éditorial



Les enseignants se mobilisent contre la politique du gouvernement et contribuent à ouvrir une brèche pour qu’une force politique nouvelle s’organise et prépare les luttes

Quel réconfort pour le ministre de l’Education Allègre ! Jospin en tête, tous les ministres du gouvernement le soutiennent, lui et sa " réforme ". Entre les quatre murs du Conseil des ministres, tout va bien pour Allègre. Mais dès qu’on ouvre les fenêtres de Matignon et qu’on observe ce qui se passe dans les rues de Paris et dans la plupart des villes du pays cette semaine, c’est une autre affaire.

La colère des salariés de l’Education nationale, dans les écoles, les collèges et les lycées s’exprime au cri de " Allègre bouffon " et " Jospin trahison ". Une vague de mécontentement se lève non seulement contre Allègre dont ils réclament à juste titre la démission, mais bien plus encore contre la politique du gouvernement qui, de façon sournoise, sous prétexte de modernisation et d’amélioration du système scolaire vise à démolir progressivement ce service public.

Allègre a prévu une réforme et une carte scolaire pour la rentrée de septembre qui vont se traduire par des manques encore plus criants d’instituteurs, de professeurs, de bibliothécaires, d’infirmières et de personnels spécialisés pour aider les enfants en difficulté. Derrière leurs phrases onctueuses, Allègre et Jospin veulent faire des économies sordides dans le budget de l’Etat consacré à l’éducation. Et du coup, ils vont pousser encore plus loin la régression générale des conditions d’enseignement. Cela se retournera aussi bien contre les élèves, les salariés de l’enseignement que contre les parents d’élèves.

Dans l’enseignement comme dans les autres services publics, à la Poste, à la SNCF ou dans les hôpitaux, le gouvernement bloque les effectifs ou il en supprime. Il remplace des postes complets avec statut par des emplois précaires, mal rémunérés et sans titularisation possible. Il veut dépenser de moins en moins pour tous les services publics et cherche de plus en plus à les mettre sous la coupe des intérêts privés. Il supprime des classes dans les établissements scolaires comme il supprime des maternités, des hôpitaux, des bureaux de poste ou des lignes de chemin de fer. Le maître mot qui décide de tout pour le gouvernement est la rentabilité. Tant pis pour les élèves, tant pis pour les malades, les usagers des transports en commun, tant pis pour les personnes âgées.

L’argent de l’Etat, c’est-à-dire de nos impôts, le gouvernement le consacre avant tout aux capitalistes. Pour pouvoir, par exemple, colmater les trous engendrés par les gros spéculateurs dans les caisses du Crédit Lyonnais, pour que cette banque soit privatisable c’est-à-dire alléchante pour les gros actionnaires, ce gouvernement et ses prédécesseurs auraient versé entre 102 et 147 milliards depuis 1995. Quand il s’agit de dilapider l’argent en faveur d’une minorité de gros profiteurs, les comptes ne sont pas plus précis que cela ! Mais il faut voir avec quelle rigueur impitoyable, avec quelle précision révoltante, les gouvernants et les patrons décrètent que dans tel ou tel service, bureau, entreprise, il y aurait des " sureffectifs " qui sont pour eux autant " d’abus intolérables ".

Les enseignants luttent actuellement pour les mêmes raisons qui avaient mis en mouvement les lycéens en octobre et novembre dernier contre la politique " libérale " du gouvernement ; une politique qui supprime des postes et des moyens éducatifs, une politique qui aboutit à l’asservissement total de l’Education nationale aux intérêts des capitalistes et contribue à l’aggravation du chômage.

La lutte des enseignants arrive à la suite des mobilisations des chômeurs, des jeunes et de nombreux salariés pour la défense de leur emploi et de leur pouvoir d’achat. Nous ne devons pas hésiter à apporter notre soutien et à participer à la mobilisation des enseignants du samedi 20 mars. Au travers de toutes nos luttes une force sociale nouvelle est en train de naître et de prendre conscience d’elle-même. Salariés, chômeurs, jeunes, tout le monde doit se retrouver au coude à coude et donner une expression politique à cette force montante sur tous les terrains.

