Au cours des meetings que tiennent Arlette Laguiller et Alain Krivine, revient régulièrement, lors du débat, la question de la perspective politique dans laquelle s'inscrit cette campagne. " Que comptez-vous faire après ? ", " L'unité pour un nouveau parti ? " De bien des façons, des travailleurs posent cette légitime question.
Arlette Laguiller et Alain Krivine ont l'un et l'autre, chacun à leur manière, une réponse dilatoire. Ils voudraient désarmer toute volonté militante qu'ils ne s'y prendraient pas différemment, marquant leur distance vis-à-vis de la salle, pour lui faire comprendre que l'on n'a pas besoin d'elle, si ce n'est pour voter et pour des luttes futures. C'est à Arlette qu'il revient de le dire le plus clairement. Cela s'explique aisément puisque c'est à elle que reviendrait le rôle d'établir la continuité politique entre la campagne des présidentielles de 95, l'appel qui a suivi et les perspectives qui se dessinent, concrètement, aujourd'hui. Mais il n'en est pas question, ainsi en a déjà, depuis deux ans, décidé la direction de Lutte ouvrière. Alors, au lieu de discuter avec ceux qui viennent l'écouter, des perspectives, de la place que chacun pourrait prendre dans un large regroupement démocratique, Arlette s'explique longuement sur le fait qu'à moins de 10 % des voix, rien n'est possible. Pourquoi ce chiffre fatidique de 10 % ? Les participants aux meetings ont bien du mal à le comprendre, ce qui est bien naturel puisque l'explication n'a aucune cohérence politique, si ce n'est que 10 % est supérieur à 5 !
En effet, quand la direction de Lutte ouvrière a mis, au lendemain de 95, l'appel d'Arlette Laguiller dans sa poche, elle s'expliquait en argumentant sur le fait que les 5 % n'étaient pas un score suffisant pour provoquer un afflux militant. Il aurait fallu alors 10 %, aujourd'hui il faudrait plus de 10 %
Etrange raisonnement, pour des révolutionnaires, que de faire dépendre les tâches et les perspectives des scores électoraux.
Alain Krivine, dans ce débat, affirme lui aussi qu'aller plus loin avec Lutte ouvrière et les autres tendances du mouvement révolutionnaire n'est pas à l'ordre du jour. Pour lui, ce qui serait à l'ordre du jour pour après les élections, ce serait la possibilité à plus ou moins long terme d'un grand rassemblement anticapitaliste.
Alain Krivine laisse dire à Arlette que les divergences rendent pour le moment impossible tout pas vers une union, pour mieux se donner une image plus ouverte en se dégageant de Lutte ouvrière.
Tout ce petit jeu ne résistera pas à la dynamique qu'enclenche la campagne et surtout aux besoins des militants qui se reconnaissent dans la liste unitaire.
Quelles sont ces fameuses divergences qui rendraient impossible la collaboration quotidienne dans un cadre militant commun, permettant d'associer non seulement toutes les tendances du mouvement révolutionnaire mais tous ceux qui, dès maintenant, regardent vers l'extrême-gauche ? Cela, personne ne le sait. C'est un secret de fabrication que le grand public n'a pas à connaître.
Etrange, pour des tendances qui se réclament du marxisme révolutionnaire, c'est-à-dire de l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes, de ne pouvoir s'expliquer publiquement sur ce qui les oppose. Encore plus étrange de se détourner des rapports démocratiques qui permettraient à chacun de juger de ces divergences tout en mettant en commun les forces chaque fois que cela est possible.
Une telle attitude ne pourra résister à la logique de la campagne et surtout, et plus profondément, à la logique de la situation politique et sociale. Il existe aujourd'hui dans ce pays un parti d'extrême-gauche, le parti de ceux qui sont contre la guerre dans l'ex-Yougoslavie, le parti de ceux qui combattent ce gouvernement qui la mène, le parti de ceux qui veulent défendre les intérêts du monde du travail sans craindre pour cela de s'attaquer à la propriété privée capitaliste, le parti de ceux qui sont pour une Europe démocratique et socialiste, l'Europe des travailleurs, respectueuse du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Ce parti, nos adversaires nous obligeront à le définir, en affirmant nos solidarités, pour dépasser les clivages artificiels, le sectarisme, les vieilles divergences qui n'ont plus cours face à la nouvelle situation sociale et politique, aux responsabilités des révolutionnaires.
Pour notre part, nous nous considérons comme une fraction de ce parti, fraction soucieuse d'agir chaque fois que cela est possible, ensemble, dans le respect réciproque, et uvrant pour qu'au-delà de la campagne électorale s'affirme la volonté politique de regrouper, dans un cadre démocratique, tous ceux qui se reconnaissent dans le combat que symbolisent Arlette Laguiller et Alain Krivine.
