La sale guerre dans l’ex-yougoslavie



Les grandes puissances prises dans l’engrenage de la guerre sont à la recherche d’un " ordre mondial " face aux risques de tempêtes économiques et sociales

Il peut paraître très contradictoire que les Etats-Unis ait donné l’impression de rechercher une issue à la guerre des Balkans jeudi 6 mai lors de la réunion du G8 à Bonn tandis que le lendemain soir leur bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade ruinait, selon la plupart des éditorialistes, "leurs efforts diplomatiques". Pour rendre la politique américaine plus cohérente qu’elle n’est et pour lui donner une apparence " civilisée ", il ne restait plus aux journalistes des grands médias qu’à maquiller le bombardement de cette ambassade en " bavure tout à fait involontaire ". Quelle sollicitude pour la plus grande puissance mondiale qui pratique une politique de coup de force systématique aussi bien contre l’ex-Yougoslavie que contre l’Irak ! Quelle prévenance pour son porte-parole Clinton qui, comme chacun sait n’a jamais menti ni dans les petites ni dans les grandes occasions ! Mais s’il est certain que la politique américaine donne parfois une impression de cafouillage et d’improvisation, cela s’explique par la position chaotique dans laquelle se trouvent les puissances impérialistes.

Cette guerre qu’ils ont eux-mêmes déclenchée, un peu à l’aveuglette, traduit leur préoccupation d’instaurer un ordre mondial qui préserve leurs intérêts fondamentaux, avant que des séismes dangereux ne se produisent, provoqués par les contradictions de l’économie capitaliste mondiale ou par des explosions sociales de grande ampleur.

L’unité de l’OTAN

Une des fonctions essentielles de la guerre actuelle dans les Balkans est de créer les conditions d’une collaboration très poussée entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Ce qui prime au stade actuel pour les Etats impérialistes est leur unité de vue, politique et militaire dans le cadre de l’OTAN, pour faire face aux menaces de remise en cause de leur domination d’où qu’elles viennent. Cela ne préjuge pas de divergences ultérieures, voire de conflits entre les USA et l’Euroland. Mais actuellement cela n’est pas encore à l’ordre du jour. La guerre offre une opportunité à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) de s’imposer comme force de maintien de l’ordre militaire et comme force de pénétration économique sans barrières sur tout le continent européen. De ce point de vue les Etats-Unis l’aident à mettre le pied à l’étrier pour devenir une telle force mais la guerre révèle aussi que les Etats de l’Europe occidentale ne sont pas au niveau en matière d’armements et de renseignements pour se passer de la tutelle américaine. Ils envisagent de mettre au point " des critères de convergence en matière de défense " et seront certainement amenés à relever fortement leurs budgets militaires quoiqu’il en coûte aux populations concernées.

Dans l’immédiat ce qui s’est révélé à nouveau à la conférence du G 8 à Bonn, c’est l’unité de vue entre toutes les grandes puissances de l’OTAN.

Le plan qui a été discuté pour le Kosovo ne diffère de celui de Rambouillet sur le fond. Pour s'engager dans la guerre sans retard, l'ONU était un frein mais sur la base d'un rapport de forces favorable, les Occidentaux verraient d'un bon œil que l'occupation militaire du Kosovo soit avalisé par l'ONU. Il est entendu que l'OTAN constituerait le " noyau dur " d'une telle force mais un règlement réalisé sous l'égide des Nations unies permettrait d'impliquer les Russes. Il est envisagé que le Kosovo soit divisé en trois zones d'occupation militaire, la partie nord où vit la minorité serbe étant éventuellement dévolue à des troupes russes et ukrainiennes. Mais on n'en est qu'à une première mouture de réglement depuis le début de la guerre. Les dirigeants de l'OTAN ne sont pas pressés de la terminer et ils peuvent faire jouer une série de variables en fonction de l'évolution de la situation créée par la guerre. Le comportement de Milosevic dont ils ne veulent pas prendre en compte " les gestes " mais dont ils attendent plutôt une forme de capitulation ne jouera que dans une faible mesure. Par contre ils ne peuvent négliger les réactions en provenances de la Russie ou de la Chine.

Que faire de la Russie ?

