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La croissance aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne, une surchauffe de l’économie qui exigera des réajustements

Aux Etats-Unis, tous les chiffres sont au beau fixe. La croissance du PIB (total des valeurs produites dans le pays) est de 4,5 % pour le premier trimestre de 1999, le taux de chômage est à 4,7 %, l’inflation monétaire n’est que de 1,7 % sur un an… et toute l’économie semble relancée par une consommation des ménages qui a vu sa plus forte hausse depuis onze ans. Bill Clinton s’est donc félicité : " une croissance forte, des investissements élevés, une inflation et un taux de chômage faibles, autant d’indicateurs qui forment une combinaison gagnante et apportent la preuve qu’il faut poursuivre notre stratégie ".

Dans la partie riche de l’Europe, si le chômage est en moyenne plus élevé, l’inflation est du même ordre, et la croissance a l’air aussi de revenir : + 3,2 % en France, + 2,7 % en Allemagne et au Royaume-Uni. Comme Clinton, Strauss-Kahn et Eichel, le ministre de l’économie allemand, ont, eux aussi, fait des déclarations enthousiastes, annonçant une excellente année 1999.

Le grand bluff…

Le premier bluff réside dans le fait de prétendre que l’économie est saine parce qu’il n’y aurait pas d’inflation, au sens où aujourd’hui les planches à billets ne tournent pas pour, par exemple, rembourser les dettes d’Etat. Mais il y a aujourd’hui une inflation énorme, en Europe comme aux Etats-Unis, celle des marchés financiers, celle de l’endettement, dont les progressions sont sans commune mesure avec celle de la production des marchandises.

Aux USA, l’endettement privé n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui : près de 11 000 milliards de dollars, soit 128 % du PIB.

Et si à Wall Street, l’indice Dow Jones bat tous ses records, dépassant depuis la semaine dernière 11 000 points, gagnant plus de 20 % depuis le début de l’année, dans le même temps, la progression de la production industrielle n’a été que de 0,2 %, tandis que les capacités d’utilisation des entreprises ne sont que de 79,3 %. De même, sur les 234 000 emplois créés au mois d’avril, 131 000 l’ont été dans les services, mais le secteur manufacturier en perdait 29 000.

C’est toute une économie qui vit à crédit, crédit de la dette, crédit des valeurs boursières qui s’échangent toujours à la hausse, sans que les investissements productifs n’augmentent de façon conséquente, ce qui serait le seul signe d’une vraie croissance (les entreprises achetant de nouveaux moyens de production pour produire des biens de consommations afin de répondre à une demande en hausse).

Quant à la révolution informatique, si on laisse de côté les chiffres faramineux des capitalisations boursières de ces sociétés, qui sont parmi les plus surcotées par rapport à leur vrai chiffre d’affaires, son principal rôle dans l’économie est de permettre à toutes les autres branches de faire des économies et de réduire leurs coûts, pour continuer à accroître leur profit malgré la faible progression des marchés. L’informatique n’a pas l’air d’être un moteur suffisant pour être à l’origine d’une vraie croissance.

Une croissance dont les travailleurs font les frais

L’autre grand bluff, cynique, porte sur la situation de l’emploi. Un taux de chômage de 4,7 % aux Etats-Unis ! 2,5 millions d’emplois créés en moyenne chaque année ! Et des salaires qui restent miraculeusement stables, malgré la hausse de la demande du marché du travail, avec une progression d’à peine 3 % sur l’année…

La réalité, c’est que sur les 11 millions d’emplois créés depuis 92 aux USA, 2,5 millions sont des temps partiels, c’est que sur les quatre dernières années, il y a eu 4 millions de licenciements aux Etats-Unis, c’est que la pauvreté ne cesse de s’accroître dans les rangs du monde du travail, avec aujourd’hui plus de 36 millions de pauvres dans le pays.

En Europe, la situation est tout aussi dramatique. Et derrière les chiffres dont les politiciens se vantent, comme les 400 000 emplois créés en 1998 en France, c’est la précarité qui se développe… puisque, par exemple, 120 000 de ces emplois sont des emplois-jeunes !

