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Les difficultés des lendemains électoraux, ou les révolutionnaires empêtrés dans les limites d'un accord électoral

Après les enthousiasmes de campagne, les espoirs ou les illusions qu'ils ont fait naître et le succès de l'élection de cinq députés révolutionnaires au Parlement européen, l'extrême-gauche semble ne pas échapper aux basses pressions ambiantes. Personne n'y échappe tellement il est vrai que nous sommes tous militants d'un même parti dont chacun est, de fait, associé à la même politique, à la même réalité, quelles que soient les opinions des uns et des autres, les critiques ou les perspectives politiques que nous voudrions tracer. Les faits nous solidarisent, que nous le voulions ou non.

Aujourd'hui, tous les militants se heurtent à la limite du projet commun ou plus précisément aux limites qui s'imposent du fait que nous n'ayons pas réussi à formuler un projet commun, répondant aux besoins de la situation.

En l'absence de ce projet commun qui permettrait à chaque tendance comme à chaque militant de dépasser ses propres limites, de penser sa propre activité comme partie intégrante du travail collectif, chacun se retrouve au mieux avec la perspective de construire sa propre tendance, en concurrence, le plus souvent, avec les autres, ce qui est une façon de s'isoler dans la mesure où la tâche du moment est bien plus large, voire contradictoire avec cette perspective. La tâche du moment, c'est de tracer une perspective politique, de définir un projet politique, qui permette d'assurer, de développer la position conquise par l'ensemble de l'extrême-gauche pour donner une existence réelle à la force politique révolutionnaire qui s'est affirmée dans les élections.

Pour accomplir cette tâche, il ne peut suffire de prétendre vouloir continuer la campagne de ces six derniers mois. Il faut, au contraire, affirmer sans ambages la nécessité de dépasser les limites de cette campagne. On ne voit pas par quel miracle un simple accord électoral entre deux organisations pourrait se transformer en un projet politique commun à l'ensemble de l'extrême-gauche et ouvert aux travailleurs qui regardent vers elle. Formuler un tel projet signifie définir les obstacles, en faire la critique, pour essayer de les dépasser.

Pourquoi la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière n'ont-elles pas pu envisager autre chose qu'un simple accord électoral ? S'il n'était pas possible d'aller plus loin il y a six mois, dans quel sens faut-il agir pour rendre un tel dépassement possible ? Quels sont les obstacles qu'il faut surmonter ? Nous ne pourrons éviter ce débat.

Si nous ne formulons pas des réponses claires, de fait, l'activité de chacun d'entre nous est paralysée par l'absence d'une perspective globale, unitaire, démocratique. Le désenchantement est inévitable puisque la dynamique unitaire cède le pas devant un sectarisme que le sens des responsabilités au niveau parlementaire, l'attitude commune préservée à Strasbourg par LO et la LCR, ne peut faire oublier.

Du désenchantement à la démoralisation, il n'y a qu'un pas.

Le pire serait que ce succès électoral ne s'exprime pas dans des progrès organisationnels mais au contraire dans un recul. C'est déjà ce qui se passe pour Lutte ouvrière qui, depuis 95 et le succès des présidentielles, recule malgré le succès des régionales, confirmé par celui des européennes.

Lutte ouvrière recule parce qu'elle refuse de sortir de l'état de petit groupe pour créer les relations d'un parti ouvert aux travailleurs et à la jeunesse, donc aussi aux autres tendances comme aux militants qui se tournent aujourd'hui vers l'extrême-gauche. Lutte ouvrière s'est enfermée dans son incapacité à aller jusqu'au bout des idées contenues dans l'appel d'Arlette à un parti des travailleurs.

Nous avons devant nous la tâche d'apporter des réponses aux problèmes nouveaux. C'est à cela que nous voulons aider en intégrant la Ligue communiste révolutionnaire. Mais cette tâche aussi, c'est tous les jours, dans notre activité, que nous devons essayer de la résoudre. Cela nécessite de voir plus loin que la surface du mouvement, plus loin et surtout plus en profondeur. Ce qui s'est exprimé dans les élections, c'est une transformation profonde de la conscience de la classe des salariés, c'est le besoin, plus ou moins confus, d'un nouveau parti. Il nous faut accompagner ces évolutions, rendre conscient ce besoin, l'armer, construire autour de chacun d'entre nous les structures, plus ou moins formelles, de cette force nouvelle en train de naître. Et c'est à travers la confrontation des expériences de chacun qu'un projet global pourra naître ou que se vérifieront les orientations des différentes tendances, leur capacité à répondre à ces besoins.

