Le mouvement des enseignants marque le pas ou la difficulté à se dégager des compromissions des directions syndicales
Après la grève massive du 15 mars dans lEducation nationale et la manifestation importante des enseignants du second degré à Paris le 20 mars, le mouvement na pas encore trouvé son deuxième souffle. Cela entraîne parfois quelques déceptions. Les enseignants se heurtent à la difficulté de construire leur mouvement. Chacun comprend quil faut une lutte dune grande ampleur et sur la durée pour faire céder le gouvernement, obtenir le retrait des chartes et des moyens suffisants. Cela paraît dautant plus difficile que lon comprend que les états-majors syndicaux ne veulent pas engager une telle lutte.
Toutefois, la mobilisation a été assez puissante et profonde pour laisser des traces. Allègre est dé-savoué, discrédité à tous les échelons par les personnels de lEducation nationale. Ses réformes, ses chartes, ils nen veulent pas. De bonnes habitudes ont été prises : des coordinations, des collectifs se sont constitués à Paris et en Province. Ils nont pas, pour le moment, le poids suffisant pour entraîner, mais ils sont des cadres qui peuvent se fortifier dans lavenir si le mouvement reprend. Ils continuent dailleurs à se réunir. Des participants y expriment lenvie quil y ait un prolongement. Des idées sont avancées comme celle daller perturber les meetings du Parti socialiste pendant la campagne des européennes. Une réelle opposition au gouvernement sest créée durant ces derniers mois chez les enseignants, ce qui est nouveau et le gouvernement nen a pas fini avec elle.
Dailleurs les interventions de Vuaillat, secrétaire générale du SNES, lors du congrès de ce syndicat qui se déroule en ce moment, montrent quelle a ressenti ce désaveu du gouvernement de la part des enseignants. Pour rester dans la course et ne pas perdre dadhérents, elle sy est donné des airs radicaux quand le mouvement retombe. Elle confesse par exemple, dans une interview au journal " Le Monde " : " Nous avons sans doute mésestimé le discrédit de ce ministre auprès de la masse de la profession. La stratégie qui a consisté à émettre et à défendre nos propositions na parfois pas été comprise parce que lhostilité aux choix et à la méthode du ministre est allée grandissant. " Cest bien sous la pression du mécontentement sexprimant de plus en plus à la base, des mouvements de grève déclenchés dans les établissements de la région parisienne que les directions du SNES et de quelques autres ont mis leur poids dans les actions nationales de mars. Cest toujours sous cette pression que lorganisation dune nouvelle journée nationale à la mi-mai a été évoquée au congrès du SNES. Et tant mieux si la pression sexerce sur eux dans le sens de les obliger à bouger.
Mais on ne peut pas attendre de Vuaillat et dautres dirigeants syndicaux une volonté réelle dorganiser un mouvement fort, allant jusquau bout. Ils ne veulent pas en découdre avec le gouvernement. Et comme le dit Vuaillat, la perspective reste toujours de reprendre le dialogue avec le gouvernement et son ministre Allègre.
De nombreuses discussions sont nécessaires actuellement pour clarifier tous ces aspects, les raisons des limites du mouvement, de ses freins ; pour comprendre quon doit compter sur nos propres forces, que cest elles qui ont fait bouger les choses ; réfléchir aux moyens que les enseignants doivent se donner pour être plus forts dans les combats à venir.
Deuxième loi sur les 35 heures : le gouvernement et les députés socialistes sont fermes : ils feront tout ce que les patrons demanderont !
Lorsque le MEDEF a fait connaître ses exigences pour la deuxième loi des 35 heures, deux points ont été mis en exergue : sa volonté de voir la mise en place de la loi reportée et son exigence que les dispositions contenues dans les accords de branche soient prises en compte dans le texte de loi.
Aubry, continuant la comédie que le gouvernement et le patronat jouent depuis le début de la discussion sur les 35 heures, a fait preuve de " fermeté ": la loi sera appliquée selon le calendrier prévu. Mais elle sest empressée de faire préciser, quelques jours après, que lan 2 000 serait une " période de transition " et que la deuxième loi ne fixerait pas un point essentiel aux yeux des patrons : le nombre dheures supplémentaires autorisées. Les patrons auront ainsi toute latitude dappliquer une mesure qui leur tient à cur : le plafond des 130 heures supplémentaires annuelles serait considéré comme une moyenne pour lensemble des salariés et ils auraient la possibilité dimposer individuellement le nombre dheures supplémentaires de leur choix et revendiquent de pouvoir faire effectuer 188 heures supplémentaires sur lannée à un salarié.