C’est de cette exploitation accrue, de cette pression exercée par le capital sur la classe ouvrière que sont tirés les bénéfices énormes des entreprises reversés aux actionnaires.

Une croissance malsaine…

Par la menace du retrait des capitaux, les fonds de pension et autres compagnies financières exercent une pression permanente sur les entreprises pour qu’elles dégagent systématiquement un taux de profits d’environ 15 %. Cela entraîne un accroissement des fusions, des restructurations, la course à la productivité, l’endettement des entreprises et donc des licenciements et une aggravation des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.

Cette pression exercée par ces grands actionnaires a profité à tous les petits porteurs, qui ont pu retirer, eux aussi, des dividendes confortables, ou jouer tout à loisir sur la hausse des actions, quitte à se donner quelques sueurs froides lorsque les bourses ont été secouées par les krachs en Russie, Asie et Amérique Latine.

Ces krachs ont aussi dopé après coup les marchés financiers européens et américain, qui ont vu revenir des masses de capitaux gonfler leur bulle spéculative… et accroître la surchauffe.

La retombée de cette explosion des valeurs boursières sur des couches de la population assez argentées pour jouer leurs économies, c’est cela la croissance dite " à l’américaine " dont " béné-ficient " aujourd’hui les USA et une partie de l’Europe. Une croissance qui se traduit pour une part par une hausse de la consommation des ménages des classes moyennes, à crédit, vivant sur la bulle spéculative, mais surtout par une intensification de la spéculation, les gains retirés étant ré-injectés sur les actions, ou servant à obtenir des crédits pour d’autres coups de poker.

Dans le monde, la récession s’étend

Mais l’an dernier, à l’exception du pétrole, l’ensemble des matières premières à l’échelle de la planète ont vu leur cours chuter de 16 % en moyenne, preuve que la demande des industries qui les transforment a chuté. Ce sont des pays entiers qui en payent le prix, à commencer en leur sein par les producteurs.

Quand le pétrole est tombé il y a quelques mois à son cours le plus bas, en-dessous de 10 $ le baril, les onze pays de l’OPEP ont perdu 32 % de leur revenu. Pour un pays comme le Venezuela, 1 $ de moins sur le prix du baril, c’est une baisse de 1,5 % du PIB. Aujourd’hui, l’OPEP et 4 autres pays producteurs se sont entendus pour faire remonter le cours à 17 $… en réduisant leur production de 2,1 millions de barils par jour. Mais rien ne dit que la hausse du cours va se maintenir, ni qu’elle compensera la baisse de la production.

Des pays industrialisés comme le Japon sont toujours frappés par la récession, commencée avec la crise financière en Asie. La production industrielle y a chuté de 6 % et le PIB est en recul de 3 %, pour les douze derniers mois.

La croissance à " l’amé-ricaine " des Etats-Unis et de quelques pays européens, se fait sur un développement de la misère dans les pays riches, sur l’entrée en récession d’économies concurrentes, sur l’appauvrissement des pays producteurs de matières premières.

Un " réajustement " inévitable

La croissance actuelle repose sur les retombées de la surchauffe de la Bourse, de l’inflation financière. Pour toucher les dividendes des entreprises qui ont les meilleurs taux de profits, les actionnaires s’arrachent les titres, leur font atteindre des prix sans commune mesure avec la valeur réelle des entreprises. Tout cela exigera des réajustements, c’est-à-dire des chutes des cours des actions, des krachs financiers. Il est impossible de dire ni quand ces krachs se produiront, ni sur quelles places boursières ils commenceront, mais ils ne peuvent pas ne pas se produire, parce que comme la vente des marchandises ne suit globalement pas, le taux de profit que les actionnaires espèrent tirer de la production ne peut pas se réaliser.

Pérou : succès de la grève générale contre Fujimori et les plans du FMI

Le Pérou n’avait pas connu de grève nationale depuis l’élection d’Alberto Fujimori à la présidence de la République, en 1990. Le succès de celle du 28 avril, appelée par la principale centrale syndicale du pays, la CGTP, marque donc un tournant dans la situation sociale et politique de ce pays pauvre, dont la population subit de plein fouet les conséquences de la crise mondiale du capitalisme et de l’application des " recettes " du Fonds Monétaire International.

