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Corse : le gouvernement a sacrifié le préfet, mais il ne peut pas masquer les mœurs de gangsters de l'Etat qu'il a lui-même encouragées

Qui a donné l’ordre ? Accusé par les chefs de la gendarmerie de l’île et par son propre directeur de cabinet, le préfet Bonnet nie avoir ordonné l’incendie de la paillote, et même en avoir eu connaissance à l’avance, mais reconnaît avoir été dépassé par les événements, n’avoir pas été capable de maîtriser l’excès de zèle de ses subordonnés. C’est déjà l’aveu qu’il était au courant des opérations projetées, quand bien même il aurait ignoré les détails. Mais c’est aussi un moyen d’endosser la responsabilité morale sans trop éclabousser la fonction préfectorale et en couvrant ses supérieurs, dont la " cellule Corse " de Matignon. " Responsable, mais pas coupable ", le préfet est un homme de devoir. Il ouvre ainsi la voie à une nouvelle explication semi-officielle, qui vient compléter celle du Monsieur Propre trop impatient : Bernard Bonnet était un homme seul, trop seul, soumis à la pression de la situation comme à celle de ses subordonnés, et qui a fini par craquer.

Cette version du préfet devenu " fada " est bien commode pour le gouvernement, qui condamne les dérives dans les méthodes policières, mais réaffirme sa volonté de rétablir " l’Etat de droit " en Corse. L’île est toujours décrite comme une zone de non droit où la mafia s’en donne à cœur joie avec la complicité des élus, et où les crimes demeurent impunis. Etrange insistance, à la limite du racisme, sur une prétendue spécificité corse que rien ne vient étayer. Les avantages fiscaux dont bénéficient les habitants de la Corse, tout comme les indemnités spécifiques obtenues par les fonctionnaires de l’île après leur grève de 1989, sont parfaitement légaux et justifiés par la cherté de la vie : l’insularité génère des surcoûts, et les prix touristiques s’appliquent toute l’année. La corruption des élus a été épinglée, certains sont mis en examen, la fraude fiscale à grande échelle est une réalité, tout comme le détournement de subventions, mais sur ce plan, nombre de départements et de communes du continent n’ont rien à envier à la Corse, et la justice n’y fait pas toujours diligence.

Il n’en demeure pas moins que Bernard Bonnet avait pu se doter d’une véritable garde prétorienne. C’est ce que confirme, avec des mots choisis, le rapport de l’inspection générale de l’administration, qui rappelle que " au début de 1998, le préfet Bonnet avait également obtenu la mise à disposition auprès de lui du lieutenant-colonel Cavallier, qui avait été commandant de groupement dans les Pyrénées Orientales ", un département où les deux hommes avaient déjà fait montre de méthodes musclées. Le rapport de l’IGA indique : " mais l’essentiel des relations préfecture-gendarmerie s’effectue intuitu personnae entre le préfet Bonnet et le colonel Mazères " et, plus loin, " la gendarmerie, par le biais du colonel commandant la légion Corse, a bénéficié d’un traitement de faveur et de la confiance totale du préfet ". L’ensemble du rapport montre que Bonnet avait bel et bien constitué sa propre équipe, tenant les autorités de police à l’écart au bénéfice de la gendarmerie, ce qui étaye l’idée d’une enquête parallèle sur l’assassinat de son prédécesseur Claude Erignac, et donc d’une véritable police parallèle placée sous l’autorité directe du préfet, les cow-boys du GPS n’en étant qu’un élément.