Les dirigeants de l'OTAN répètent sans arrêt que rien ne peut se régler dans les Balkans sans le concours de la Russie. En fait c'est le fantôme d'une grande puissance qu'ils veulent mettre à contribution. La façon dont la presse occidentale continue de parler du G7+la Russie, indique bien que ce pays est une pièce rapportée dans le club très fermé des Etats riches. Par bien des aspects, la Russie est l'homme malade de l'Europe. La situation au Caucase reste explosive et l'armée russe a surtout révélée ses faiblesses en Tchétchénie. Le plus dangereux pour l'ordre impérialiste réside dans le risque de crise sociale qui peut un jour éclater à l'échelle de toute la Russie. Les conséquences de l'introduction du capitalisme et du pillage des richesses par les trusts occidentaux et une poignée de bourgeois russes sont impossibles à prévoir. Le choc en retour social de leur offensive victorieuse ayant détruit l'URSS peut être extrêmement brutal. 53 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et la guerre dans les Balkans a certainement réveillé les sentiments anti-impérialistes. Pour ne pas attiser encore plus la colère de la population à leur égard, les dirigeants russes n'ont pas trop intérêt à apparaître comme des valets de Washington même si c'est bien ce qu'ils sont fondamentalement. Ils prendront les initiatives qu'on leur dictera en faisant tout pour préserver leur image de chefs d'un grand Etat " indépendant " mais en fait grevé de dettes et vivant aux crochets du FMI.

Que faire de la Chine ?

Des ingrédients explosifs du même ordre existent en Chine où les " réformes " de l'Etat brisent toutes les barrières à la pénétration du capitalisme et se soldent par une vague de licenciements gigantesque. Dans les entreprises publiques entre 30 et 50 millions de travailleurs auraient été déjà licenciés. L'intérêt des puissances occidentales est que l'Etat chinois soit suffisamment souple pour obéir à leurs ordres et c'est ce qu'elles sont en train de vérifier à la suite du bombardement de son ambassade à Belgrade. Mais elles ne peuvent pas non plus le déstabiliser trop car il constituerait un rempart important en cas d'explosion sociale. L'OTAN comprend très bien que la Chine soit obligée de " durcir le ton " pour ne pas donner l'impression à la population que ses dirigeants s'aplatissent devant les Occidentaux. Il reste à trouver empiriquement le point d'équilibre permettant d'associer l'Etat chinois au maintien de l'ordre en Asie sans encourager des ambitions immodérées.

Une situation à hauts risques qui prépare une issue révolutionnaire

Si les dirigeants politiques et les stratèges de l'OTAN se donnent grâce à cette guerre les moyens de tester la solidité de leurs armées, la fidélité des équipes gouvernementales et la fiabilité des appareils d'Etat qu'ils entraînent dans leur sillage, ils ne peuvent rien maîtriser quant aux conséquences économiques et sociales de leur système. Les roues de l'engrenage guerrier tourneront plus ou moins vite, voire s'emballeront en fonction des crises à venir, indépendamment de leur volonté. S'ils ont enclenché une mécanique guerrière pouvant provoquer des catastrophes pour les peuples et pour toute l'humanité, ils ont en revanche déjà suscité des sentiments de méfiance et de franche hostilité dans certains pays à l'égard de l'ordre barbare qu'ils défendent. Le prochain siècle a de grandes chances de voir émerger des mouvements révolutionnaires sur tous les continents. C'est à cette perspective, que les militants du mouvement ouvrier et les jeunes se préparent avec optimisme car c'est la seule issue réellement " humanitaire ".

Crises et guerres dans l’ex-Yougoslavie : au rythme de la crise mondiale du capitalisme

Comment les rivalités nationales qui avaient été, sinon dépassées, du moins occultées pendant la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale, ont-elles pu resurgir, dans les dix dernières années, avec une telle violence, et plonger les population de l’ex-Yougoslavie dans une telle barbarie ?

Des premières fissures dans l’unité de la Yougoslavie, au milieu des années 70, à l’éclatement de la Fédération et aux guerres du début des années 90, jusqu’au déclenchement par la Serbie de Milosevic de l’épuration ethnique au Kosovo l’an dernier, l’aggravation des tensions et des rivalités nationales a suivi pas à pas le rythme de l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme.

