialistes vient de marquer un point dans sa volonté de régler à sa façon la question du Kosovo. Personne ne peut dire si les négociations entamées à Rambouillet vont échouer ou réussir. Toutes les parties concernées par le conflit ont finalement préféré être présentes pour faire valoir leurs intérêts : les dirigeants serbes, les nationalistes kosovars " modérés " dont le leader est Rugova, et une délégation de l'UCK, l'armée de libération du Kosovo. Rugova et les chefs de l'UCK sont manifestement en concurrence pour exercer le pouvoir sur le peuple du Kosovo, d'où leur souci d'être reconnus comme des partenaires incontournables par les grandes puissances.

La guerre au Kosovo a déjà fait 2000 morts en moins d’un an et provoqué l’exil de 200 000 personnes. Craignant qu’elle prenne un jour des proportions incontrôlées débordant les limites du Kosovo, l’administration américaine ne tient pas à s’engager plus avant dans ce bourbier. Tout le monde sait, et elle la première, que les menaces de " frappes aériennes " de l’OTAN sont inopérantes pour stopper la dégradation de la situation au Kosovo. De plus, les critiques se multiplient dans les médias américains contre un engagement militaire jugé déjà trop important dans l’ex-Yougoslavie, une zone où les intérêts immédiats des USA sont négligeables.

Les Etats de l’Europe occidentale ont donc le marché en main, et les Etats-Unis superviseront de près leurs efforts diplomatiques et militaires. La recette de Rambouillet a déjà été éprouvée par les accords de Dayton en 1995 qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. Ces accords ont tenu compte du rapport des forces entre les différentes factions nationalistes, au mépris le plus total des intérêts et des aspirations des populations locales.

Le plan proposé serait en gros le suivant : pendant trois ans le Kosovo aurait un statut de relative autonomie tout en restant rattaché à la Serbie et en étant sous la tutelle militaire des grandes puissances, qui déploieraient près de 30 000 soldats sur le terrain.

La conférence de Rambouillet, qui se tient à huis-clos, ressemble plus à une séquestration des représentants des parties belligérantes jusqu'à ce qu’ils acceptent le " plan de paix " concocté avant tout par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, qu'à une négociation permettant l'évolution des positions des uns et des autres. Le plan avancé est à prendre ou à laisser, étant entendu qu'il est agrémenté de tout un arsenal de mesures de rétorsion diplomatiques, économiques et militaires pour amener toutes les délégations, qui logent à des étages différents pour fuir tout contact entre elles, à le signer. Les grandes puissances n'ont pas envie de les laisser tergiverser, car les risques que l'UCK se renforce et que le conflit dégénère et gagne la Macédoine, où vit une forte minorité albanaise, sont réels. Leur intérêt est de geler les positions actuelles pour que les frontières restent identiques. Il n'est donc pas question pour elles d'accepter l'indépendance du Kosovo, ce qui fait l'affaire de Milosevic, car elle pourrait déclencher une déstabilisation de toute la région, notamment au Monténégro et en Macédoine, ce qui pourrait entraîner la Grèce et la Bulgarie dans une nouvelle guerre balkanique. La " paix armée " que les grandes puissances veulent imposer est conçue au mépris des intérêts des peuples de toute la région. Après avoir attisé depuis dix ans toutes les rivalités entre clans nationalistes pour mieux dominer et affaiblir les classes populaires de l'ex-Yougoslavie, elles voudraient à présent calmer le jeu, faire de menues concessions aux nationalistes rivaux, mais toujours sans permettre aux peuples de vivre en bonne intelligence. Même au Kosovo, cette aspiration n'a pas disparu puisque, d'après un journaliste du " Point ", dans une localité du sud, la population serbe s'est opposée les armes à la main à l'entrée de la police " de peur que l'incursion des pandores compromette irrémédiablement les relations intercommunautaires. ". L'entente entre travailleurs des Balkans se construira sans s'enfermer dans les calculs des indépendantistes et contre les plans sordides que les Etats impérialistes veulent leur imposer avec la complicité du dictateur Milosevic.

  

Veillée funèbre pour Hussein : les puissants ont peur du lendemain

Quelle touchante unanimité a bien pu réunir dans une même émotion tous les dirigeants du monde ? Quatre présidents des Etats-Unis et Tony Blair aux côtés des dictateurs irakiens, libyens et soudanais. Les principaux dirigeants israéliens, tous partis confondus, à deux pas d’Assad, le dirigeant syrien, voire du chef de la milice du Hamas. Le prince héritier du Koweit qui avait expulsé en Jordanie 300 000 palestiniens, côtoyant Yasser Arafat… S’il fallait faire la liste de tous ceux qui sont apparus réconciliés au pied du cadavre d’Hussein, elle serait interminable.

Ce n’est évidemment pas la douleur éprouvée à la mort d’un petit dictateur qui a réuni tous ces gens-là. Les crocodiles, les petits comme les gros, ne pleurent pas pour si peu. Non, ce qui était réuni aux obsèques d’Hussein, c’est un syndic. Le syndic des dirigeants d’un monde qui craque de partout, et notamment au Proche- Orient.

