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Iran : De la dictature du shah à celle des mollahs, la continuité d’une dictature au service des compagnies pétrolières

Les jeunes Iraniens expriment dans la rue leur révolte contre la dictature des mollahs au pouvoir depuis 20 ans, révolte largement partagée dans les milieux populaires. Comme le résume un de leurs slogans : " les gens sont misérables, mais les religieux se comportent comme des dieux ".

Les grandes puissances font mine de condamner la répression. Elles apportent leur soutien à Khatami dont se revendique une partie des étudiants : elles voudraient que l'Iran s'ouvre pleinement aux capitaux occidentaux. Mais elles sont avant tout solidaires du régime pour garantir sa stabilité, comme elles sont toujours solidaires des dictatures qui, en maintenant l’ordre social, garantissent leurs profits. De la dictature du Shah qu’ils avaient ouvertement financée, à celle des religieux islamiques avec laquelle ils ont dû composer, avant de la soutenir aujourd'hui, l’attitude des Etats-Unis et des grandes puissances a une continuité, celle de la défense de leurs intérêts, c’est-à-dire les profits de leurs trusts et de leurs compagnies pétrolières.

La dictature du shah au service des compagnies pétrolières

Depuis le début de ce siècle, l’Iran n’a connu que des régimes de dictature liés aux intérêts des compagnies pétrolières anglaises d’abord, puis américaines. Ainsi dans les années 50, les bénéfices annuels de la principale d'entre elles, l’Anglo-Iranian, véritable Etat dans l’Etat, étaient supérieurs à l’ensemble des revenus reversés à l’Iran en cinquante ans d’exploitation de ses gisements pétroliers. Ce pillage amena une fraction des classes dirigeantes iraniennes à revendiquer une plus grande part du gâteau. Mais cette lutte contre la dictature des compagnies pétrolières, autour du dirigeant nationaliste Mossadegh, se termina par un coup d’Etat organisé par la CIA.

Le roi d’Iran devint l’homme des Etats-Unis qui financèrent largement son armée et sa police politique. L’Iran devint le gendarme des grandes puissances, chargé de maintenir l’ordre dans tout le Moyen-Orient pour imposer aux peuples une exploitation forcenée.

Le boom des prix du pétrole après la crise de 1973 permit à une fraction des classes dirigeantes iraniennes de s’enrichir à l’ombre des trusts occidentaux, l’Iran devint l’Eldorado des hommes d’affaires car, comme s’enthousiasmait l’un deux : " ici, il n’y a pratiquement pas de limites aux profits ".

Les masses iraniennes en lutte contre la dictature…

Mais pour la population iranienne, cet Eldorado se ramenait à la féroce dictature de la monarchie. Pourtant, la population iranienne se transformait, son nombre fut multiplié par deux, dont la moitié dans les villes où se développa une classe ouvrière moderne et concentrée notamment dans l’industrie du pétrole.

Le boom pétrolier fut en réalité de courte durée, à partir de 1975, l’inflation s’accéléra. Les exportations pétrolières chutèrent en 1977 de 30 %. La dictature devint encore plus féroce, imposant de nouveaux sacrifices à la population pour maintenir le train de vie de la minorité de parasites et les profits des trusts.

L’accentuation de la dictature provoqua le soulèvement des masses pauvres. Toute au long de l’année 1978 la révolte prit de l’ampleur. Parti de la lutte d’étudiants religieux, le mouvement contre le shah mobilisa toute une fraction de la population dans des manifestations qui affrontèrent l’armée et la police qui n’hésitaient pas à tirer. Fin 1978, la classe ouvrière entra à son tour dans la lutte, de très nombreuses grèves paralysèrent le pays et la production de pétrole. Face au soulèvement des masses, le pouvoir restait impuissant.

… mises à la remorque des mollahs par la trahison des partis de gauche

Mais les mollah ont pu prendre et garder la direction du soulèvement en dévoyant ses aspirations. Tous les partis d’opposition au shah ont en effet fait le choix de s’aligner derrière les mollahs dirigés par Khomeiny, par crainte de prendre la direction d’une révolution populaire. Khomeiny a ainsi profité de la capitulation politique des partis de la gauche dont le Parti communiste iranien, le parti Toudeh, qui s’est refusé à défendre une autre perspective que le ralliement le plus plat aux islamistes.

