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Mouvement de colère à l’hôpital du Havre

A l’hôpital du Havre, la direction a décidé de ne pas accorder cette année d’indemnités de remplacement de vacances. Depuis le 29 mars, deux assemblées générales se sont tenues regroupant de plus en plus de personnels. Dans un premier temps, il a été décidé de recenser les besoins réels dans les équipes, les congés annuels restant à prendre en novembre et décembre étant si importants que nous serons dans l’impossibilité de les prendre. Un préavis de grève reconductible a été déposé par une intersyndicale CGT-CFDT-SUD-CRC-FO pour le 19 avril.

Ce jour, nous étions pas moins de 300 grévistes des sept sites qui constituent le groupe hospitalier du Havre, rassemblés dans le hall de l’établissement J. Monod. Les syndicats avaient invité la direction à rencontrer le personnel. Nous avons appris qu’ils nous attendaient au sous-sol. Les délégués syndicaux sont allés les chercher devant le refus de l’AG de se rendre au sous-sol.

Après nous avoir rejoint au rez-de-chaussée, ils ont subi pendant une heure et demie les assauts du personnel en colère. Ils se sont fait huer à plusieurs reprises, notamment lorsqu’ils ont feint de croire que nous avions tous trois semaines de congés consécutives, alors qu’en réalité, nombreuses sont celles d’entre nous qui n’ont posé que 10 ou 15 jours. L’exploitation des personnels stagiaires ou en situation précaire que l’on fait constamment revenir, les changements de service au pied levé, le pool de remplaçantes qui ne fonctionne pas, les week-ends supplémentaires qui nous amèneraient à en faire cinq de suite, autant d’os que nous avions en travers de la gorge et que nous avons recrachés. Les représentants de la DRH répondaient comme une rengaine " on ne peut pas trouver de solution dans le hall " à tel point qu’une de nous lui a lancé " il faut que vous soyez derrière un bureau pour savoir prendre une décision ? ". Devant cette autre ritournelle " nous avons des problèmes de budgets ", l’une d’entre nous lui a fait remarquer que " les problèmes de budgets, nous aussi nous connaissons mais quand il y a une facture urgente à payer, on sait faire une priorité, eh bien nos congés, c’est une priorité ". Quelques surveillantes étaient présentes dans l’AG et l’une d’elles a pris la parole pour exprimer que les agents faisaient toute l’année le maximum pour faire tourner les services et qu’elle n’appréciait pas d’avoir à leur faire écourter leurs vacances. La direction lui a répondu qu’elle était payée pour ça.

Ne pouvant pas prendre de décision devant la direction, nous avons voté la reconduction de la grève sous forme de débrayage d’une heure le mardi 20. Le mardi, nous nous sommes retrouvés à 150. Nous étions satisfaits d’avoir fait la une du journal local " Le Havre Libre ". Un tract a été diffusé aux visiteurs et nous avons à nouveau voté la reconduction de la grève jusqu’à la fin de la semaine. Nous avons prévu deux distributions de tracts en ville et une manifestation pour le samedi 24.

Nous ne nous attendons pas à ce que la lutte soit facile mais l’ambiance est déterminée.

Allègre : pendant les vacances, la réforme continue

Allègre a profité de la période des vacances de Pâques, " étalées ", selon les académies, du début à la fin du mois d’avril, pour prendre deux initiatives. L’une consiste à compenser la diminution de la rémunération des heures supplémentaires qu’il avait décidée l’an dernier. L’autre à doubler, dans un quart des établissements concernés, les heures de " soutien " prévues pour une partie des élèves de seconde. C’est une façon pour Allègre d’affirmer que la réforme s’applique, puisque, vous le voyez bien, on en est au peaufinage. C’est aussi un petit os à ronger envoyé aux organisations syndicales qui lui demandaient de faire un geste.

