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Couverture maladie universelle : une aumône de dame patronnesse qui ouvre la Sécu aux assureurs privés

Le gouvernement vient de boucler son projet sur la couverture santé pour tous, qui sera discuté au Parlement fin avril, pour entrer en vigueur en l’an 2000. La mesure consiste à accorder l'accès à la sécurité sociale à ceux qui en étaient exclus, et l'accès gratuit à une mutuelle complémentaire à ceux qui disposent d'un revenu inférieur à 3500 F. 6 millions de personnes seraient concernées, tous ceux qui ne bénéficiaient d'aucune couverture complémentaire, essentiellement les chômeurs (40 % d'entre eux n'en possèdent pas), les jeunes, et les ouvriers non qualifiés (72 % d'entre eux seulement ont une complémentaire).

Les inégalités devant la santé se sont accrues du fait des réformes engagées dès le début des années 80 : création du secteur 2 (à honoraires libres) pour les médecins libéraux, du forfait journalier hospitalier, en 1985 ; baisse du remboursement des médicaments, etc. Tous ces plans d'économie ont considérablement réduit la prise en charge des soins. La conséquence, c'est la réapparition de maladies que l'on avait éradiquées (la gale ou la tuberculose), ou de maladies qui se propagent parce que non dépistées et non soignées (comme les MST qui supposent de consulter un gynécologue, c'est-à-dire un spécialiste généralement à honoraires libres) ou encore des problèmes graves liés à la malnutrition. Les instituteurs s'inquiètent de la dégradation actuelle de la santé des enfants scolarisés, parce que les dépenses de santé passent après la nourriture et le loyer pour un nombre croissant de familles pauvres, qui ne peuvent plus envoyer leurs enfants soigner tous les problèmes de surdité, dentition, malformations, myopie, etc, qui se développent dans les premières années. Il était donc nécessaire de prendre des mesures radicales pour permettre l'accès à une " médecine de qualité pour tous ".

Au lieu de cela, le projet Aubry se limite à un RMI de la santé, un minimum proposé aux plus pauvres dont une partie du financement sera assurée par l'argent aujourd'hui donné aux départements pour l'aide médicale gratuite. Et il n'a rien d'une " couverture universelle " puisqu'il est rationné aux personnes ayant un revenu inférieur à 3500 F. Or, le problème essentiel aujourd'hui concerne toute cette partie de la population qui vit avec des salaires très bas " le phénomène nouveau des gens qui travaillent mais n'arrivent plus à joindre les deux bouts " comme l'explique le Président du Secours populaire français, ou de petits boulots, alternant emplois et chômage, jeunes précaires, femmes vivant avec des minima et de courtes périodes d'emplois, généralement à temps partiel. Au total, plusieurs millions de personnes, ne pouvant payer les 400 F mensuels d'une mutuelle, et pour qui une simple avance de frais chez le médecin, le ticket modérateur, la consultation d'un médecin à honoraires libres, le forfait hospitalier (73 F par jour), des soins dentaires ou le remplacement d'une paire de lunettes, représentent une difficulté insurmontable. Selon une enquête récente, c'est un quart de la population qui déclare ainsi renoncer à des soins médicaux par manque de moyens.

C'est une avancée sociale majeure, une des plus importantes de l'après-guerre " d'après Martine Aubry. En réalité, cette mesure nous renvoie au début du siècle, à l'époque des dispensaires et autres soupes populaires. En même temps, les personnes concernées ayant le choix de s'inscrire auprès d'une mutuelle, d'un institut de prévoyance, d'une compagnie d'assurance privée au même titre que la Sécurité sociale, elle renforce l'introduction des assureurs privés dans la gestion de la protection sociale et prépare un système de soins à deux vitesses. Il y a déjà beaucoup de différences dans les taux de remboursement d'une mutuelle à une autre. On peut donc se demander ce que sera la qualité et le taux de remboursement des soins offerts par ces " complémentaires du pauvre ".

Exactement comme avec le RMI, instauré pour calmer les drames les plus criants d'une société qui rejette de la production une fraction toujours plus grande de la population, le gouvernement jette, comme une aumône, une couverture trouée sur les problèmes les plus urgents de la santé, après avoir lui-même exclu de l'accès à la santé une fraction grandissante des travailleurs. Il prépare l'introduction d'une " couverture santé " pour les pauvres et pour les autres, ceux qui le pourront, une sécurité sociale réduite, avec le recours aux mutuelles et aux assurances privées. Exactement comme pour les retraites.