L’important n’est pas de savoir à quel niveau a été décidé l’incendie de la paillote, qui semble d’ailleurs n’être pas une opération isolée, mais dans quelle mesure le gouvernement avait connaissance de l’existence de cette police parallèle et l’a couverte de son autorité. Ce qui paraît invraisemblable, c’est qu’il n’en ait rien su. La Vème République n’a pas inventé les barbouzes, mais les gouvernements successifs en ont fait un large usage, des officines très particulières comme le service d’action civique de Pasqua, se confondant parfois avec les services officiels. Le maintien de l’ordre bourgeois fait quelquefois appel à des méthodes inavouables, mais toujours, bien sûr, au nom des intérêts supérieurs de l’Etat et des " circonstances particulières ". Quand les exécutants se font prendre, il ne reste plus qu’à les désavouer tout en leur trouvant des excuses. En Corse, la lutte contre le terrorisme et la mafia a été le prétexte pour mettre en œuvre les provocations orchestrées par l’appareil d’Etat. Ne faut-il pas y voir un terrain d’essai ? Après tout, depuis fort longtemps, on parle des banlieues comme d’une zone de non-droit.

Deuxième loi sur les 35 heures : le Parti communiste et la CGT cautionnent les mauvais coups passés et à venir

A l’approche de la discussion sur la deuxième loi des 35 heures, syndicats et partis politiques tirent leurs bilans et présentent leurs propositions. Le Parti communiste veut se donner un ton critique : selon lui, la majorité des accords signés, " aggrave la vie des salariés ". Mais les propositions du PC montrent que cette critique n’est que de pure forme. Il demande ainsi la suppression des aides pour les " accords défensifs " qui sont effectivement des " pousse au crime ". Il suffit en effet à un patron qui a annoncé le licenciement de 1 000 ouvriers, d’en licencier effectivement 800 en disant qu’il préserve 200 emplois en passant aux 35 heures : au nom des 200 emplois " préservés ", il touchera des subventions pour l’ensemble du personnel restant.

Mais si le PC dénonce ces aides, particulièrement scandaleuses mais relativement marginales, c’est pour mieux justifier celles accordées aux patrons qui signent de " bons accords " qui " créent des emplois " et qui, eux, s’approprient la plus grosse partie du magot. De même, le PC admet que le patronat ait la possibilité d’avoir recours à des heures supplémentaires, mais il veut en limiter le nombre à 100 heures par an (le Code du Travail prévoit actuellement 130 heures). Il admet le principe de la modulation des horaires et l’annualisation, mais il veut la limiter à un minimum de 30 heures et un maximum de 40 heures. Le PC fait mine de demander aux patrons une aggravation " raisonnable " de l’exploitation des salariés, il cautionne ainsi les mauvais coups du patronat et du gouvernement.

C’est la même démarche qu’ont adoptée les dirigeants de la CGT. Leurs propositions comportent, en effet, un chapitre sur la flexibilité à laquelle, jusqu’alors, ils prétendaient s’opposer. Ils en admettent désormais publiquement le principe, demandent que le calendrier des semaines hautes et basses dont ils fixent la durée respective à 30 et 40 heures, soit connu un an à l’avance, mais admettent qu’il puisse être changé en cours de période. C’est ce que le journal " les Echos " appelle une " réelle volonté de pragmatisme ".

Lorsque la loi sur les 35 heures avait été votée, les dirigeants du PC et de la CGT, pour vaincre le scepticisme de nombre de leurs militants qui voyaient se profiler les attaques patronales, disaient qu’il dépendait des travailleurs que le contenu de cette loi leur soit favorable. On voit ce qu’il en est aujourd’hui. Tant le PC que la CGT acceptent le principe de la flexibilité, de l’annualisation, des heures supplémentaires, des aides aux patrons et pour couronner le tout, ils s’opposent aux grèves lorsqu’elles éclatent précisément sur le problème des 35 heures, comme la grève des cheminots. Aujourd’hui, les orientations du dernier Congrès de la CGT prennent un visage plus concret : le " pragmatisme " des dirigeants de la CGT, c’est le même que celui des dirigeants du PC. Thibault achève de faire prendre à la CGT le virage que Hue a fait prendre au PC : au nom du " modernisme " et de la " rénovation ", se plier à la volonté des patrons et des gouvernants.

