l’extrême-gauche et la campagne des européennes



Notre campagne : aider à s'exprimer ceux qui sont contre la guerre et le gouvernement qui la mène comme il mène la lutte de classe contre nous

La guerre que mènent les grandes puissances dont la France, contre les peuples de l'ex-Yougoslavie, donne à la campagne des européennes autour de la liste d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine, un relief et une importance toute particulière. Notre propos n'est pas de discuter de savoir l'influence qu'aura l'évolution du conflit et la politique de l'impérialisme français sur les résultats électoraux, de ce point de vue-là toutes les supputations sont possibles et… sans intérêt. Cette campagne est l'occasion pour le courant de tous ceux qui sont contre cette guerre, qui militent pour une paix démocratique, c'est à dire le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de faire entendre leur opinion, d'essayer de faire obstacle à la propagande du gouvernement, de révéler la duplicité du Parti communiste, de convaincre autour d'eux, d'entraîner dans l'action.

Ce combat est indissociable, et du combat pour une Europe démocratique et socialiste, et du combat pour défendre les droits fondamentaux des travailleurs, des chômeurs, des exclus, des femmes et des jeunes.

En effet, il y a un lien entre leur sale guerre contre les peuples et la lutte de classe que mène ce même gouvernement contre les salariés. Jospin-Chirac savent très bien d'ailleurs utiliser la guerre à des fins de politique intérieure pour faire taire toute opposition. Eh bien, il s'agit de faire entendre une authentique opposition à la politique réactionnaire de ce gouvernement, une opposition qui représente réellement les intérêts des travailleurs et des exclus, qui entende rester fidèle aux intérêts du monde du travail.

Permettre à Arlette Laguiller et Alain Krivine d'être élus, espérons avec d'autres camarades, au Parlement européen, c'est se donner les moyens de faire entendre ce courant politique, de l'aider à prendre conscience de lui-même, à s'organiser.

Mais dès maintenant, se battre pour contribuer à les élire, c'est aider ce courant à se donner les moyens de se faire entendre, par lui-même.

C'est pourquoi pour nous, la campagne électorale doit être, d'abord et avant tout, l'occasion sur nos lieux de travail ou dans les quartiers, parmi la jeunesse, dans les lycées comme dans les facultés, de regrouper autour de chacun d'entre nous, tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, chacun en fonction de ses disponibilités, de ses moyens, entendent agir dans le même sens pour aider les travailleurs à y voir clair sur la duplicité de ceux qui nous gouvernent. Ce travail, les militants de notre tendance souhaitent le faire au coude à coude avec les militants des autres tendances et en particulier ceux de la Ligue communiste révolutionnaire et ceux de Lutte ouvrière.

Notre objectif n'est pas de créer des comités de soutien, sans pour autant nous interdire d'y participer. Ces derniers, de par leur nature, resteraient prisonniers des limites de l'accord électoral conclu, il y a déjà plusieurs mois, entre la LCR et Lutte ouvrière. Cet accord électoral est déjà dépassé par l'évolution même de la situation, par la dynamique même de la liste et de la campagne, par l'évolution de la situation politique entraînée par la guerre. Ce serait une erreur, pour l'ensemble des militants qui se reconnaissent dans la liste commune, d'en rester prisonniers.

Notre tâche est de contribuer à donner force au nouveau courant d'extrême-gauche ouvrier et populaire dont Alain Krivine et Arlette Laguiller sont les représentants, les symboles et les porte-parole. Ils ne seront pas des députés ordinaires. Tournant le dos aux mœurs des politiciens, à la duplicité du parlementarisme bourgeois qui veut que l'on se fasse élire pour faire le contraire de ce que l'on a dit, ils seront les représentants authentiques du monde du travail, conscients qu'ils ne sont rien sans ceux qui les ont mandatés, sans la force organisée et consciente des travailleurs.

Faire campagne, c'est créer des cellules, des groupes de cette force, armer politiquement tous ceux qui s'y retrouvent, comme leur donner les moyens, presse, tracts, affiches, réunions, de se faire entendre, d'élargir leur influence, de tisser des liens dans les entreprises, les bureaux ou les quartiers. Ces cellules seront aussi de fait le cadre de discussions entre militants des différentes tendances, celles d'extrême-gauche, mais aussi avec les militants venant du Parti communiste, du Parti socialiste, ou de différentes associations et syndicats.