Ratification par les députés du Traité d’Amsterdam : au ballet des démagogues de l’Europe, opposons la perspective des Etats-Unis socialistes et démocratiques d’Europe

La ratification du Traité d’Amsterdam le mercredi 3 mars, par une majorité écrasante des députés (447 voix contre 75), sera passée quasiment inaperçue, tant les jeux étaient faits d’avance, et tant ce traité en lui-même ne contient rien qui ne soit déjà en place. Mais elle a donné lieu, de la part de tous ces politiciens, à une comédie bien révélatrice des préoccupations démagogiques qu’il y a derrière leurs discours passés ou présents contre Maastricht, Amsterdam ou la monnaie unique.

Le ralliement des politiciens à l’euro éclaire leur démagogie d’hier

Jusqu'à la fin 1996, où s’est réellement décidée la mise en place de l’euro, une grande partie des " Européens convaincus " d’aujourd’hui avaient fait du " non " à Maastricht et à la monnaie unique leur cheval de bataille. En 92, Seguin, le dirigeant du RPR, menait campagne pour le " non " au référendum. En 95, Chirac avait demandé la tenue d’un référendum sur la monnaie unique et en août 97, le journal " Le Monde " publiait, à la une, une interview du socialiste Jack Lang : " Je ne ratifierai pas le Traité d’Amsterdam ".

Tous ceux-là et beaucoup d’autres qui étaient contre à cette époque, ont voté pour mercredi dernier, Jack Lang tenant à féliciter Chirac de son discours européen enthousiaste, tandis que la majorité du RPR, Seguin en tête, a voté comme un seul homme avec le Parti socialiste.

Restait seulement, pour tous les chefs de la droite plurielle qui ont voté oui, à se différencier en vue des élections et des courses aux postes à venir, de Bayrou à Seguin ou Millon.

A l’inverse, et pour les mêmes raisons - il faut bien se différencier du PS -, au sein de la gauche plurielle, les Verts, en disant que c’étaient de " trop petits pas " vers l’Europe, ont tenu à voter contre, de même que les députés du Parti communiste et du Mouvement des Citoyens de Chevènement, alors qu’ils ont les uns et les autres entériné la mise en place de l’euro au gouvernement. Mais la palme du retournement de veste, c’est Chevènement qui l’a décrochée, dimanche dernier, en annonçant que le Mouvement des Citoyens qu’il dirige allait faire liste commune avec le PS.

Quelles que soient les contorsions des uns et des autres, la grande majorité des politiciens, à l’exception des plus réactionnaires, comme Pasqua, De Villiers, Le Pen et Mégret, s’est ralliée à l’Europe de l’euro et de la Banque Centrale européenne, en bons serviteurs de la bourgeoisie, alors que celle-ci juge aujourd’hui ne pouvoir défendre ses intérêts que dans le cadre de cette Europe.

Maastricht, Amsterdam, euro : l’adaptation des bourgeoisies à l’évolution du capitalisme

Ses réticences devant une monnaie unique européenne, sa répugnance à voir son Etat abandonner ses prérogatives monétaires, ont été balayées par l’évolution, ces dernières années, du capitalisme. De nécessité, elle et ses politiciens ont fait vertu. Le marché unique, que les bourgeoisies européennes ont eu besoin d’établir pour faire face à la concurrence américaine, ne pouvait plus s’accommoder de l’existence de plusieurs monnaies nationales, alors que les Etats-Unis ont réussi à imposer, à la fin des années 80, l’ouverture quasi-complète à la concurrence des marchés nationaux et la libéralisation des mouvements de capitaux. Pour faire face à la concurrence des trusts américains ou asiatiques, les trusts des pays européens ont besoin en effet d’un marché " domestique ", protégé des fluctuations monétaires, à la taille d’un continent. L’aggravation de la crise et, avec elle, de la concurrence, a poussé les bourgeoisies européennes à accélérer la mise en place de cette monnaie unique qui n’était qu’hypothétique au début des années 90.

Le Traité de Maastricht, signé en 1992, mais qui n’a été réellement adopté qu’en 1996, ne fait que codifier les conditions d’une adaptation à ces transformations, avec entre autres les " critères de convergence " qui permettent l’existence et la viabilité d’une monnaie unique à plusieurs économies nationales. Le Traité d’Amsterdam, n’y ajoute que des déclarations d’intention sur une Europe politique, les bourgeoisies européennes étant bien incapables de s’engager sérieusement dans la construction d’un Etat européen. Ces traités, et la mise en place de l’euro, ne font que suivre une évolution économique qui a exacerbé la concurrence entre les trusts sur des marchés restreints par la crise, et qui pousse ces derniers, pour accroître leurs profits, à tailler dans leurs effectifs, et à exiger des Etats qu’ils leur abandonnent une partie toujours plus importante de leurs ressources, en amputant lourdement les budgets des services publics et de la protection sociale. Evolution et offensive des trusts à laquelle n’échappent pas les populations des pays restés en dehors de l’Union européenne ou de l’euro, comme le montre par exemple la Grande Bretagne.