Aubry sest également réjouie " que le MEDEF, dix huit mois après, dise quil fallait maintenir le pouvoir dachat, notamment des salariés les moins rémunérés, ce qui est la volonté du gouvernement ". Comme le gouvernement envisage de distribuer sous couvert dune " réforme des charges patronales " des dizaines de milliards de francs de cadeaux au patronat, le MEDEF se laissera faire violence et ne résistera pas à la fermeté gouvernementale ! Comme dhabitude, les patrons écriront la somme sur le chèque et le gouvernement naura plus quà le signer avec fermeté.
Cette servilité gouvernementale à légard du patronat est partagée par les députés socialistes. Selon le rapporteur de la Commission des Affaires sociales, le député socialiste Gorce, " le pari des 35 heures est en bonne voie ". La loi Aubry nest rien moins quune " révolution copernicienne de la négociation collective ". Gorce et les députés socialistes trouvent que les accords déjà signés sont " équilibrés ", " la crainte dune dégradation relative des conditions de travail, liées notamment à un risque dintensification nest pas confirmée ".
Quant à la deuxième loi, elle devra " encadrer " la flexibilité afin déviter les " dérives " possibles. Mais que veut dire " dérives " pour des gens qui trouvent que laccord signé chez Peugeot par exemple est " équilibré " et nentraîne pas une dégradation des conditions de travail ?
Vu ce quils pensent de la première loi, ça promet pour la deuxième !
Cofrablack, près de Bordeaux : le ton monte avec les négociations sur la réduction du temps de travail
La première réunion sur la réduction du temps de travail et sur les salaires a eu lieu le mercredi 24 mars en présence du chef du personnel et du directeur-usine représentant la direction et des deux délégués syndicaux, CGT et CFDT. Alors que la direction voulait traiter les salaires en un seul cadre, nous avons réussi à imposer qu'ils soient négociés à part. La direction nous accorderait 0,4 %, une vraie misère !
Pour nous, il n'était pas question non plus de passer à l'aménagement du temps de travail sans avoir traité d'abord le chapitre I, le temps de travail. Nous sommes à 38 heures et nous pensions naturel que pour arriver à 35 heures, il fallait faire seulement trois heures de moins. Bien sûr, comme nous nous y attendions, la direction a voulu faire sauter le temps de douche et d'habillage du temps de travail effectif. Après un débat animé, le temps de douche a été récupéré mais il reste que le quart d'heure d'habillage n'a pas pu l'être, ce qui limite sérieusement la réduction de lhoraire de travail. En désaccord sur ce chapitre, nous avons refusé d'aller plus loin dans la négociation.
Dans l'état actuel des choses, il ne serait embauché que 3 à 4 personnes et encore sans aucune garantie qu'elles ne soient pas en remplacement du départ de retraités. D'autre part, le " maintien des rémunérations de base " comme il est dit dans le rapport de la direction peut vouloir dire gel, voire diminution du salaire par les autres éléments de la paye.
Le vendredi suivant, ce rapport diffusé dans les divers services a provoqué pas mal de discussions. Le directeur-usine a violemment pris à parti le délégué CFDT dans l'atelier de maintenance. Devant pas mal de copains, il allait jusqu'à dire que nous étions des menteurs et de mauvais négociateurs. Les témoins de la scène ont alors décidé de faire circuler une pétition qui dit, en résumé, que les salariés ont confiance en leurs délégués et qu'ils en sont solidaires, pétition qui a rencontré une grande sympathie .
Lors de la réunion du vendredi 26 des syndiqués CGT, il a été décidé de ne plus accepter la présence du directeur-usine dans les négociations et de le dénoncer lors de la prochaine réunion des délégués du personnel qui aura lieu mercredi 31, la veille de la deuxième journée de négociations. Il a été aussi décidé d'arrêter toute discussion sur la réduction du temps de travail tant que le quart d'heure de douche ne serait pas compté comme temps de travail effectif.
