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Préparation de la deuxième loi sur les 35 h : nouvelle aubaine pour le patronat à qui Aubry veut donner toute satisfaction

D’après Martine Aubry, la loi sur les 35 h, cette " conquête sociale de la décennie " aurait permis en un an de créer ou de préserver un total de 50 000 emplois, et encore en comptant les accords signés dans les entreprises publiques telles Air France ou EDF. Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes quand on les compare aux 10 000 licenciements qui ont lieu en moyenne chaque mois. D’autant que les chiffres des emplois " préservés " ont peu de valeur, comme l’explique le Medef lui-même : " une entreprise de 100 salariés qui veut licencier 30 personnes annoncera 40 licenciements et, grâce aux 35 h, n’en licenciera que 30. On aura beau jeu, après, de dire que la loi Aubry a sauvé 10 emplois ! ".

Mais quoi qu’il en soit, le patronat engrange les " aides " à chaque signature d’accord. Une véritable aubaine : 9000 F par salarié de l’entreprise la 1ère année, 8000 F la 2ème, 7000 F la 3ème, 6000 F la 4ème et 5000 F la 5ème ; sans compter une majoration pouvant aller jusqu’à 4000 F par salarié en fonction de la date de la signature. Un pactole tel (jusqu’à 13 000 F par salarié et par an) qu’un député socialiste s’est senti obligé, dans un rapport parlementaire, de demander si c’était bien " justifié "… Et Aubry a prévu pour la suite une " aide structurelle " de 5000 F par salarié, sans limitation de durée.

Les accords déjà signés prévoient, pour les trois quarts des salariés concernés, un gel des salaires ou une " modération salariale ", et certains ont institué les " 35 h payées 35 " pour les nouveaux embauchés.

80 % des accords signés prévoient l’annualisation et la flexibilité permettant d’imposer jusqu’à 48 h par semaine (en prévenant les salariés parfois seulement 48 h à l’avance) et 6 jours de travail par semaine.

Quant aux heures supplémentaires (130 heures en théorie, jusqu’à 180 heures dans la métallurgie) elles permettent au patronat de maintenir la durée du temps de travail à 39 h. Le vice-président de l’Union des industries textiles explique : " L’accord de branche prévoit un contingent de 130 h supplémentaires, mais qui peut être majoré de 45 h dans le cadre d’un accord d’entreprise. Je vais donc pouvoir proposer à mes salariés 35 h payées 35, auxquelles se rajouteront obligatoirement 3 h supplémentaires. J’arrive à 38 h de travail dont le coût revient à celui du paiement de 38 h 75. Je suis donc à 38 h payées 39. Cette heure perdue, je vais la récupérer en productivité, avec une meilleure utilisation des équipements, notamment le samedi ".

Quant au calcul des " 35 h ", il se fait sur la base du temps pendant lequel le salarié est " à la disposition de l’employeur en se conformant à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles ", ce qui permet à Peugeot, par exemple, de ne plus compter les 20 minutes de pause journalière dans le " temps de travail ". D’autres entreprises décomptent les temps d’habillage, de douche, les jours accordés au-delà du minimum légal comme les ponts, certains congés, ou les jours de formation professionnelle.

Malgré cela, le patronat est peu pressé d’appliquer les 35 h : il fait monter les enchères en attendant la 2ème loi qui doit être soumise au Conseil des ministres en juillet et qui portera sur le régime des heures supplémentaires, la rémunération des salariés à temps partiel, le Smic horaire, le financement de la réduction du temps de travail, etc.