Dans un premier temps, ces prises de position peuvent susciter de la colère mais aussi un certain désarroi chez nombre de militants qui se sentent floués, notamment ceux qui avaient choisi de continuer à militer à la CGT plutôt qu’au PC en pensant, après décembre 95, qu’il y était plus facile de défendre les intérêts des travailleurs. Aujourd’hui, les ambiguïtés se lèvent, il reste à en tirer les conclusions pour tous ceux qui ne veulent plus être prisonniers du chantage politique que la gauche et les dirigeants syndicaux leur imposent depuis longtemps.

Baisse du chômage… et augmentation de la précarité

Vendredi dernier, le ministère du travail a annoncé les chiffres du chômage pour le mois de mars : le chômage aurait ainsi baissé de 1,3 % par rapport au mois de février, et de 4,7 % sur un an. Du coup, le gouvernement a présenté ces chiffres comme " la montée en charge des 35 heures et des emplois-jeunes ", et Martine Aubry a pu resservir son explication : les emplois-jeunes auraient ainsi contribué à dégonfler le chômage des jeunes (mais sûrement pas leur précarité), 60 000 chômeurs de longue durée seraient sortis du chômage grâce à l'application de la loi de lutte contre l'exclusion, et la loi sur les 35 h aurait créé ou " préservé " 50 000 emplois.

Mais derrière cette soi-disant " baisse du chômage " et ce couplet d’autosatisfaction du gouvernement cherchant à justifier ses cadeaux aux patrons, il y a surtout l’aggravation de la précarité et l’appauvrissement d’une fraction encore plus grande des travailleurs.

En fait, en mars, les demandeurs d'emploi qui ont pu exercer une activité réduite de plus de 78 heures dans le mois, sont plus nombreux (+ 0,1 %), c’est-à-dire les travailleurs intérimaires pour l’essentiel, et dans le même temps, les inscriptions à l’ANPE consécutives à un licenciement économique sont aussi en hausse (+ 0,5 %). Tout cela traduit la poursuite des suppressions d'emplois stables dans les grandes entreprises au profit de sous-traitants, d'emplois d'intérim ou de CDD, politique menée par toutes les grandes entreprises pour baisser les " coûts de production " comme ils disent, c’est-à-dire, le coût du travail.

Quant aux " sorties de l’ANPE " dont Martine Aubry se vante, là aussi la réalité est toute autre : ainsi par exemple, les entrées en stage ont augmenté de 2,7 % sur le mois de mars, et sortent bien entendu de la comptabilité du chômage. Mais surtout, les dispenses de recherche d'emploi ont augmenté de 11,6 % sur un an, et les radiations administratives ont, elles, augmenté de 30,3 % sur un an.

Dans son rapport sur le mois de mars, l’INSEE prévoit que " dans les mois qui viennent, la poursuite du ralentissement de l'activité industrielle ferait diminuer les effectifs de l'industrie ", et rappelle sur les investissements productifs que " le rythme annuel de progression des dépenses d’équipement des entreprises est passé de plus de 10 % au premier semestre 1998 à moins de 4 % au second ". Les " fameux " emplois créés, ce sont surtout des petits boulots dans les secteurs des services. Depuis 10 ans, 778 000 postes de travail y ont été créés avec intensification de l’intérim, du temps partiel et des contrats à durée déterminée, alors que dans le même temps, 840 000 emplois dans l’industrie et le bâtiment étaient supprimés. Ainsi, en tête de liste des emplois les plus demandés, on trouve les agents d’entretien travaillant pour des sociétés de sous-traitance de nettoyage, ou les gardiens de centres commerciaux, parkings ou de bureaux : c’est-à-dire des boulots précaires, le plus souvent payés en-dessous du SMIC car à temps partiel.

Si Aubry se vante des chiffres de l’emploi, c’est parce que le gouvernement Jospin nous sert ses mauvais coups au nom de la lutte contre le chômage, aussi lui faut-il de " bons chiffres " pour tenter de nous les faire accepter. Ici comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, le gouvernement mène la même politique d’aides aux patrons pour développer les petits boulots, et ainsi faire pression sur les salaires de tous les travailleurs, en fidèle serviteur des capitalistes dans leur guerre de classe contre le monde du travail.