Quand début 1979, le shah dut quitter l’Iran, Khomeiny, le chef des religieux en exil en France, revint, avec l’accord de l’armée, pour négocier une passation de pouvoir en douceur.

La dictature de Khomeiny contre la population qui l’a porté au pouvoir

Mais en février 1979, c’est une véritable insurrection qui éclate à Téhéran, entraînant l’abolition de la monarchie, et portant Khomeiny et les mollahs au pouvoir. Khomeiny et les mollahs n’ont pas voulu cette insurrection, ils ne voulaient qu’utiliser les masses pour faire pression sur l’Etat iranien pour qu’il leur remette le pouvoir sans remettre en cause l’ordre social. Aussi, le souci de Khomeiny au pouvoir a été de s’assurer du soutien de l’armée, de désarmer les masses qui avaient pris les armes contre le shah et de détruire toute opposition politique. Ainsi toutes les organisations, mêmes celles qui l’avaient soutenu comme le Toudeh, furent écrasées, et très rapidement, le régime a imposé sa dictature religieuse, contrôlant tous les domaines de la vie sociale.

La prétendue " révolution islamique " qui a porté Khomeiny au pouvoir n’a été en réalité qu’une contre-révolution islamique qui, en dévoyant les aspirations des masses iraniennes, s’est retournée contre elles en permettant de sauver les intérêts des capitalistes iraniens et occidentaux face au soulèvement de la population iranienne.

Alors, malgré toute la démagogie anti-américaine et anti-impérialiste du régime, les grandes puissances ont laissé Khomeiny arriver au pouvoir par crainte de tout perdre dans une révolution populaire anti-impérialiste. Très rapidement, les Etats-Unis ont renoué des liens avec l’Iran, même si c’était clandestinement au départ, lui fournissant par exemple des armes lors de la guerre Iran-Irak. Depuis deux ans, les relations ont commencé à devenir plus officielles, et les compagnies pétrolières occidentales se précipitent pour signer des accords, comme Total qui a signé un contrat de 2 milliards de dollars pour l’exploitation d’un champ gazier iranien.

Le combat de la jeunesse pour la liberté rejoint la lutte contre l’impérialisme

Mais si le pouvoir iranien renoue officiellement avec les grandes puissances impérialistes, la population et notamment la jeunesse, elles, renouent avec l’espoir de mettre fin à la dictature intégriste et à la misère. Il y a longtemps que la propagande religieuse ne parvient pas à masquer la réalité de l’exploitation, et la jeunesse qui est libre du passé, des illusions nées de la révolution de 79, se révolte au nom de son droit à une vie libre et digne, ébranlant le régime par son courage et sa détermination. Mais sa lutte pour la liberté passe par la remise en cause de la domination à l'échelle du monde d’une poignée de parasites qui s’appuient sur des dictatures pour imposer leur ordre social moyenâgeux : celui de l’exploitation. Et pour cela, son combat rejoint le nôtre.

Charles Meno

La possible reprise économique au Japon, un espoir pour l’économie mondiale ou un élément d’aggravation de sa crise chronique ?

Depuis que le Japon s’est installé dans une récession latente, régulièrement les responsables des affaires des grandes puissances exhortent ses dirigeants à faire le nécessaire pour qu’il retrouve le chemin de la croissance. Ils prétendent qu’ainsi, ce serait l’ensemble de l’économie des pays d’Asie qui serait entraînée vers une reprise dans le plus grand intérêt de l’ensemble de l’économie mondiale. Sauf qu’en régime capitaliste, la croissance de l’économie, c’est d’abord et avant tout la croissance des profits et que cette croissance de l’économie n’est possible que si les capitalistes réinvestissent, c’est-à-dire que s’ils ont l’espoir de réaliser des profits élevés.

Si, aujourd’hui, les capitalistes peuvent parler d’un espoir de reprise au Japon, c’est d’abord parce que, sous les effets de la crise qu’il connaît depuis des années, le recul de la classe ouvrière est tel que l’espoir de voir redémarrer les profits incite les détenteurs de capitaux à y investir. Jusqu’alors les interventions de l’Etat, subventions à fonds perdus, maintenaient le navire à flot, sans réussir à réamorcer la machine à faire des profits suffisamment intéressants pour attirer les capitaux. C’est ce qui est peut-être en train de s’inverser.