Tous ces gens-là sont inquiets. Inquiets de ce qui va se passer en Jordanie d’abord. La succession d’Hussein a été fiévreusement modifiée et on a fait ce qu’il fallait pour que l’héritier du pouvoir soit un jeune homme bien sous tous rapports : militaire de carrière, formé dans les meilleures écoles anglaises et américaines. Avant même la mort d’Hussein, les Etats-Unis et les monarchies du Golfe se sont empressés de remplir les caisses de la banque jordanienne de plusieurs centaines de millions de dollars. Ils sont tous venus pour soutenir le régime d’Hussein et de son successeur. Les dirigeants occidentaux, fine fleur de la démocratie et du progrès, se sont volontiers soumis à ses règles qui exigeaient qu’aucune femme n’apparaisse lors de ces obsèques. Il faut bien soutenir les traditions qui garantissent l’ordre local.

Mais il n’y a pas que la Jordanie qui les préoccupe. Le " processus de paix " entre Israël et l’Egypte, l’OLP ou la Jordanie n’a rien apaisé, rien réglé. S’il y a un processus, c’est celui d’accumulation de misère et de révolte non seulement dans les territoires palestiniens, non seulement dans les camp de réfugiés, mais encore parmi toutes les masses opprimées d’Egypte, de Jordanie, d’Irak, et en général de tous les pays de cette région gorgée de pétrole et couverte de dictatures.

Les crises sismiques du système capitaliste à l’échelle de la planète, l’incapacité des dirigeants impérialistes à répondre aux aspirations des peuples font du monde entier une poudrière. Tous les pouvoirs se sentent menacés par leurs propres peuples et par les peuples voisins. Il n’y a pas que les crises financières qui sont contagieuses, les révoltes le sont tout autant. Les dirigeants des Etats, au Proche-Orient et partout ailleurs, le savent bien.

L’un des leurs, un parmi d’autres qui avait relativement, à coup de tromperies et de massacres, réussi à contenir les éruptions populaires, disparaît, et mus comme par un instinct grégaire ils se retrouvent tous comme pour se dire, " tenons bon ".

  

Nouveau procès Papon : le cynisme du coupable qui accuse pour masquer ses crimes

Papon, condamné l’an dernier à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité, et toujours en liberté, vient d’intenter un procès en diffamation au journaliste Jean-Luc Einaudi qui a révélé et dénoncé son rôle en tant que préfet de police dans la répression sanglante de la manifestation des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961.

Ce jour-là, en pleine guerre d’Algérie et alors que des négociations venaient de s’ouvrir entre le gouvernement français et les dirigeants nationalistes algériens, le FLN appelait à une manifestation pacifique contre le couvre-feu instauré pour la population algérienne à Paris.

Alors que plus de 20 000 Algériens sans armes affluaient vers le centre de Paris, la police parisienne, sous les ordres directs de Papon, déclencha une répression sanglante. Des centaines de manifestants, victimes d’une véritable chasse à l’homme, furent roués de coups, torturés, des dizaines furent assassinés. 8 000 manifestants, embarqués dans des bus de la RATP, furent internés plusieurs jours dans des stades, comme au temps de l’Occupation. Il y eut 11 500 interpellations. Dans les jours qui suivirent, plus de 200 cadavres d’Algériens furent repêchés dans la Seine. Officiellement, la manifestation fit deux morts.

Il s’agissait alors pour le pouvoir gaulliste de faire taire et de réprimer toute opposition des Algériens de France contre la sale guerre coloniale qu’il menait en Algérie. Le gouvernement réussit à imposer le silence sur ces événements par la censure, l’intimidation et les menaces contre les journalistes témoins des massacres. Complices, les journaux se turent, de même que les partis de gauche qui, au pouvoir quelques années plus tôt, avaient assumé la pleine responsabilité de la guerre contre le peuple algérien.

Tous les pouvoirs qui se sont succédés depuis, solidaires, ont maintenu le silence sur les événements du 17 octobre, toute trace des faits et la plupart des archives ayant été détruites. L’an dernier, le voile a été en partie levé à l’occasion du procès de Papon, durant lequel la responsabilité de l’ancien préfet de police de Paris a été révélée et dénoncée par Jean-Luc Einaudi. C’est pour masquer cette responsabilité et justifier la répression contre les Algériens que Papon, accusé, se retourne aujourd’hui contre son accusateur. C’est avec le même cynisme et la même arrogance qu’il affichait l’an dernier à son procès à Bordeaux, le cynisme du haut fonctionnaire qui a servi sans faillir l’Etat dans toutes ses fonctions de répression, qu’il étale ses mensonges. Cette " malheureuse soirée ", n’a fait " tout au plus que quinze à vingt morts ", admet-il aujourd’hui, victimes d’un " règlement de compte entre factions algériennes rivales ". Se couvrant de l’autorité de De Gaulle qui lui aurait alors dit de " tenir Paris ", il justifie le rôle de la police qui devait " protéger la population, y compris les Algériens exposés aux rapines et aux exactions du FLN... " et affiche son mépris social lorsqu’il déclare : " Si la masse n’avait pas été arrêtée là, les colonnes s’en allaient envahir les Champs-Elysées en se fanatisant au fur et à mesure de leur progression ". Les trois policiers témoins qui dénoncèrent le massacre de 50 Algériens dans la cour même de la préfecture ? " Un noyau de gauchistes activistes ", répond Papon. Les photos sauvées par le photographe Elie Kagan pendant la manifestation ? " Je n’y crois pas du tout, c’est du montage "... Quant aux nombreux témoignages sur les brutalités policières, " ils sont suspects. Que ne sont-ils venus réclamer à ce moment-là ? Ils auraient dû dénoncer ces crimes ! " a-t-il déclaré.

Des déclarations qui ressemblent plus à des aveux... mais il ne reste plus à Papon que l’agression et les mensonges contre la réalité têtue des faits.