Arlette Laguiller et Alain Krivine à Angoulême - Scènes de meeting
Arlette Laguiller et Alain Krivine ont tenu une réunion publique samedi dernier à Angoulême. Plus de 200 personnes y ont assisté, soit à peu près autant qu'au précédent meeting tenu par Arlette seule après l'élection de 1995. Les deux orateurs, Alain Krivine en premier, Arlette Laguiller ensuite, se sont succédés à la tribune en faisant deux topos qui se répétaient trop souvent Ils ont parlé devant un public populaire, mais dans une ambiance un peu froide et sans vraiment sadresser à la salle pour emporter son adhésion.
Alain Krivine sest affirmé un révolutionnaire qui voulait changer la société, revendiquant " le droit de rêver ". Il a terminé en rappelant quil y avait un renouveau des luttes depuis 95, posant la question du débouché politique à cet esprit nouveau. Pour lui, cest une force anti-capitaliste qui sexprimera dans les élections avec un et peut-être deux millions de voix affirmant que " les élections nétaient quune étape et quil fallait se préparer à reconstruire une gauche radicale ", mais en laissant dans le vague ce que pourrait être concrètement la construction de cette force.
Arlette Laguiller a parlé en suivant et a conclu sur le courant dopposition radicale à la politique menée par la droite comme la gauche quelle voudrait voir sexprimer dans les élections. " Plus de 10 % qui seraient nécessaires pour que les travailleurs reprennent confiance dans leur force ". Elle a dit " sa conviction que renaîtra une force renouant avec la tradition du mouvement ouvrier ". Cela faisait assez incantatoire.
Notre camarade Michel Deboeuf, ouvrier à la fonderie de Leroy-Somer, est intervenu en se présentant " travailleur ayant milité plus de 20 ans à LO et exclu parce que jétais de ceux qui avaient refusé de mettre dans la poche lappel dArlette Laguiller de 95 à la construction du parti ". Le responsable du service dordre de LO a tenté de perturber son intervention en criant " menteur ", sans succès. Notre camarade a développé lidée quil fallait reprendre cet appel en disant que nous militions pour la liste commune dans lunité avec les camarades de la LCR et regrettant de ne pouvoir le faire aussi avec LO à cause de son sectarisme. Il a terminé sur lurgence à construire ce nouveau parti, et affirmant que les travailleurs ne pardonneraient pas, ni à Arlette Laguiller ni à Alain Krivine, une dérobade. Notre intervention a été applaudie par une partie du public. Disons enfin que le représentant local de LO avait essayé de nous couper la parole depuis la tribune, au milieu de notre intervention, sans succès lui non plus
Arlette a répondu en s'adressant " au camarade de VDT ", disant que LO voulait " construire le parti depuis 30 ans ", mais que cela ne pouvait se faire avec la LCR pour le moment, insistant sur " les différences " qui ne " pourront être tranchées que lorsque des milliers de travailleurs en lutte décideront quelle est la meilleure politique des deux "
Le meeting s'est terminé par " l'Internationale ", reprise en chur !
LIRE : " Paroles de prolétaires ", dArlette Laguiller (Editions Plon)
Arlette Laguiller vient de publier un livre dont le propos est, selon ses propres mots, de répondre à " ceux qui prétendent que la classe ouvrière nexiste plus ". Ce propos défensif place Arlette Laguiller, les camarades de Lutte ouvrière comme les travailleurs auxquels elle donne la parole, en position de se justifier et pourrait laisser croire que ce livre est plus indigné qu'accusateur. On aurait préféré quArlette, plutôt que de vouloir répondre à des sociologues en mal didées nouvelles, se revendique de dresser, au nom du monde du travail, un tableau de la condition ouvrière qui soit une mise en accusation du capitalisme et de tous les sociologues qui le justifient.
Cette mise en accusation est, de fait, le sens de son livre. Ces " témoignages de travailleurs " font entendre " une voix trop souvent étouffée, mais que nul ne parviendra jamais à faire taire : celle des prolétaires ". Ils ne se justifient pas ni ne sindignent, ils accusent et dénoncent. Ils affirment notre confiance commune dans la force des travailleurs, leur capacité à changer le monde.
A propos de la dégradation des conditions dexistence dans les banlieues, de la montée de la violence, Arlette écrit " outre le problème de la montée du chômage, lun des facteurs de la désespérance de la jeunesse, cest le fait que le mouvement ouvrier ne joue plus le rôle qui a été le sien dans le passé, pour offrir une morale, un idéal, et un combat digne dêtre livré, aux jeunes générations de la classe ouvrière ". Pour ajouter, " le mouvement ouvrier reprendra son essor. Il redonnera aux travailleurs la conscience de leur force, de la possibilité de construire un monde débarrassé de loppression ". Un futur que nous voudrions, ensemble, mettre au présent.
" Nos adversaires politiques prétendent que nous ne vivons pas à la même époque, et cest - en un sens - parfaitement vrai. Leurs idées appartiennent au passé, alors que les nôtres représentent lavenir ". Nous souscrivons sans réserve. Cet avenir na nul besoin de se justifier tout comme il est assez fort pour exiger la liberté et la démocratie les plus larges au mépris de tout esprit sectaire.