éditorial



Face au rouleau compresseur des intérêts capitalistes,
les travailleurs des villes et des campagnes
doivent se battre ensemble pour construire
une Europe socialiste et démocratique

Après les manifestations de colère des agriculteurs la semaine dernière, la télévision nous montre à présent les scènes paisibles des familles venant visiter le Salon de l’agriculture. Le ministre de l’Agriculture, Jospin ou Chirac défilent les uns après les autres pour faire l’accolade à des paysans en tenue folkloriques, caresser les moutons ou déguster les produits du terroir. Tous les politiciens viennent se montrer pour se faire bien voir des agriculteurs. L’exercice est difficile car leur politique est dirigée autant contre le monde du travail des campagnes que contre celui des villes.

Ce salon de l’Agriculture est en lui-même un spectacle où le public est prié de s’extasier devant les produits et les bêtes les plus performants. Il est bien à l’image de toute l’économie actuelle. Dans ce secteur de l’activité humaine qu’est l’agriculture comme dans ceux de l’industrie, du bâtiment ou du commerce, c’est la course aux records, aux profits, à la rentabilité ; tout cela au mépris des travailleurs, de leur santé, de leur bien-être et de leur avenir.

Au mépris des intérêts de toute la société, les campagnes se désertifient, des champs sont mis en jachère, des usines et des chantiers navals sont fermés et se transforment en " friches industrielles " tandis que les banlieues populaires se dégradent.

Le rouleau compresseur des intérêts capitalistes accélère sa course dans les villages comme dans les villes. Pour engranger toujours plus de profits, il faut faire vite, toujours plus vite, et c’est pourquoi les financiers et tous les capitalistes du secteur agro-alimentaire poussent les chefs d’Etat et ministres de l’Union européenne à prendre des mesures en leur faveur au cours de réunions interminables où s’étalent au grand jour leurs intérêts rivaux.

Il y a des tiraillements entre la France et l’Allemagne sur la façon de diminuer les subventions aux agriculteurs européens. Les bourgeois allemands ne veulent pas se faire rouler par les bourgeois français et vice-versa. C’est ce que les uns et les autres appellent sans rire la défense de " notre agriculture ".

Sous prétexte de construire l’Europe, les financiers et les chefs d’Etat européens détruisent les conditions d’existence de centaines de milliers de petits producteurs agricoles. Ils ne divergent entre eux que sur la façon de le faire mais ils sont bien tous d’accord pour faire des coupes importantes dans le budget européen consacré à l’agriculture, quelles qu’en soient les conséquences pour les petits producteurs. Ils appellent cela la PAC, la politique agricole commune. C’est un pacte passé entre les brigands capitalistes de l’Union européenne pour que les agriculteurs se retrouvent sous le feu de la concurrence à l’échelle mondiale, sans aucune subvention des Etats ou de la Communauté européenne. La conséquence en sera l’effondrement des prix agricoles à la production, ce qui permettra aux grandes surfaces par exemple de faire davantage de profits, sans que cela diminue pour autant le prix des denrées pour les consommateurs.

Pendant que les gouvernants mènent leurs tractations, un autre marathon agricole se déroule dans les campagnes. Plusieurs millions d’agriculteurs européens, lourdement endettés auprès des banques, sont contraints à un rythme de travail infernal pour ne pas être évincés du marché des produits agricoles.

Tous ceux qui ne sont pas assez compétitifs feront faillite et ils seront nombreux à basculer dans la précarité. Leur sort actuel n’est guère plus enviable que celui des salariés. Qu’on soit travailleurs " indépendants " comme eux, ou travailleurs salariés comme nous, le système capitaliste exige toujours plus de rendement, avant de nous expulser brutalement de la vie active.

Il serait absurde de confondre les agriculteurs qui travaillent dur comme nous avec les gros céréaliers milliardaires qui ramassent l’essentiel des fameuses subventions européennes. Ce serait nous laisser diviser par les gouvernants au service des capitalistes. Cela n’a pas plus de sens que de mettre sur le même plan les gros actionnaires de Renault et les ouvriers de Renault, sous prétexte qu’ils seraient tous " dans l’automobile ".

Les bourgeoisies européennes coordonnent leurs attaques contre les travailleurs. Si nous les laissions faire, cela aurait pour effet d’accroître la misère partout, de saccager nos conditions d’existence et de rendre toute la vie sociale insupportable. Les travailleurs des villes et des campagnes doivent s’unir pour défendre leurs droits fondamentaux à bien vivre de leur travail. Ils doivent s’unir pour coordonner leurs luttes, s’attaquer sans hésitation à la propriété privée de ceux qui les exploitent et préparer ainsi la construction d’une Europe socialiste et démocratique où il fera bon vivre pour les travailleurs, pour la jeunesse et pour tous les peuples.