Depuis son accession au pouvoir, Fujimori s’est montré en effet un bon élève du FMI. L’inflation, qui dépassait 1000 %, a été maîtrisée, mais au prix d’une succession de plans d’austérité qui ont provoqué un chômage massif et une baisse des salaires réels. Une grande partie des paysans vit dans la misère. Les dépenses sociales ont été sacrifiées pour garantir le paiement de la dette extérieure, dont le service absorbe 20 % du budget de l’Etat, les services publics sont privatisés, l’alphabétisation et la santé publique ont régressé ces dernières années. Le pays est saigné à blanc par la finance internationale, et pourtant la dette n’a pas diminué depuis dix ans car il faut d’abord en payer les intérêts.

Pour imposer cette politique, Fujimori a établi une véritable dictature. Par " l’autogolpe " de 1992, coup d’Etat réalisé par la Présidence elle-même, il a suspendu la constitution et dissout le Congrès, et s’est octroyé les pleins pouvoirs. La lutte contre la guérilla du " Sentier lumineux " a servi à justifier toutes les attaques contre les libertés démocratiques : saisies de journaux, emprisonnements arbitraires, tortures, exécutions sans jugement. La brutalité de ces méthodes s’est manifestée aux yeux du monde entier le 22 avril 1997 lors de la prise d’otages à l’ambassade du Japon, quand les militants du Mouvement Tupac Amaru, qui avaient déposé les armes, ont été froidement abattus par les militaires.

Après neuf ans de répression qui ont paralysé les travailleurs, la grève du 28 avril et les manifestations du 1er mai ont redonné confiance à la classe ouvrière dans ses propres forces. Le gouvernement tente de minimiser l’ampleur de la mobilisation et dénonce une tentative de subversion communiste ; il n’en accuse pas moins le coup. C’est que la protestation populaire ne s’est pas cantonnée au terrain économique. Au rejet des mesures dictées par le FMI, se mêlait le refus de voir Fujimori briguer un troisième mandat en l’an 2000, au mépris de la constitution. Des secteurs patronaux touchés par la crise et par l’ouverture des frontières aux produits nord-américains ont encouragé la mobilisation. Le souvenir demeure présent de la grève générale de 1977, qui sonna le glas de la dictature de Morales Bermùdez.

Les chefs des partis de l’opposition bourgeoise, écartés du pouvoir, ont immédiatement vu le parti qu’ils pouvaient en tirer, non pas pour répondre aux aspirations populaires, mais pour préparer un " Fujimorisme sans Fujimori ", qui s’inscrirait dans la continuité de la politique économique de l’actuel président, mais romprait avec l’autoritarisme en rétablissant un système parlementaire. Ils trouvent des alliés de choix dans les dirigeants de la CGTP, souvent membres du Parti communiste ou de l’organisation maoïste Patria Roja. Pour diluer le caractère de classe de l’action du 28 avril, ces deux partis l’ont présentée comme une " grève citoyenne ", et ils proposent un " front large " contre la dictature en vue des élections de l’année prochaine.

Le mécontentement à l’égard du pouvoir est tel que ce front de collaboration de classe peut se constituer et défaire Fujimori, soit en lui interdisant de se représenter, soit en lui infligeant une défaite électorale, mais les revendications démocratiques du peuple péruvien ne seront pas satisfaites pour autant. En effet, le FMI et les gouvernements impérialistes ne sont pas attachés à la personne de Fujimori, mais ils ne lâcheront leur marionnette que si le successeur leur donne toutes les garanties dans le domaine qui les intéresse : le paiement de la dette. L’opposition bourgeoise ne remet pas en cause cette charge écrasante, qui interdit toute relance de l’économie du pays et toute politique sociale. Seule une mobilisation indépendante des travailleurs contre la dictature et contre les plans d’austérité pourra libérer le Pérou de ce fardeau.