Le message a été apparemment reçu puisque la FEN s’est félicitée " d’avoir été entendue sur l’attribution de moyens supplémentaires " et que le SNES voit dans ces mesures des concessions et " un des effets de la pression exercée " même si " cela ne change pas les orientations négatives de la réforme ". Du côté des syndicats enseignants, Allègre n’a pas grand chose à craindre.

Allègre se vante d’avoir débloqué 900 millions supplémentaires pour financer ces mesures. Outre qu’il s’agit là d’une goutte d’eau dans le budget de l’Education (même pas 0,5 %), ces sommes ne sont pas distribuées au hasard. L’essentiel sera consacré à des mesures ne concernant qu’une catégorie de professeurs (ceux des classes préparatoires ou ceux en fin de carrière) et surtout l’autre partie semble devoir être mise à la disposition des rectorats et des chefs d’établissements pour moduler à leur guise l’attribution des heures supplémentaires. C’est à dire qu’en fait de " concession " aux adversaires de sa réforme, Allègre propose un zeste de réforme en plus !

C’est qu’il ne faudrait surtout pas croire qu’Allègre et ses inspirateurs (qu’ils soient dans les bureaux du ministère, dans ceux du PS ou ceux du MEDEF) vont se contenter de la réforme telle qu’elle est. C’est ce qu’indiquent clairement les propositions faites par des députés du PS à une commission du Parlement. Ils proposent de rendre possible dans les lycées professionnels le recrutement de professeurs vacataires dans les entreprises et d’instaurer dans les collèges le recrutement de professeurs " bivalents ", enseignant deux matières. Moins de diplômés, professeurs bouche-trous, autonomie du recrutement, c’est du " Allègre plus " et ils en ont sans doute encore beaucoup comme ça dans leurs cartons.

C’est toute une politique visant à démanteler l’Education nationale qui est en route. Les enseignants, les personnels et les élèves reprendront inévitablement la lutte contre celle-ci. Car ses conséquences vont très rapidement apparaître de plus en plus clairement. Allègre ne devrait pas se rassurer trop en constatant que pour l’instant la seule action proposée par les syndicats est, de la part du SNES, une manifestation nationale le dimanche 9 mai. Dans les établissements, les raisons de nouvelles mobilisations s’accumulent.

Rapport Charpin sur les retraites : une étude faussement objective pour justifier les attaques planifiées par le gouvernement

Le 25 septembre 1995, le premier ministre Alain Juppé déclarait au quotidien financier " Les Echos " : " Est-il juste que les uns cotisent 40 ans et les autres 37 et demi ? Moi ça me choque ". On connaît la suite. Dans le cadre d’une offensive généralisée contre la protection sociale, le fameux " plan Juppé ", dont le volant assurance maladie continue de s’appliquer avec Aubry et Jospin, il s’agissait de remettre en cause le système de retraite des fonctionnaires et l’ensemble des régimes spéciaux. Tout ce volet du plan fut retiré, ou plus exactement remisé en attendant des jours meilleurs, à la suite de la grève qui, en novembre et décembre 1995, a paralysé le secteur public.

En confiant à Jean Michel Charpin la préparation d’un rapport sur l’avenir des régimes de retraite, Lionel Jospin a choisi une méthode moins abrupte que celle de son prédécesseur, mais le but est identique.

La lecture de la lettre de mission adressée par le premier ministre au Commissaire général au plan est édifiante. Tout est clair dès le premier paragraphe : " 2005 marquera le début du départ en retraite des générations nombreuses de l’après-guerre. A partir de cette date, l’équilibre de nos régimes de retraite deviendra très fragile.(…) Ne pas l’anticiper conduirait à prendre, dans l’urgence, des mesures douloureuses ". Douloureuses pour les salariés, à n’en pas douter. C’est pourquoi, afin d’éviter qu’ils ne réagissent comme en 1995, il convient de préparer l’opinion. Subtilité de la technique de gauche pour faire avaliser les reculs sociaux ! D’ailleurs, au paragraphe suivant, Jospin rappelle un précédent illustre : " La réforme du régime général de juillet 1993 a ainsi pu être engagée parce que, partant du livre blanc de 1991, les gouvernements successifs ont su expliquer l’absolue nécessité de certains aménagements ". Une réforme qui s’est traduite pour les salariés du privé par l’exigence de 40 annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein, et un niveau de pension minoré par le calcul sur les 25 meilleures années au lieu des 10, belle référence en effet !