C'est à ce regroupement à la base dans le cadre de la liste unitaire Lutte ouvrière-Ligue communiste révolutionnaire que nous entendons œuvrer en toute démocratie.

Pour que les enseignements de 95 aident à préparer la suite des élections européennes

Bien des camarades nous reprochent de revenir trop souvent sur l'exclusion de Lutte ouvrière des camarades à l'origine de notre tendance, sur la campagne des élections présidentielles de 95, les mouvements sociaux qui l'ont suivie. Nous serions " passéistes ", nostalgiques…

Notons au passage que 1995 n'est pas si vieux et que notre nostalgie est relativement peu passéiste et surtout, plus sérieusement, qu'il est impossible pour des révolutionnaires d'aborder les tâches du jour sans avoir une claire compréhension du passé, à fortiori si ce passé est très récent. L'avenir se construit avec ce passé, fermer les yeux, c'est faire la politique de l'autruche.

Au moment où l'ensemble de l'extrême-gauche réalisera à travers les élections européennes un score électoral probablement supérieur à celui qu'avait réalisé Arlette Laguiller en 1995, il est indispensable d'en tirer les leçons pour que tous ensemble, nous nous donnions le maximum de moyens de faire face à nos responsabilités nouvelles.

Cela suppose que nous soyons les uns et les autres capables d'une réelle discussion démocratique, capables de confronter les différentes politiques à leurs conséquences, à leurs résultats. Cela est vrai tant pour la Ligue que pour LO ou pour nous. Comment les camarades de la Ligue ne pourraient-ils pas s'interroger sur les orientations politiques qui, depuis 1988 et le soutien à Juquin, l'ont conduite à rechercher les alliances à droite, au prix d'un considérable affaiblissement de leur organisation qui en était arrivée à envisager de se liquider en changeant de nom et de fonctionnement, il y a un peu plus d'un an ? Comment ne pas s'interroger sur cette politique qui conduit des courants de la Ligue à passer sans trop de difficultés au Parti socialiste voire, comme cela s'est produit récemment, à s'associer à de fervents anti maastrichiens proches de Pasqua ou de Chevènement ? Comment ne pas s'interroger aussi sur le fait que Lutte ouvrière, malgré les succès électoraux, se soit affaiblie organisationnellement, soit de façon brutale par notre exclusion, soit par l'usure d'un fonctionnement interne insupportable ? Comment ne pas s'interroger sur l'effet démoralisant du coup de bluff qu'a été pour la direction de Lutte ouvrière, l'appel d'Arlette Laguiller à un parti des travailleurs ?

Discuter de l'ensemble de ces problèmes ne signifie nullement jeter l'anathème ou l'exclusive sur qui que ce soit, sur quelque courant que ce soit, bien au contraire. C'est la condition d'une saine unité fraternelle et démocratique entre tendances, unité qui ne soit pas prisonnière des rapports de forces entre micro-appareils. Discuter réellement des divergences, les confronter avec l'expérience passée, être capable de mesurer la justesse des différentes orientations en fonction de leurs conséquences, de leurs résultats, est indispensable pour tous les révolutionnaires qui font passer les intérêts généraux du mouvement avant leurs intérêts particuliers de tendance.

S'il est clair qu'il revient à Lutte ouvrière d'avoir su formuler une politique de classe qui a su lui attirer les sympathies d'un large public populaire de salariés, il est tout aussi évident que Lutte ouvrière n'a pas su apporter les réponses politiques qu'exigeait l'influence nouvelle gagnée par nos idées. Elle a fui les problèmes, se contentant d'un appel sans suite à un parti mythique des travailleurs.

Cet appel n'aurait été crédible et digne de confiance que s'il avait été suivi d'une formulation de ses bases programmatiques, d'une définition du cadre général de fonctionnement, et s'il s'était ouvert fraternellement à tous ceux qui étaient prêts à collaborer à cette tâche au lieu de leur répondre avec un dédain et un mépris aussi aveugles que stupides.

Bon nombre d'entre nous ont participé à ces erreurs, les ont appliquées, dominés par la confiance dans le passé de Lutte ouvrière et surtout, privés de par le fonctionnement de cette organisation des moyens d'élaboration collectifs sans lesquels des militants ne peuvent surmonter les doutes et les interrogations.