Ces investissements ne participent pas d’un développement harmonieux de l’économie mais, au contraire, d’une concurrence accrue, en particulier vis à vis des autres pays d’Asie. Si le Japon réussit à sortir de la récession, ce sera au détriment de l’ensemble de ses concurrents, puisque sa propre consommation intérieure ne progresse pas, pas plus que ne progresse la consommation globale.

La consommation ne progresse pas au Japon car, pour attirer les capitaux après la crise des années 80, il ne restait à la bourgeoisie japonaise qu’à réduire le coût de la force de travail par une exploitation accrue des salariés. Pour cela, elle s’en est pris aux acquis de la période précédente en matière d’emploi et de salaires. Le chômage, peu connu au Japon, s’est développé rapidement et brutalement. Les principales entreprises industrielles et financières, dont les produits à la pointe de la technologie ont conquis le monde entier, ont annoncé et annoncent de vastes plans de licenciements. Cela a d’abord été le géant de l’électronique NEC qui a annoncé en février de cette année 15 000 licenciements dont 9 000 au Japon. Puis, Sony annonçait le 10 mars, en même temps que la sortie de sa nouvelle PlayStation II et de très bons résultats, 17 000 licenciements, 10 % de ses effectifs mondiaux. Nippon Steel annonce qu’il va réduire ses effectifs de 35 % et Mitsubishi de 10 % tandis que Mitsukoshi, la plus connue des chaînes japonaises de grands magasins, a ouvert un " guichet de départ " pour y inciter 600 employés soit 6 % de son effectif total. Et d’après la presse japonaise, la restructuration des banques pourrait engendrer 20 000 licenciements au cours des quatre prochaines années. C’est ainsi que le Japon est passé d’un taux de chômage de 4,4 % en 1998 à 4,8 % en 1999, soit plus de 3,5 millions de chômeurs indemnisés, alors que ce taux était officiellement de 2,8 % en 1993 et de 2 % en 1980. Les travailleurs ont perdu " l’emploi à vie ", un bien grand mot pour désigner la stabilité de l’emploi dont bénéficiaient les salariés des grandes entreprises japonaises ; en contrepartie, ils devaient être polyvalents au sein du groupe dans tout le pays et accepter à partir de 55 ans de travailler à des postes encore plus durs et moins payés. Mais aussi, le gouvernement ayant levé toute restriction au travail intérimaire qui jusqu’ici était très réglementé, autorisé dans seulement 26 professions, la flexibilité et la précarité se sont développées comme jamais auparavant. Aujourd’hui, c’est l’Etat qui crée des emplois précaires, 300 000 sur les 700 000 créations d’emplois annoncées récemment avec une augmentation des " aides aux entreprises en difficulté ".

Ces attaques pour réduire le coût du travail suffiront-elles à redonner con-fiance aux capitalistes et ne serait-ce qu’à amorcer la reprise de leurs profits au Japon ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est sûr, par contre, c’est que cette course aux profits aggrave la concurrence avec les autres grandes puissances et, particulièrement, les Etats-Unis. La reprise au Japon signifierait même une aggravation des tensions internationales et un gros danger pour les Etats-Unis.

En effet, depuis le début des années 90, le Japon sert de soupape de sécurité à la bulle financière mondiale. Durant ces années, la crise de l’immobilier, le recul de la Bourse, les faillites bancaires ont été autant d’occasions de détruire une partie de ce trop-plein de capitaux qui étouffe l’ensemble de l’économie. Si la machine japonaise à faire du profit se remet en route, non seulement cette soupape de sécurité ne fonctionnera plus, mais, qui plus est, le Japon attirera des capitaux qui s’investissent aujourd’hui aux Etats-Unis.

Ce déplacement des capitaux pourrait brutalement révéler à quel point l’économie américaine est en état de surchauffe. La chaudière financière américaine a un besoin croissant de combustible, des capitaux, encore des capitaux. Si une fraction importante de ces capitaux qu’elle dévore se détournait d’elle, cela créerait un déséquilibre pouvant aboutir à un krach financier.

En retrouvant la croissance, le Japon exporterait en quelque sorte sa récession. La soupape de sécurité japonaise ne fonctionnant plus, Wall Street, bien involontairement, devrait probablement prendre le relais.

Sophie Candela