La lettre continue : " La première étape de cette démarche est celle du diagnostic ". Jean-Michel Charpin n’aura pas eu trop de mal à établir le sien, le gouvernement lui ayant fait savoir d’entrée ce qu’il devait trouver. Le résultat :164 pages de projections démographiques et économiques et de comparaisons avec quelques autres pays pour, sous un semblant d’étude objective, retenir le scénario choisi d’avance. Les hypothèses d’un taux de croissance modéré et d’un niveau de chômage en faible diminution, qui relèvent de décisions économiques et sociales, sont ainsi mises sur le même plan que les évolutions démographiques, liées à des tendances plus lourdes. Tous les éléments qui pourraient venir infirmer la thèse de départ, comme une nouvelle progression de l’activité professionnelle des femmes, ne sont évoqués que pour être aussitôt écartés. Logique : la démarche du Commissaire Général au Plan s’inscrit dans le cadre du système capitaliste, dont il connaît les limites. Par ailleurs, l’investigation scientifique rencontre vite ses limites quand il ne s’agit que de justifier les mesures déjà décidées. Pas étonnant que le rapport ait été rendu 4 jours avant la date fixée par le Premier Ministre.

Juppé était choqué de l’inégalité entre secteur public et secteur privé, produit de la dégradation alors toute récente des retraites du régime général. Une préoccupation qui n’est pas étrangère à Jospin, qui écrit : " Il est essentiel de rechercher l’équité entre retraités ". La principale proposition du rapport Charpin, l’exigence de 42,5 annuités de cotisation pour tous, réalise la synthèse : l’égalité dans la dégradation.

L’allongement de la vie professionnelle semblant délicat en ces temps de chômage massif et les salariés étant attachés au droit de partir à 60 ans, le rapport Charpin n’esquive pas la question des départs anticipés. Il résume lui-même son projet en deux points : " Allonger d’un trimestre par an jusqu’à 170 trimestres la durée d’assurance et revoir les mécanismes actuels d’abattement " et parle de " possibilité d’arbitrage individuel entre niveau de la retraite annuelle versée et durée d’activité ". Se tuer au travail ou survivre avec une pension misérable, belle liberté de choix !

Les conclusions du rapport Charpin ne constituent pas une surprise. Elles s’inscrivent dans la droite ligne des attaques contre les acquis sociaux, toutes menées au nom des " grands équilibres ", et en fait de l’exigence des patrons d’accroître leur part de bénéfices au détriment des salaires directs et différés. Le MEDEF l’exprime sans détour, qui propose de porter à 45 le nombre d’annuités. Une surenchère provocatrice qui n’est pas forcément pour déplaire au gouvernement. En effet, Jospin, qui souhaitait " un diagnostic aussi partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents régimes ", insiste sur la nécessité d’une " phase de concertation menée dans la clarté ". Charpin se défend d’avoir élaboré un plan de réforme et indique que la publication de son rapport ne fait qu’ouvrir la phase du débat public et des négociations. En plaçant la barre au plus haut, le patronat permet au gouvernement de tenir une position intermédiaire entre les " partenaires sociaux ". Mais il ne se cache pas de ce que " le diagnostic a été concerté. Il serait abusif de le présenter comme un diagnostic partagé ". Et cela d’autant plus facilement que les directions syndicales ont non seulement accepté de participer à la Commission de concertation dans la phase d’élaboration du rapport, mais encore d’accepter que les dossiers ne soient pas diffusés publiquement. Si, depuis lors, la CGT et Force Ouvrière ont fait connaître leurs désaccords avec les conclusions du rapport, cette dénonciation risque fort de rester purement platonique.