Pendant la période d’expansion mondiale de l’économie, c’est à l’ombre de l’Etat fédéral qui avait favorisé une modernisation relative du pays par les nationalisations, que les couches privilégiées avaient prospéré. Quand les richesses diminuèrent du fait de la crise, la lutte pour s’en accaparer s’aiguisa, aussi bien celle que ces couches privilégiées menèrent contre la population laborieuse pour réduire sa part, que celle qu’elles engagèrent entre elles, de façon larvée d’abord, justifiant cet accaparement par un " droit du sol " si on peut dire, puis ouverte, lorsqu’elles utilisèrent le même nationalisme pour dévoyer dans une impasse la révolte des travailleurs, et pour les dresser les uns contre les autres.

En 1974, lorsque Tito procéda à une réforme de la Constitution qui dépossédait, au profit des Républiques, l’Etat fédéral d’une partie de ses pouvoirs, l’économie mondiale venait de connaître sa première récession, après la longue phase d’expansion d’après guerre. La Yougoslavie fut touchée comme tous les pays pauvres par la dépréciation de ses exportations, résultat de la pression des trusts des pays riches, et s’endetta de façon exponentielle, alors que les bourgeoisies impérialistes développaient artificiellement de nouveaux marchés, par des prêts massifs aux Etats du Tiers Monde, qui leur revenaient sous forme de commandes.

De 86 à 89, lorsque Milosevic devint un des hommes forts du pays en dévoyant et brisant la révolte ouvrière par ses menées réactionnaires dirigées, au nom du " réveil de la Serbie ", contre les Albanais du Kosovo, la crise mondiale avait franchi, avec la récession du début des années 80, une étape supplémentaire vers son approfondissement. Alors que, dans les pays riches, elles commençaient à s’attaquer de front aux travailleurs à coups de plans massifs de licenciements et de blocages des salaires, les bourgeoisies impérialistes saignèrent littéralement les peuples des pays pauvres, le FMI, leur huissier, dictant aux gouvernements des mesures qui, en Yougoslavie, réduisirent de moitié le niveau de vie de la population. Et c’est au début des années de libéralisme triomphant, en 91 et 92, que la Yougoslavie éclata, les cliques des Républiques les plus riches comme la Slovénie, la Croatie, puis la Macédoine, faisant sécession pour mieux négocier auprès de leurs voisins impérialistes, les fruits de l’exploitation de leur classe ouvrière. Les guerres qui éclatèrent alors, entre la Serbie, et la Slovénie puis la Croatie, et ensuite, dans une des Républiques, en Bosnie, entre les chefs locaux serbes, croates, et musulmans étaient l’aboutissement de l’éclatement de la Fédération et de l’hystérie nationaliste de chacune de ces cliques, la continuation, par la violence des armes, de la lutte pour l’accaparement des richesses, que ces classes possédantes, réduites désormais à la portion congrue par l’impérialisme, menaient en temps de paix.

L’ex-Yougoslavie, avant même la guerre actuelle, a été ruinée par les conséquences de l’éclatement du pays et les guerres. En Serbie, le PIB (produit intérieur brut) avait diminué de 27 % chaque année en 92 et 93, et la situation s’est encore détériorée par suite de l’embargo qui lui a été imposé par les grandes puissances. L’offensive de Milosevic contre le Kosovo, à partir de 1998, a sûrement comme objectif, outre qu’elle est dans la logique de sa fuite en avant nationaliste, de s’assurer la possession de ce territoire et des richesses de son sous-sol, argent, nickel, bauxite, chrome, plomb, qui constituent une source d’approvisionnement considérable pour l’industrie de transformation serbe.

La Serbie, une des parties les plus pauvres de l’ex-Yougoslavie, se trouvait de fait étranglée économiquement, et il est probable que la récente aggravation de la crise mondiale, à partir des crises financière asiatique et russe, l’a encore davantage appauvrie. Mais c’est surtout dans la politique des puissances impérialistes que ce tournant dans la crise économique mondiale entre en ligne de compte. Ce déchaînement de violence barbare a été froidement calculé, il est une réponse tout autant à l’indiscipline de Milosevic qu'à son incapacité à maintenir l'ordre, en même temps qu’un avertissement sanglant aux peuples des pays pauvres, dont les dirigeants impérialistes savent qu’ils auront à affronter la révolte. Entre la politique de Milosevic et celle des grandes puissances il y a le dénominateur commun de l'oppression des peuples.