Contre l’Europe des capitalistes, contre le repli national, voie des aventures de l’extrême-droite, pour une Europe démocratique et socialiste des travailleurs et des peuples

Le ralliement du Parti communiste et du Mouvement des Citoyens éclaire leur démagogie d’hier, quand ils menaient, contre le Traité de Maastricht ou contre la monnaie unique, une campagne destinée à dévoyer, en s’appuyant sur les préjugés nationalistes, l’inquiétude et la révolte légitimes de leurs militants ou sympathisants devant les désastres sociaux causés par cette évolution économique. Agiter l’idée de la lutte pour l’abrogation de ces traités, alors que seul le renversement de la bourgeoisie pourrait anéantir la logique de l’évolution capitaliste dont ils ne sont que l’expression, revient en fait à demander aux gouvernements bourgeois de le faire, en troquant leur politique libre-échangiste actuelle contre une politique protectionniste. C’est en toute logique que ces partis se retrouvaient, lors du référendum sur le Traité de Maastricht, dans le même camp du " non " que tous les politiciens les plus réactionnaires, de Pasqua au Front national. Il n’est pas exclu que les bourgeoisies à l’avenir reviennent sur ces traités, dans un autre contexte économique, d’une récession généralisée poussant au protectionnisme, au repli national. Ce serait alors bien pire, la voie ouverte à une extrême-droite qui postule à diriger l’embrigadement des populations derrière le chauvinisme et le militarisme.

Il faut certes dénoncer ces traités et leurs conséquences dramatiques, mais en sachant qu’ils ne sont que la codification de l’adaptation des bourgeoisies, qui ne veulent pas se séparer de leur Etat national, à l’évolution économique qui les pousse à l’unification économique à l’échelle européenne. Empêtrées dans ces contradictions, les bourgeoisies ne peuvent construire l’Europe qu’à travers des crises et des convulsions violentes. La classe ouvrière y aura un rôle décisif à jouer, la perspective d’Etats-Unis socialistes et démocratiques d’Europe, débarrassés de la main mise de l’oligarchie capitaliste, étant la seule voie pour éviter le talon de fer des trusts, et permettre le progrès immense que sera la libre coopération des peuples à l’échelle de l’Europe.

Allègre ne modernise pas. Sa réforme, c'est le libéralisme dans l’enseignement
Enseignants, lycéens, salariés, tous ensemble le 15 et le 20 mars

Jeudi 4 mars, Allègre a présenté la dernière mouture de sa " réforme des lycées " devant le Conseil Supérieur de l’Education : le ministre s’est présenté comme un homme de dialogue… face à des interlocuteurs acquis d’avance à sa cause. En effet, les relais du Parti socialiste forment la majorité de cette instance : FEN, association de parents d’élèves FCPE, syndicat lycéen FIDL… L’aval de ces organisations à la politique d’Allègre n’est pas une surprise. Seul le SNES a marqué son désaccord.

Les maîtres-mots du texte d’Allègre sont " l’égale dignité ", " la justice sociale ", " l’aide individualisée aux élèves " : comment ne pas être d’accord avec cela ? Pour tous ceux qui sont confrontés aux sureffectifs, à l’absence de dédoublement des classes, Allègre semble offrir une solution. Mais ce n’est que poudre aux yeux puisque tout cela est incompatible avec la politique du même Allègre de suppressions de postes, de diminution des postes au concours, de précarisation du personnel d’éducation. Sans compter que les crédits d’heures pour cette aide individualisée seront attribués aux établissements après " présentation de projets ", c’est-à-dire après une mise en concurrence pour le partage de quelques miettes. Ces crédits seront remis en cause chaque année, en fonction des résultats obtenus par les élèves… les professeurs et les élèves devenant soumis à des obligations de résultat pour mériter quelques moyens. Cela ira de pair avec le renforcement du pouvoir des proviseurs, chargés d’apprécier le rendement des enseignants !

La diminution des heures de cours des lycéens (en français, langues, philo, histoire-géographie…) est une façon directe de diminuer encore le nombre de postes de professeurs sous le prétexte d’offrir aux élèves une autre façon de travailler, au CDI, en salle informatique par exemple… Mais le ministère n’a pas l’intention de créer des postes de documentalistes ou d’informaticiens. Il se contentera d’emplois-jeunes, comme pour bien montrer aux lycéens que c’est là le seul avenir auquel ils auront droit.