Tout ceci se passe dans un climat lourd de pressions. Nous serions rendus responsables d'éventuels licenciements si nous persistions dans nos revendications, des cadres vont même jusqu'à parler de fermeture de lusine. Il faut préciser qu'il y a eu récemment un conseil d'administration qui a laissé entendre que la fusion de Hulls avec notre maison-mère, Degussa, faisait pesait une menace sur les services administratifs. Nous ne sommes pas dupes, tout ce qui se passe actuellement fait partie d'une campagne orchestrée pour peser sur les négociations.
Nous maintenons nos revendi-cations : 35 heures pour le personnel à la journée, allant jusqu'à 32 heures pour les postés sans baisse ni gel des salaires, sans annualisation, sans flexibilité ; des embauches correspondantes en CDI pour réduire la charge de travail et diminuer le chômage ; un départ anticipé en retraite en fonction du nombre d'années de travail posté.
SKW Angoulême : la méfiance sorganise
Depuis plusieurs mois, il est question des 35 heures à SKW. Lusine dAngoulême est une unité de gélatine de 200 personnes, mais SKW est une importante filiale dun des plus gros trusts allemands de la chimie, Viag, lui- même en train de préparer pour août 99 la fusion avec un autre géant, le suisse Algroup.
La direction a dit longtemps à lavance quelle discuterait des 35 heures lorsque laccord de branche aurait été signé dans la chimie. Mais prenant prétexte de ces futures discussions, elle a bloqué préventivement les salaires pour 3 années : 98, 99 et 2000 !
Laccord de branche a été signé en février, avec de tels reculs sur les acquis ouvriers quà part la CFDT, les autres syndicats nont pas osé le signer et ont demandé la renégociation. Mais dès le 26 février, la première réunion sur la RTT entre syndicats et direction de SKW a eu lieu.
Les travailleurs dAngoulême, déjà très méfiants sur ces négociations, ont appris avec colère que la direction ne veut pas compter les pauses dans le travail effectif et prétend que les camarades en continu ne feraient actuellement que 32 h 74 par semaine et pour ceux en semi-continu, 33 h 38 ! Ils sont donc déjà éliminés de la réduction du temps de travail, alors que par ailleurs leurs conditions de travail risquent dêtre aggravées par lannualisation et la flexibilité, sans quil y ait réellement dembauches.
Il y a aussi un fort mécontentement sur les salaires. Il y a deux ans, pour améliorer la rentabilité, la direction a imposé aux postés le travail en continu (samedis, dimanches et jours fériés), mais en discutant comme un marchand de tapis pour lâcher une prime jugée très insuffisante par les salariés. Ceux-ci ont revendiqué à juste titre de garder cette prime même lorsquils étaient malades, mais la direction a négocié un accord liant le maintien de la prime à un taux global dabsentéisme minimum. Belle manuvre de division, pour essayer que les travailleurs se contrôlent les uns les autres ! Et avec cette conséquence assez extraordinaire : on garde notre prime de continu en maladie, à condition quon ne soit pas malade !
Ayant bloqué les salaires, la direction a fait cependant tout un battage sur une prime quon touchera pour la première fois cette année et qui représente au maximum 4,5 % du salaire brut annuel. 70 % de la prime dépendent des résultats de lusine et cela fait des mois que la direction essaie de maintenir le suspens : atteindra ou atteindra pas la productivité espérée ? Les 30 % restant de la prime sont liés à notre travail personnel. Des entretiens individuels ont été montés avec solennité, où chacun de nous est reçu par son chef qui remplit une grille appréciant notre comportement au travail, avec nos camarades, nos absences maladie, etc. Ce qui a fait monter la moutarde au nez de pas mal dentre nous, surtout aux anciens. Un tract fait par des travailleurs a circulé de la main à la main : la direction y était vigoureusement dénoncée, car elle aurait fait pression sur ses chefs pour quils baissent la note en cas dabsences maladie. Le tract, comme le bulletin Voix des Travailleurs, appelait les camarades à refuser de signer et même refuser de se rendre à ces entretiens.
La direction de SKW na pas caché ses objectifs pour 2002 : 10 milliards de marks de chiffres daffaires, avec 10 % de bénéfice brut, soit un milliard de marks. Elle utilisera les négociations sur les 35 heures pour faire aboutir ses objectifs sur notre dos. Mais de notre côté à nous travailleurs, se discute de plus en plus lidée quil faut sorganiser pour défendre nos intérêts face à cette insatiable rapacité.