Comme dans le passé, les rivalités nationales qui déchirent aujourd’hui les peuples des Balkans, ont resurgi alors que la crise mondiale du capitalisme renforce les tensions sociales, la lutte pour l’accaparement des richesses, et internationales, la main mise des puissances impérialistes sur les peuples.

Quelle que soit son étiquette " communiste ", le régime de Tito n’était qu’un régime nationaliste protégeant les intérêts de couches privilégiées aspirant à se faire une place dans le monde impérialiste, et comme tel, dans un pays pauvre, il ne pouvait être qu’une dictature. Pour que l’unification réalisée en partie sous son régime ait pu dépasser ces rivalités nationales, il aurait fallu un développement économique suffisant pour sortir le pays du sous-développement, et que les travailleurs eux-mêmes, la population, garantissent par leur mobilisation et leur contrôle sur toute la vie sociale, les droits démocratiques, aussi bien des individus que des minorités nationales.

Les pays riches auraient eu largement les moyens matériels d’aider ces peuples par une réelle coopération, et la solidarité à l’égard des réfugiés kosovars montre que c’est le souhait de la majorité de leur population, mais la guerre destructrice que mènent les Etats qui sont à leur tête, est dans la continuité, elle aussi, du pillage qu’a exercé sur ces peuples, l’oligarchie financière dont ils sont les fondés de pouvoir.

Les accord de Dayton de 1995, le règlement de la guerre en Bosnie par les puissances impérialistes : un accord invivable, trêve entre deux guerres

Les accords de Dayton signés en novembre 1995 devaient ouvrir une nouvelle ère de paix en Bosnie, après trois ans et demi de guerre civile. Comme tous les traités qui ne font que sanctionner un rapport de force provisoire entre deux guerres, les accords de Dayton contenaient en germe tous les éléments pour un nouvel affrontement contre les peuples et ils n’ont pas manqué de déboucher sur la guerre actuelle en ex-Yougoslavie.

La Bosnie était une région pluri-ethnique où les mariages inter-communautés étaient nombreux. En 1992, l’initiative des affrontements est revenue aux chefs de guerre des milices bosniaques pro-serbes, Mladic et Karadjic, armées et soutenues par le dictateur serbe Milosevic. Mais la violence contre les populations pour les contraindre à quitter leurs lieux d’habitation, la pratique de la purification ethnique, n’ont pas été propres au nationalisme serbe : toutes les cliques nationalistes, croate comme musulmane, les ont pratiquées contre les populations civiles. Les méthodes des chefs de guerre nationalistes ont consisté à rendre difficile, voire impossible, toute cohabitation entre les différentes nationalités, pour garantir leur pouvoir sur leur territoire repectif. Les différents nationalismes ont tracé les frontières de leurs futures territoires par la force des armes.

Et ce sont ces entités monstrueuses " ethniquement pures " qui ont été reconnues par les puissances impérialistes. S’affirmant pour une Bosnie pluri-ethnique, les grandes puissances ont reconnu dans les faits la division de la Bosnie en deux entités, serbe et croato-musulmane, même l’entité musulmane, initialement prévue, est passée à la trappe, la domination des nationalistes croates étant reconnue sur la minorité musulmane. Les accords de Dayton reconnaissaient la possibilité pour les nouveaux Etats, serbe et croate, d’établir des relations privilégiés avec la Serbie du dictateur Milosevic et la Croatie du dictateur Tudjman. C’était reconnaître, si ce n’est une Grande Serbie telles que la conçoivent les Serbes réactionnaires, du moins une Serbie élargie à l’extérieure de ses frontières et une Croatie, elle aussi, élargie. Ainsi, les nationalistes serbes et croates étaient encouragés dans leurs visées expansionnistes. Cette reconnaissance des dominations serbe et croate ne pouvaient que déboucher sur la volonté des cliques nationalistes de vouloir continuer à agrandir leurs territoires au détriment d’autres populations, sachant qu’elles bénéficieraient de l’impunité de l’impérialisme.