Pour l’enseignement professionnel, les enseignants devront faire des stages en entreprises durant l’été… pour mieux envoyer leurs élèves dans les mêmes entreprises durant l’année scolaire : de véritables contrats seront signés entre des entreprises, un lycée et les élèves. Le lycéen s’habituera très tôt " au monde du travail " c’est-à-dire à son avenir d’exploité. Les diplômes professionnels nationaux seront à terme remplacés par des diplômes locaux ou spécifiques à une entreprise, qui choisira sa main d’œuvre parmi les meilleurs élèves.

Loin d’être une réforme, ce texte est une étape vers une libéralisation accrue et une déréglementation du service public d’éducation. Il s’ajoute à toutes les autres " réformes " impulsées par le gouvernement actuel de la maternelle à l’université et qui vont toutes dans le même sens.

Le front du refus de telles attaques doit apparaître le plus massif possible lors des mobilisations des enseignants durant la semaine du 15 au 20 mars, et ceux-ci doivent populariser leur mouvement auprès des jeunes et de leurs parents, qui sont les cibles directes de la démagogie d’Allègre.

Mobilisation des enseignants, parents et élèves de Denain (59), contre l'école au rabais

C'est l'annonce d'un projet de supprimer des filières entières dès la rentrée prochaine sur les deux lycées de Denain qui a mis le feu aux poudres. Suppression de la filière technologie et littéraire (STT et L) sur le lycée Kastler, classé sensible, suppression de la filière économique et social (ES) sur le lycée Mousseron, filières qui existent actuellement sur les deux établissements. Au rectorat, on explique qu'il s'agit de rendre les deux lycées " complémentaires " " rationaliser " l'offre, prétexte commode pour supprimer des postes d'enseignants et rentabiliser au maximum les équipements et les locaux.

Les élèves refusent d'être pris pour des pions et veulent pouvoir terminer leur scolarité dans le même établissement. Quelque 200 élèves du lycée Kastler seront obligés de changer de lycée dès l'an prochain et ne bénéficieront plus des conditions d'encadrement et de travail accordées aux zones sensibles, alors que l'autre lycée, le lycée Mousseron, a depuis longtemps dépassé ses capacités d'accueil et qu'il y manque de tout, locaux, matériels, ce qui a rendu la situation plus explosive encore.

Dès l'annonce du projet, des contacts ont été établis entre les profs des deux établissements, les parents d'élèves et les élèves. Une motion commune dénonçant " la logique comptable, les suppressions de postes et les économies faites sur le dos des élèves et du personnel " a été adoptée par les conseils d'administration des deux lycées et le principe d'une grève reconductible a été voté sur le lycée Mousseron.

Jeudi 4 mars, une manifestation a regroupé quelque 800 personnes, enseignants, élèves et parents dans les rues de Denain aux cris de " Tous ensemble ! ", Lycéens en colère, y'en a marre de la galère ! ", Assez de mépris, on n'est pas des pions ! ".

La grève a été reconduite le vendredi par les élèves qui ont décidé de manifester devant l'inspection académique de Valenciennes mardi 9 mars, une manifestation qui a été un succès.

Une délégation a été reçue par le maire communiste de Denain qui a promis de mettre des bus à notre disposition pour manifester en nombre au rectorat à Lille le 12 mars, démarche qui a également été faite par des élèves, des enseignants et des parents vis-à-vis de l'ensemble des municipalités du secteur qui ont dans leur grande majorité apporté leur soutien à notre mouvement.

Rien n'a été obtenu pour le moment mais le mouvement est l'occasion de très nombreuses discussions, discussions au cours desquelles le sentiment d'avoir des intérêts communs à défendre s'est développé, sentiment exprimé par le slogan " Tous ensemble ! ".

Le mouvement est l'occasion de tisser ou retisser des liens qui n'existaient plus depuis longtemps entre enseignants des deux lycées, parents et élèves. Entre militants aussi, puisque beaucoup de parents mobilisés militaient à la CGT et au PC avant d’être jetés au chômage quand l’usine Usinor a fermé, ce qui a fait de la ville une zone sinistrée. C’est l’occasion de confronter les points de vue, de discuter de la politique du gouvernement, de poser les problèmes de l'éducation, de la jeunesse et de la société de façon collective, de raisonner non plus en tant qu’" enseignant ",élève " ou " parent " mais en tant que membres d'une communauté en lutte contre la politique d’économies et la logique du fric dans l’éducation.