Retraites : patronat et gouvernement veulent nous faire cotiser plus longtemps et nous préparent des pensions de misère

Les conclusions du rapport de Jean Michel Charpin, commissaire au Plan, sur l'avenir du système de retraites viennent de tomber : il préconise d'augmenter la durée de cotisation des salariés du secteur public comme du privé. Il faudrait avoir travaillé 42 ans et demi ce qui, compte tenu de l'allongement de la scolarité mais aussi des difficultés pour trouver un premier emploi, pourrait signifier la retraite à 67 ans ou davantage.

Ces propositions ne constituent pas une surprise : depuis plusieurs années, une campagne est menée pour préparer l'opinion à de telles mesures. Cette campagne, qui prédit un avenir catastrophique pour nos retraites à partir de projections plus ou moins fantaisistes sur l'évolution de la population active, s'est accentuée ces derniers mois avec le rapport de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse et les " révélations " sur les travaux du Commissariat au Plan. Et maintenant nous avons droit à une abondance de chiffres – les charlatans sont toujours extrêmement précis dans ce domaine - pour justifier une formidable régression sociale.

Le patronat ne s'est jamais totalement résigné aux retraites ouvrières, du moins sous la forme de la répartition financée par des cotisations sociales qu'il dénonce comme autant de charges insupportables. Pour les capitalistes, qui cherchent par tous les moyens à tirer les salaires à la baisse, l'entretien de vieillards inactifs est une dépense inutile. Le système actuel, où le travailleur s'ouvre un droit à un salaire différé, a été instauré à une époque où la bourgeoisie a dû accepter d'importantes concessions pour désarmer la classe ouvrière et, avec la complicité du PCF et de la SFIO, reconstruire son Etat. Cela pouvait encore passer quand l'espérance de vie des salariés, usés par le travail, atteignait à peine 65 ans, mais pas s'ils se permettent de vivre jusqu'à 80 ans. Cet argument de la longévité est d'ailleurs largement utilisé.

En réalité, ni le patronat ni le gouvernement ne croient qu'il est possible d'allonger la durée de la vie active. Retarder l'âge du départ en retraite n'aboutirait qu'à aggraver le chômage et irait en sens inverse de tous les dispositifs de départ anticipé mis en place ces dernières années. Augmenter le nombre d'annuités de cotisations signifie donc interdire à de nombreux salariés de bénéficier d'une pension à taux plein : beaucoup risquent donc de se retrouver avec une vieillesse misérable, sauf à épargner, s'ils en ont les moyens, pour se constituer une retraite complémentaire. C'est entre autres ce à quoi on cherche à nous inciter, ce qui montre combien les " prélèvements obligatoires " incommodent peu les capitalistes pour peu qu'ils soient opérés dans nos poches et servent à leurs bénéfices.

Rien de tout cela n'est fatal. Prétendre que d'ici 30 ou 40 ans, le poids de la solidarité entre générations deviendra insupportable est une falsification. Tout dépendra du nombre d'actifs, et donc à contrario du taux de chômage qui non seulement diminue aujourd'hui les ressources des caisses de retraite mais dissuade une partie de la population de chercher du travail (on constate un recul du taux d'activité des jeunes femmes).Tout dépendra également du volume des richesses produites et de leur répartition. Qu'elles soient, comme aujourd'hui, accaparées par une minorité de profiteurs ou qu'elles servent au bien-être du plus grand nombre est un enjeu de la lutte des classes.

Dans cette lutte, le gouvernement Jospin a choisi son camp : comme ses prédécesseurs de droite ou de gauche, il multiplie les exonérations de charges sociales au bénéfice du patronat et savait parfaitement ce qu'il faisait en commanditant le rapport Charpin. D'autres lui emboîtent le pas, comme Nicole Notat, qui a immédiatement réclamé la " remise en chantier " de la réforme des régimes de retraite du secteur public : la dirigeante de la CFDT demeure fidèle à son soutien au plan Juppé, qu'elle voudrait voir parachevé par le gouvernement de la " gauche plurielle ". Et bien timorées apparaissent les réactions des autres responsables syndicaux.

Un " plan Jospin " reprenant à son compte les propositions du rapport Charpin nous trouverait tout aussi résolus qu'en décembre 1995, avec la ferme volonté d'unir les salariés du public et du privé pour imposer notre droit à une retraite décente.