Mais en 1995, Milosevic, avait la faveur des grandes puissances, il était l’interlocuteur privilégié, reconnu, que les grandes puissances pensaient tenir bien en mains. Qu’il pratique l’épuration ethnique, défende le chauvinisme serbe, arme le bras des assassins Karadzic et Mladic, qu'il quadrille déjà militairement le Kosovo, ne gênait pas le camp des démocraties occidentales et américaine qui considéraient toutes ces exactions comme du ressort de la politique intérieure de Milosevic. Ainsi, à Dayton, il n’a pas été fait mention du Kosovo, ce qui était une façon de reconnaître qu’il gardait sa main-mise dessus avec l’accord des grandes puissances. De surcroît, il recevait en cadeau un agrandissement de sa sphère d'influence. En cela, la paix était lourde d’un danger de nouvelle guerre qui pouvait mettre en route l’engrenage de la violence inter-ethnique pour redessiner la carte des Etats en enclenchant la logique de la fuite en avant dans la violence ; ce que n’a pas manqué de faire Milosevic au Kosovo.

Cette paix armée de 1995 qui n’était qu’une trêve entre deux guerres ne pouvait mettre en place qu’une situation insupportable pour les populations serbe, croate ou musulmane. Les nouveaux territoires, produits du découpage ethnique des populations, sont non-viables économiquement et ils ont laissé les populations sous la domination des nationalistes. Le tribunal pénal international de La Haye était censé juger les criminels de guerre ; les assassins bosniaques pro-serbes Mladic et Karadjic sont toujours en liberté. Les troupes de l’OTAN étaient censées demeurer sur place un an après la signature de la paix, elles sont toujours là. Les réfugiés et déplacés de force étaient censés pouvoir revenir sur leurs lieux d’habitation ; sur les 2,1 millions de personnes chassées – la moitié de la population bosniaque – 1,4 million ne sont pas rentrées, craignant les représailles, ce qui signifie qu’il faudrait au moins cinquante ans, à ce rythme, pour que le retour des réfugiés soit réalisé. Les grandes puissances s’étaient engagées à rebâtir le champ de ruines qu’était devenue la Bosnie ; le taux de chômage représente 70 % de la population active et 9 personnes sur 10 dépendent de l’aide humanitaire. Dans une ville comme Sarajevo, l’eau potable n’a toujours pas été rétablie. L’économie est dévastée, les usines arrêtées, la production tourne au ralenti. Les conditions dramatiques de l’après guerre poussent, tous les ans, 50 000 personnes à quitter le territoire de la Bosnie. Un bilan qui parle de lui-même.

Tribune : Contre les guerres de l'impérialisme unitaire, pour l'internationalisme prolétarien

Si les effets des guerres sont évidents, les vraies causes sont peut-être plus difficiles à saisir. Mais il est fondamental d'essayer de les mettre au jour, surtout pour ceux qui luttent pour empêcher que le prolétariat ne serve de chair à canon, au service des différentes fractions et alliances impérialistes.

La guerre au Kosovo est un épisode des nouvelles guerres balkaniques, déclenchées à la suite de l'effondrement de l'impérialisme russe, de la réunification allemande et de la forte impulsion à la formation de l'impérialisme européen. Le nouvel ordre mondial n'est pas quelque chose d'abstrait, mais un rapport concret entre les puissances impérialistes, se substituant à l'ancien partage de Yalta en Europe, fondé sur l'accord entre les Etats Unis et l'URSS. D'une situation bipolaire on est passés à une situation multipolaire, chaque impérialisme essayant de mettre en place des rapports et des alliances qui l'avantagent.

Les conflits locaux, qui sont une constante du monde impérialiste, trouvent leurs causes dans des affrontements du passé et dans l'avidité des bourgeoisies nationales. Les grandes puissances interviennent dans ces conflits, soit pour conquérir ou défendre une sphère d'influence, soit pour se confronter entre elles, et donc établir un rapport de force. La guerre du Golfe et les guerres balkaniques ont représenté et représentent ce banc d'épreuve. Si les USA ont été dominants dans la guerre du Golfe, par contre un bilan dans les Balkans est plus complexe, car c'est le coeur de l'Europe, et pour cela les Européens se sont engagés massivement. Ils ont saisi la possibilité de définir un nouveau rapport avec les USA, et de modifier la nature et les buts de l'Otan.