Il ne faut pas s'y tromper. Les difficultés actuelles expriment le temps nécessaire à la réflexion, à la discussion, au réarmement. A travers elles, se rassemblent une vigueur et une force, des énergies nouvelles. Chacun prend la mesure des changements opérés, fait plus ou moins consciemment la critique des idées du passé, écarte ce qui est caduc pour retenir ce qui est vivant et répond aux besoins nouveaux, et se prépare aux tâches et aux luttes à venir.

Yvan Lemaitre

Leur ami le Roi

A la parade du 14 juillet, pour admirer ses blindés et autres avions supersoniques tout juste revenus de Bosnie ou du Kosovo, Chirac a donc eu comme " invité d’honneur " Hassan II et sa Garde personnelle de 500 hommes. C’est tout un symbole de voir ainsi parader, comme la dernière fois que cela s’est fait, en 1926, à l’époque où le Maroc était un protectorat de la France, le représentant d’une des plus grandes démocraties occidentales avec un de ses sous-fifres, exécuteur tyrannique de ses intérêts dans son ancienne colonie. Hassan II est célèbre surtout pour sa richesse personnelle, 1/3 des terres cultivées du Maroc lui appartiennent, il a offert au frère du roi d’Arabie Saoudite un terrain au bord de la mer où on logerait 5000 personnes et où celui-ci vaque à ses affaires entouré d’une muraille de 10 mètres de haut… dans un pays ravagé par la misère, où officiellement 19 % de la population est au chômage et 55 % de la population est analphabète. Il est connu aussi pour son pouvoir absolu construit sur la base de complots et de servilité face à la puissance impérialiste de tutelle, la France, qui, comme lors de la guerre du Rif, s’est chargée de protéger le pouvoir des Sultans successifs en même temps que les intérêts de la bourgeoisie française contre les révoltes populaires par des bombardements qui ont fait des dizaines de milliers de victimes. Ce tyran est célèbre aussi pour ses nombreuses prisons dans lesquelles souffrent encore aujourd’hui une cinquantaine de prisonniers politiques et, en particulier, pour son bagne de Tazmamart où ont croupi, dans la montagne désertique, des opposants comme Abraham Serfaty, encore aujourd’hui en exil.

Mais si le Roi est l’objet de visites régulières de ministres français, s’il revient en France pour sa deuxième visite officielle en trois ans, accueilli personnellement par Jospin qui s’est d’abord amicalement entretenu avec lui, c’est d’abord parce que, en plus d’un ami de l’ordre impérialiste français, c’est un grand ami des patrons français. Il s’est d’ailleurs réuni la veille du défilé avec quinze représentants du Medef. La France est le premier investisseur au Maroc ; la moitié des capitaux étrangers investis au Maroc proviennent de la France et 520 filiales d’entreprises françaises telles que la BNP, AXA-UAP, Accor, Danone, Sanofi ou le Club Méditerranée y font des affaires. C’est pourquoi la France se bat avec tant d’acharnement au sein du Club de Paris (cet organisme présidé par le ministre des Finances français qui s’occupe de reéchelonner les dettes des pays du Tiers Monde) pour faire convertir la dette marocaine en investissements privés ; elle a déjà obtenu en 1996 l’annulation de 400 millions de francs de dette et la conversion de 600 millions et s’apprête à convertir 1,4 milliard de francs supplémentaires d’ici fin 1999.

Alliés pour permettre aux patrons d’exploiter les travailleurs français et marocains, il est normal que les dirigeants démocratiques à la Chirac-Jospin scellent leurs contrats avec les dictateurs moyenâgeux à la Hassan II à l’ombre… des canons.

S. C.

Basse pression et haute température dans les milieux politiciens….