La question n'est pas de juger mais de comprendre et de discuter, pour éviter de gâcher une nouvelle occasion. 95 a été une répétition, ne pas en tirer les conclusions, ne pas en tirer les leçons, serait beaucoup plus qu'une erreur.

Le mythe du grand parti des travailleurs, écran de fumée qui détourne des tâches concrètes, construire un regroupement démocratique et révolutionnaire

Dans les discussions que chacun peut avoir autour de lui, dans les débats des réunions publiques de Lutte ouvrière ou de la Ligue, comme dans ceux des meetings d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine, la question de la suite à donner aux élections européennes revient constamment. Mais le plus souvent, cette question est posée nous semble-t-il, de façon erronée ou plutôt, les réponses sont le plus souvent à côté de questions légitimes, cruciales pour l'avenir de l'ensemble du mouvement.

Ligotés par le cadre défini par leur accord, accord électoral, les militants comme les porte-parole des deux organisations n'ont pas la liberté de discuter concrètement du problème tel qu'il se pose dans les faits, en fonction de la situation politique et de la situation de l'extrême-gauche. Deux types de réponses reviennent, selon la tendance à laquelle elle se rattache, soit oui au grand parti des travailleurs, mais les conditions ne sont pas mûres, soit oui au grand parti anticapitaliste avec des courants issus de la gauche, tout le monde se mettant d'accord pour faire dépendre mécaniquement les tâches des scores électoraux. Aucune des deux réponses ne donne de perspectives immédiates, concrètes, tangibles, pour les militants, les travailleurs, les jeunes qui se reconnaissent dans l'unité entre la Ligue et LO.

Il n'est, pensons-nous, pas juste de se détourner des possibilités concrètes en arguant du fait qu'aujourd'hui, il n'y a pas l'enthousiasme ou l'engouement militant pour que puise se former un tel parti. De même, soumettre, conditionner nos tâches à l'apparition de courants d'opposition au sein de la gauche est une façon, symétrique, d'esquiver les questions de l'heure.

Pour la Ligue et pour LO, ces réponses dilatoires sont une façon de préserver leur propre identité de l'effet de la dynamique dont elles-mêmes sont pour une part la cause, en maintenant une continuité entre la politique passée, sectaire d'un point de vue révolutionnaire tant du côté de la Ligue que du côté de LO, et les choix que, sous la pression des événements, les deux organisations ont été amenées à faire.

Ceux qui se reconnaissent dans la perspective qu'ouvre de fait la liste unitaire, ont besoin de réponses concrètes tournant le dos au mythe du grand parti des travailleurs, qui, un jour peut-être… comme à la recherche d'alliés sur sa droite, comme le fait depuis des années la LCR.

Les alliés d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine, leur véritable soutien, leur force, ce sont les travailleurs et les jeunes, qui se retrouvent dans les meetings et qui le plus souvent s'en vont un peu déçus parce qu'on n'a pas su leur faire comprendre à quel point on avait un besoin vital d'eux, que c'était eux les véritables acteurs, que c'est à eux qu'il appartenait de s'emparer des idées pour leur donner vie et en faire une force. Et cela, dès aujourd'hui, indépendamment des scores électoraux.

Formuler une politique et les tâches simples, concrètes, précises, les populariser auprès de ceux qui regardent vers l'extrême-gauche, en débattre, en discuter avec eux, les aider à sortir de l'isolement pour trouver le chemin vers les travailleurs et la jeunesse, voilà nos tâches. Qu'aujourd'hui l'extrême-gauche et nos idées ne suscitent pas encore un enthousiasme militant spontané, ne fait que souligner l'urgence des transformations nécessaires pour surmonter la contradiction qu'il y a entre de vieilles organisations habituées au comportement des petits groupes et le courant ouvrier et populaire d'extrême-gauche naissant. Il y a urgence sous peine de laisser les incompréhensions se développer, sans pouvoir utiliser la période qui vient pour jeter les bases d'une force nouvelle qui ne sera ni ce grand parti mythique ni cette force anticapitaliste ouverte à ceux qui n'en veulent pas, mais un regroupement de tous ceux qui veulent s'atteler à la tâche de l'organisation des travailleurs et dont personne ne peut dire aujourd'hui quels en seront les exacts contours.

Cela passe par l'unification des forces des marxistes révolutionnaires. Cela ne suffira pas, c'est une condition qui n'est pas suffisante, mais elle est nécessaire.