La loi prévoit que toutes les entreprises de plus de 20 salariés devront appliquer les 35 h au 1er janvier 2000. Mais Aubry l’a annoncé : " le 1er janvier 2000 ne doit pas être un couperet " et s’ouvrira alors " une période de transition ". Une période où il semble acquis que le gouvernement autorisera un contingent plus important d’heures supplémentaires qui pourraient être moins taxées entre la 35ème et la 39ème heure. Actuellement elle sont majorées de 25 %, le Medef veut qu’elles ne le soient que de 5 % et que leur contingent passe de 130 à 188 heures…

Quant aux inspecteurs du travail, une circulaire du ministère leur suggère le laxisme en leur conseillant, pour les contrôles du temps de travail, de " sanctionner éventuellement les écarts les plus graves " mais surtout " d’inciter les entreprises à négocier "…

Face à cela, le Parti communiste et les Verts au gouvernement ont annoncé qu’ils seront " très fermes " et ont " demandé " à Martine Aubry " des mesures radicales " pour favoriser l’emploi. De quoi faire trembler le patronat…

Quant aux syndicats, plusieurs d’entre eux (dont la CGT qui a, à ce jour, signé 20 % des accords), ont décidé d’une semaine " d’expression et d’initiatives " du 25 au 29 mai. D’après Maryse Dumas, numéro 2 de la CGT, " cela permettra de libérer les énergies "…

L'Europe sociale, c'est pour les discours : une décision de Bruxelles contre l’interdiction du travail de nuit des femmes qui arrange bien les patrons français

La Cour de justice européenne devra approuver ou non la sanction demandée par Bruxelles à l’encontre de la France où l’article du Code du travail interdisant le travail de nuit des femmes est toujours en vigueur. La pénalité peut être une amende de 142 425 E (943 880 F) par jour pour non respect de la directive européenne de 76 sur l’égalité entre hommes et femmes. Le gouvernement Jospin-Aubry a quelques semaines pour prendre une décision.

Cette loi n’est déjà plus appliquée en France dans bien des cas. 800 000 femmes travaillent habituellement ou occasionnellement de nuit depuis longtemps dans des secteurs comme la santé, le commerce, le transport. En 87, Seguin, alors ministre du Travail avait fait adopter une loi autorisant en cas de nécessité le travail en 3/8 dans la métallurgie. Depuis, comme les autres formes de flexibilité, le travail de nuit a pris toujours plus d’ampleur. Un tiers de ces nouveaux travailleurs de nuit sont des femmes. Leur nombre a doublé en quatre ans. Dans l’industrie, 46 700 femmes travaillent de nuit. A part des secteurs comme la Santé ou la Chimie où il est inévitable, ailleurs c’est une véritable aberration et sa progression est révélatrice de la dégradation générale des conditions de travail de la classe ouvrière. Supprimer cette législation datant de 1892, ne fera qu’accentuer cette dégradation en faisant sauter un frein à la généralisation du travail de nuit pour les femmes sans faire avancer d’un pouce dans le sens de l’égalité ! La Commission européenne invoque en effet des prétextes égalitaristes pour justifier sa décision. Mais si c’est son souci, pourquoi n’intervient-elle pas contre toutes les formes de discriminations sexistes au travail, contre les salaires plus bas, les postes moins qualifiés, le chômage plus élevé dont sont victimes les femmes ? Ce n’est bien sûr pas son problème, ni l’emploi, ni la santé des femmes travailleuses. Car chacun sait que le travail de nuit est gravement nuisible à l’équilibre physique et psychique pour les hommes comme pour les femmes. Les institutions européennes montrent une fois encore qu’elles sont au service des patrons. En effet, l’application de cette directive européenne ne peut qu’arranger le patronat français, friand de flexibilité en tout genre !

Le gouvernement comme d’habitude fera ce que le patronat voudra. Le seul problème pour lui est que cela peut faire mauvais effet en pleine période électorale pour les Européennes justement. Aubry profitera peut-être de la deuxième loi sur les 35 heures pour abroger cette loi ou rediscuter de son application branche par branche, entreprise par entreprise. Cela ne fera que la rendre encore plus impopulaire alors qu’elle est déjà contestée partout où elle doit entrer en application.