La petite onde de choc des résultats des élections européennes ne cesse d'agiter, mollement, les milieux des politiciens, déstabilisés par le désaveu des électeurs, abstentionnistes ou non. L'extrême-droite panse ses plaies, Le Pen s'inquiète d'élections présidentielles anticipées, lucide sur la peu ragoûtante image de lui-même qu'il a donnée, alors que Mégret n'a qu'une obsession, renflouer les caisses et trouver du travail… La fulgurante passion Pasqua - De Villiers sanctionnée par leur mariage au sein du RPF, si elle n'a pas encore tourné à la scène de ménage publique, semble avoir du mal à tenir ses promesses. Les nostalgies nationalistes et réactionnaires manquent d'élan… Le renfort possible de quelques éléments de ce qui reste du " Mouvement de Chevènement ", le MDC, n'apportera pas aux deux compères beaucoup de dynamisme. La déprime est forte parmi ces anti-maastrichtiens membres d'un gouvernement pro-Europe, qui ont participé à la liste du PS, cette " alliance contre-nature " selon leur expression, pour, toujours selon l'un d'entre eux, " les miettes du festin socialiste " !

Tout ce beau monde ne sait où donner de la tête, à quel saint se vouer pour se donner au moins l'apparence d'une raison d'être politique.

Il semble y avoir accord sur un point dans les milieux de droite, la cohabitation est un piège  ! Mais le piège, ils sont dedans et ne voient pas comment en sortir. Giscard, en appelant Confucius à l'aide, a bien trouvé une solution en proposant à Chirac un nouveau " coup ", se dissoudre en provoquant des élections présidentielles anticipées. Une solution que l'intéressé ne semble guère envisager… Il faut dire qu'il a tellement d'idées pour réactiver le RPR, " gérer les services publics au plus près, diminuer la pression fiscale, être des facilitateurs de projet… Rendre possible plutôt que faire. Rechercher les talents et les idées… Bref, libérer les énergies loin des pesanteurs idéologiques et de l'inertie bureaucratique qui éloignent trop souvent nos politiques nationales des réalités de la vie ". Quel ambitieux programme que Chirac a resservi au déjeuner de midi pour le 14 juillet après l'avoir développé à Bordeaux en rendant visite à son fidèle ami Juppé.

Climat de suspicion et de rivalités " déplore ce dernier, visant à long terme, et de toute évidence peu pressé de prendre de nouveau coup. Il préfère assurer ses arrières en préparant les municipales.

Les municipales, voilà bien l'essentiel des préoccupations des uns et des autres dont Martine Aubry, que Jospin est venu soutenir à Lille où elle vise la succession de Mauroy. " Ce que je fais ici alimente ma réflexion nationale " a-t-elle déclaré avec profondeur. On veut bien la croire, les municipales semblent alimenter bien d'autres réflexions nationales. Celles en particulier de Voynet…

Toute la réflexion de la ministre Vert est de gérer le succès de son ami Cohn-Bendit pour placer son mouvement en position de conquérir le maximum de places aux municipales. Obtenir un ministère important pour elle, ne pourrait qu'y aider, pense-t-elle.

Seulement Jospin tient à montrer qu'il a la pleine maîtrise du jeu au sein de la majorité plurielle, et surtout voudrait éviter que les appétits des Verts ne la rende trop plurielle. La question d'un remaniement ministériel est posée par la nomination de Kouchner " gouverneur " du Kosovo, elle est aussi posée par le cas Chevènement qui commence à devenir bien embarrassant. Ses prises de positions intempestives, l'affaire de la paillote et du Préfet Bonnet, ses relations conflictuelles avec les Verts, tout pousse Jospin à envisager de le " démissionner ". En faveur de qui et de quel équilibre politique ? Chevènement a le grand mérite d'ancrer le gouvernement à droite, l'écarter bouleverserait la donne. Ce que Jospin veut éviter, du moins tant qu'il n'est pas certain d'avoir plié le PC à la politique et à la volonté du PS, ce qu'il entend faire à l'occasion des négociations sur un accord politique en vue des élections municipales.

En attendant, il maintient son petit monde sous pression, agité par des ambitions et des rivalités qui ont de plus en plus de mal à se contrôler.

Car c'est bien tout ce qui reste pour différencier les politiciens parlementaires : des ambitions personnelles. Ils n'ont tous qu'une politique, celle que leur dictent les conseils d'administration des banques et des grands groupes industriels.

Y.L.