Nombre d’enseignants en lutte ont affirmé qu’ils sanctionneraient le gouvernement aux prochaines élections européennes. Ils ont raison car tout se tient, la lutte revendicative et son expression politique. A condition qu’elle soit la plus claire, la plus tranchée possible.

Pour nous, salariés, chômeurs et jeunes, le seul vote sanction de la politique du gouvernement au service des capitalistes sera le vote pour la liste d’extrême gauche, la liste LO-LCR conduite par Arlette Laguiller et Alain Krivine.

Ce geste sera pour nous comme un cri de ralliement si nous entreprenons dès maintenant le regroupement politique de toutes les forces permettant de changer notre sort. Ce qui voudra dire : briser la logique désastreuse du profit et nous donner les moyens d’exercer notre contrôle sur toute l’économie et toute la société.

Crise de la Commission européenne : l'Europe des banquiers et des trusts ne peut être que corrompue et antidémocratique

" Coup de tonnerre ", " séisme ", c’est ainsi que la presse et la radio, parlaient, mardi matin 16 mars, de la démission en bloc de la Commission européenne, à la suite de la publication d’un rapport sur les accusations de " fraude, mauvaise gestion et de népotisme " portées contre elle. Quelques heures plus tard, la grande majorité des dirigeants politiques européens faisaient de cette crise une " grande victoire de la démocratie européenne ", selon l’expression du dirigeant socialiste Hollande. Façon de faire bonne figure en opposant, à quelques semaines des élections européennes, un Parlement européen qui serait le garant d’un contrôle démocratique à une Commission européenne pas assez " proche des citoyens ".

Une enquête commandée par le Parlement européen pour tenter de limiter le scandale

C’est pour le moins travestir la réalité. C’est à la suite de révélations publiques sur ces fraudes et malversations que le Parlement européen avait, en janvier dernier, demandé une commission d’enquête. Le rapport publié lundi par ce "comité des cinq sages " n’apprend pas grand chose de plus que ce qui avait déjà été divulgué. Il charge un seul des commissaires européens, Edith Cresson, pour atténuer la responsabilité individuelle de tous les autres. Qui plus est, le fonctionnaire néerlandais qui avait dénoncé les fraudes de la Commission européenne, avait été suspendu de son poste, avec un salaire réduit de moitié, sans que cela suscite beaucoup d’indignation démocratique au sein du Parlement de Strasbourg.

Le rapport révèle qu’Edith Cresson a fourni pendant 18 mois un poste de complaisance à un de ses amis, Berthelot, qui, nanti d’un contrat de " visiteur scientifique ", a touché pendant 18 mois un salaire de 30 000 F par mois, avec pour tout travail la production d’une vingtaine de pages de notes, et en prime, la jouissance d’un appartement à Bruxelles d’un loyer de 13 000 F par mois. D’autres amis ont été ainsi embauchés, comme le fils de Berthelot, et Spinetta, actuel PDG d’Air France, " expert national détaché " pour 18 000 F par mois. En charge de la Recherche et de la Formation professionnelle, avec un budget de 4,5 milliards de F, Cresson avait créé un Bureau d’assistance technique, AGENOR, qui employait des parents de hauts fonctionnaires européens, tel ce professeur anglais qui touchait 33 000 F par jour de prestation.

Si les faits concernant Cresson sont si précis, c’est qu’ils avaient déjà été divulgués dans la presse par un de ses " amis ", Perry, le dirigeant d’une société qui a bénéficié pendant 25 ans des juteux contrats de la Commission européenne, jusqu’au jour où, mis en cause par la justice du Luxembourg à propos de contrats douteux, et écarté par la Commission européenne, il s’est vengé en révélant à un journal belge, l’été dernier, l’emploi fictif de Berthelot.

Le rapport met en cause une bonne dizaine des 20 commissaires européens : un commissaire portugais qui avait recruté sa femme et son beau-frère, ainsi qu’un commissaire allemand, le mari d’une de ses amies, le commissaire espagnol Marin, soupçonné de détournements de fonds de plusieurs dizaines de millions de francs, un Néerlandais, un Finlandais... Mais il se garde bien, puisqu’il n’y a ni preuves ni témoins publics, de les accuser de corruption.