A cheval ou en vélo, l'extrême-droite recule

Les défilés du 1er mai de Le Pen et Mégret ont confirmé l'affaiblissement de l'extrême-droite. Les deux défilés, celui de le Pen et celui de Mégret, n'ont pas regroupé plus de 6 000 personnes (contre 10 000 l'an dernier). Et ils n'étaient guère fringants. La division du camp frontiste accélère sa déconfiture : la bataille des chefs a dévoilé au yeux de leurs supporters le politicien arriviste qui se cachait derrière l'homme providentiel. Mais plus fondamentalement, ce sont les idées de l'extrême-droite qui régressent. La division du FN est d'ailleurs davantage une conséquence de cet affaiblissement qu'une cause. Un sondage publié cette semaine dans la presse montre que l'adhésion aux thèmes traditionnels de l'extrême-droite rencontre un rejet massif. Qu'il s'agisse de la sécurité, de la défense des valeurs traditionnelles, de l'immigration, de l'Europe, ou des critiques contre la " classe politique ", la démagogie d'extrême-droite ne fait plus autant recette. Depuis une quinzaine d'années en France, le niveau moyen d'accord avec les idées d'extrême droite se situait autour de 20 %. Cette année, il est pratiquement réduit de moitié et tombe à 11 %. Il n'y a plus que dans la catégorie " commerçants, artisans, indus-triels " que le taux d'approbation reste pratiquement identique (23 %, c'est-à-dire malgré tout une baisse de 5 points en un an). Dans toutes les autres catégories l'extrême-droite recule, en particulier dans le milieu ouvrier, où l'adhésion à ses idées s'effondre de moitié en un an.

Tous les sondages confirment l'affaiblissement de l'extrême-droite : Le Pen plafonne entre 4 et 7 % des intentions de vote, Mégret entre 3 et 5 % (la liste Pasqua De Villiers récupérera certainement une partie des voix perdues par l'extrême-droite, mais ce tandem séduira davantage le chef d'entreprise ou le riche rentier du 16ème arrondissement de Paris que la fraction populaire de l'ancien électorat de le Pen).

Pour l'extrême-droite, la spirale de l'échec accentue sa chute. La division du parti entraîne une banqueroute financière, et les deux composantes semblent incapables de réunir les fonds nécessaires à la campagne des Européennes. Tous les deux en sont réduits à faire la quête auprès de leurs militants et sympathisants. Cela ne peut qu'affaiblir un parti habitué aux campagnes-choc, où l'argent remplace la force militante. Cela entraînera en même temps la désaffection de ceux qui, en politiciens arrivistes, avaient rejoint l'extrême-droite au moment où elle était une " force gagnante ". La division déroute les militants, qui peinent à distinguer la différence entre les deux leaders. Les résultats électoraux sont mauvais : le mois dernier aux législatives anticipées d'Aubagne dans les Bouches-du-Rhône, la candidate lepéniste obtenait 12,8 % des voix contre 22,3 % en 98. Les enquêtes judiciaires concernant la mairie de Toulon arrangent bien le camp mégretiste, mais à terme accentuent le discrédit contre une extrême-droite qui se présentait sur le thème " mains propres "…

L'image présentée par Le Pen au défilé du 1er mai ne pouvait qu'accentuer ce sentiment de déroute : tandis que Mégret affichait une Le Pen sur sa liste, Le Pen exhibait un De Gaulle (petit-fils de l'autre) dans sa recherche éperdue de respectabilité auprès de l’électorat bourgeois. Perturbé par sa dégringolade inattendue, Le Pen est allé chercher dans le " camp adverse " un nom censé être respectable. Ce qui laisse perplexe autant ses militants que ses opposants. Le sourire benêt du pauvre Charles n'aura convaincu personne. Et comme s'il s'en doutait, Le Pen s'en est remis à Dieu : " comme disait Jeanne, Dieu nous donnera la victoire ". C'est ainsi, au Moyen-Age, qu'on se rassurait quand tout était perdu.