L'Otan était l'instrument militaire par lequel les Usa sanctionnaient la division et la soumission de l'Allemagne, dans le cadre de l'alliance de fait avec l'URSS. Aujourd'hui, le mot d'ordre du Pilier Européen devient la tentative de l'impérialisme allemand, intégré à l'Europe, de s'affirmer comme acteur fondamental du changement.

Un premier bilan des guerres balkaniques jusqu'en 1995 voit :

1 L'Allemagne qui s'insère dans l'action militaire

2 La France qui intervient dans la bataille de Sarajevo avec la Force de Réaction Rapide, base du Pilier Européen de l'Otan

3 La Russie qui voit l'attaque contre une zone sous son influence partielle

4 L'Europe qui se substitue à la Russie dans le rapport avec les USA dans le règlement politico-militaire de la crise.

Le nouveau chapitre des guerres balkaniques présente le même canevas, avec une présence accrue de l'impérialisme européen. Il est nécessaire d'avoir une vision unitaire de l'impérialisme mondial et, en même temps, de saisir les contradictions et les affrontements engendrés par cette même unité entre les différentes parties de l'impérialisme. La négociation à Rambouillet est la tentative européenne d'une part de contenir la question kosovare et, de l'autre, d'imposer son propre ordre en Europe.

Les USA sont aux marges. Aux prises avec un affrontement entre le Congrès et une Présidence affaiblie, ils n'arrivent pas à conditionner l'initiative anglo-française, avec laquelle l'Europe veut décider toute seule sur les affaires européennes. Les USA risquent ainsi de perdre ou de compromettre leur rôle de puissance européenne, conquis avec la 2ème guerre mondiale.

Mais la négociation échoue et la parole passe aux armes. Avec l'entrée en jeu de l'Otan, les USA aussi rentrent en jeu. La stratégie américaine est celle de l'option " zéro morts ". C'est une stratégie qui les avantage, se limitant à l'action aérienne. Cela permet à Clinton de faire accepter au Congrès, de plus en plus isolationniste, le nouvel engagement militaire et garantit aux USA la suprématie face à l'Europe. Mais les Russes aussi sont présents. On ne doit pas penser à un impérialisme russe entravé, car trop dépendant de l'aide financière occidentale. La Russie a déjà du abandonner l'Europe de l'Est et se sent menacé par l'expansion de l'Otan, elle s'est fortement affaiblie et a surement besoin des aides occidentales. Toutefois elle demeure une puissance impérialiste.

Ceci est tellement vrai que plusieurs hommes politiques, dont Chirac, soutiennent la nécessité de lui donner un rôle, de ne pas l'humilier, car une Russie humiliée est imprévisible.

Par contre, l'avantage acquis par l'Allemagne est certain. L'impérialisme allemand envoie ses avions bombarder un territoire dont il avait fait table rase pendant la 2e guerre mondiale. Le Vert soixante-huitard Fischer peut donc déclarer avec une évidente satisfaction que l'Allemagne a récupéré sa pleine dignité politique.

Il est difficile de prévoir les rapports entre les puissances à la fin de ce nouveau banc d'épreuve de l'impérialisme. Les USA combattent pour défendre leur rôle de puissance européenne. Les Européens combattent pour s'affirmer comme impérialisme et pour ajouter à la monnaie unique (l'euro) l'arme (le pilier européen de l'Otan). L'impérialisme russe pour défendre ce qui lui reste. Le seul à avoir le droit de se battre, mais qui ne combat pas, est le prolétariat mondial, encore une fois seulement chair à canon.

Quel que soit le résultat, il sera écrit avec le sang de milliers de prolétaires Serbes et Kosovars.

Mais ce même sang nous impose de multiplier les efforts pour la construction de l'internationalisme prolétarien.

LES CAMARADES DU GROUPE D'ETUDES MARX AUJOURD'HUI (GEMA)