La corruption d’un organe croupion au service des banques et des trusts

La Commission européenne, dont les membres sont grassement payés, avec un salaire minimum de 100 000 F par mois, a d’étroites relations avec les trusts et les banques qui ne peuvent manquer de chercher à se gagner ses bonnes grâces, surtout depuis qu’une partie des compétences des gouvernements nationaux lui a été transférée : par exemple pour obtenir avant leurs concurrents des informations sur la définition de normes de production, ou son appui dans les affaires qu’elle est chargée de trancher, telles que fusions d’entreprises, attributions de contrats, conflits commerciaux... Toutes les grosses sociétés ont leurs représentants à Bruxelles, chargés de nouer les relations nécessaires avec les fonctionnaires de la Commission, ses commissaires ou son président. Ainsi cette anecdote racontée dans un journal économique en 1993 : " Je me souviens d'un patron d'une très grande entreprise française qui, soucieux d'infléchir une position de Sir Leon Brittan, alors Commissaire chargé de la concurrence, l'avait invité à un somptueux week-end à Paris " se souvient un haut fonctionnaire français. " Brittan, qui adore Paris, a accepté. Grands hôtels, grands restaurants, déjeuners stratégiques où le PDG. a habilement défendu son dossier. Juste avant de rentrer à Bruxelles, Leon Brittan lui dit : " vous savez, je ne suis qu'une des composantes du collège des commissaires... ". Tant de frais pour rien ! ", conclut ce fonctionnaire qui a, bien sûr, tout intérêt à vanter l’honnêteté de ses collègues.

Les faits reprochés à la Commission européenne ne sont que la partie émergente de l’iceberg d’une corruption inséparable de ses fonctions de serviteur des intérêts des grands groupes capitalistes. La Commission européenne, souvent baptisée " exécutif " ou " gouver-nement " de l’Union européenne, ne peut avoir d’autres moeurs que les gouvernements nationaux, mais aucune des nombreuses " affaires " en cours, comme l’affaire Elf dont fait partie l’affaire Dumas, n’a provoqué une crise semblable à celle de la démission de la Commission.

La première grande crise politique engendrée par cette contradiction insoluble pour la bourgeoisie : une Europe sans Etat européen

La démission de Cresson aurait peut-être permis d’étouffer le scandale, mais Cresson étant soutenue par Jospin et Chirac et presque toute la classe politique française, les autres membres de la Commission européenne n’avaient guère d’autre choix que de choisir la démission en bloc, sous peine de risquer de voir divulgués tous leurs trafics, par le jeu des intérêts rivaux qui la composent.

Cette crise est la première grande crise européenne, résultat des contradictions qui minent l’Europe bourgeoise. Loin d’être un véritable " gouver-nement ", la Commission européenne n’est qu’un organe croupion chapeautant une construction européenne sans Etat européen. Un gouvernement national, dont les membres sont liés par une solidarité sans faille, est l’exécutif d’un Etat qui s’est développé en même temps que la bourgeoisie dont il sert les intérêts, et qui a même représenté les intérêts de l’immense majorité de la population lorsqu’il s’est construit dans la lutte contre les vieilles classes privilégiées de l’Ancien régime. La Commission européenne, elle, ne s’appuie sur aucun Etat européen, elle est au contraire le rendez-vous d’intérêts nationaux différents et rivaux.

C’est pourquoi cette crise en annonce d’autres qui tiendront aux mêmes raisons de fond, à savoir que les financiers et grands groupes capitalistes européens, comme leurs larbins politiques, ne peuvent construire une Europe démocratique, tant leurs intentions sont inavouables, tant ils manquent de la légitimité, ne serait-ce qu’historique, dont bénéficient les Etats nationaux. Elle ruine, en quelques jours, une bonne part des illusions qu’ils cherchent tous à nous vendre, elle pose le problème de la construction d’une Europe démocratique, qui ne pourra être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.