Page 7 



Kosovo, ex-Yougoslavie : Les grandes puissances veulent régler la question de Milosevic au plus vite de façon à ce que le départ du dictateur ne soit pas une victoire des populations

Avec la victoire dans la guerre, l’impérialisme a établi sa mainmise sur le Kosovo : ses troupes très nombreuses de la Kfor occupent le pays, l’ONU s’arroge le droit de décider de tout, un gouvernement colonial présidé par Kouchner commence à s’installer, des plans économiques se discutent dans les organismes financiers mondiaux.

Pour que la victoire des grandes puissances soit complète, il leur faut en finir avec leur ancien allié dans la région, Milosevic, et pour cela, elles affichent de plus en plus leur soutien aux dirigeants de l’opposition démocratique qui sont revenus avec la fin des frappes militaires. Elles semblent contrôler totalement la situation par en haut. Mais en même temps, les manifestations populaires qui se succèdent dans de nombreuses villes de Serbie annoncent un renouveau des espoirs de la population pour laquelle l’aspiration au départ du dictateur signifie une vie meilleure et libre, des droits démocratiques que les grandes puissances sont bien incapables de satisfaire.

Le Kosovo placé sous haute surveillance

Mardi 13 juillet s’est tenue à Bruxelles une réunion d’un comité de pilotage des ministres des Finances des sept pays les plus riches, des responsables de la Banque mondiale et de l’Union européenne pour discuter du montant de ce qu’ils appellent la reconstruction du Kosovo. Aux dires de Rory O’Sullivan, représentant de la Banque mondiale revenant du Kosovo, " une chose est très frappante, les dégâts sur les infrastructures ne sont pas aussi importants que nous avions pensé dans un premier temps. L’électricité, les téléphones et l’alimentation en eau fonctionnent dans beaucoup de villages ". Le commissaire européen, Yves Thibault de Silguy, a surenchéri : " le niveau de vie actuel est supérieur à ce que nous escomptions, les dommages de guerre inférieurs et l’activité économique de base semble reprendre dans le secteur agricole ". Alors que le niveau de vie de la population kosovare est inférieur à celui de l’Albanie, pays le plus pauvre d’Europe, les financiers mentent ouvertement pour minimiser leurs responsabilités dans la destruction du Kosovo par la guerre et pour ne lâcher qu’au compte-gouttes les crédits qui vont aller à la remise en route des infrastructures indispensables à une vie normale. L’objectif n’est pas de reconstruire les habitations pour la population, les écoles, les hôpitaux, mais de rendre possible les investissements des capitalistes pour s’approprier des marchés. L’Union européenne a annoncé que les 515 millions de dollars qu’elle dégagera ne se traduiront par aucune augmentation du budget européen. La Banque mondiale, elle, a prévu 60 millions de dollars. Mais cela reste à l’état de projet, il n’est pas même question de faire face immédiatement à une situation d’urgence pour les populations.

L’essentiel est de reconstruire un appareil d’Etat qui puisse contrôler les populations pour que la situation soit aussi sûre que possible, pour que les groupes capitalistes puissent investir sans trop de risque. C’est la tâche de Kouchner qui, en tant que gouverneur civil du Kosovo, a tous les pouvoirs. Depuis lundi dernier, à Pristina, la capitale, les services municipaux ont été ré-ouverts avec des employés albanais et serbes qui travaillent sous le contrôle direct de soldats de la Kfor et de policiers de l’ONU. Dans le cas de problèmes entre travailleurs serbes et albanais ou de refus de collaboration avec l’occupant, les représentants de l’ONU ont le droit de licencier.

En Serbie, les manifestations contre Milosevic, un espoir pour que la population retrouve sa dignité

Les grandes puissances ont besoin de relais en Serbie pour faire tomber Milosevic, de façon à ce que le départ du dictateur ne soit pas un encouragement pour la population serbe à intervenir par elle-même. Il semble qu’elles voient en Djindjic, l’ancien maire de Belgrade et le responsable du Parti démocratique, celui qui pourrait unir une opposition divisée jusqu’ici entre de nombreuses formations concurrentes. C’est dans ce sens qu’elles soutiennent l’ " Alliance pour le Changement " qui regroupe ces différentes organisations qui se retrouvent toutes pour demander le départ de Milosevic et des élections anticipées. Les Etats-Unis ont, dans ce sens, annoncé que l’aide humanitaire à la Serbie n’irait qu’aux municipalités qui prennent position contre Milosevic et son porte-parole, James Rubin, a déclaré cyniquement que, de toute façon, la population serbe n’était pas menacée par la famine. Alors que 50 % des Serbes sont privés de travail à cause du chômage et de la mise en congé forcé du fait des destructions des bombardements !

Depuis la première manifestation d’opposition à Milosevic, à Cacak, le 29 juin dernier, les manifestations continuent dans de nombreuses villes de Serbie. A Nis, au sud de la Serbie, le maire a fait prendre position au conseil municipal sur la démission de Milosevic. Dans plusieurs villes dont Belgrade, une pétition est signée au grand jour, dans les rues, contre le régime. Une marche sur Belgrade est prévue à la fin du mois de juillet par l’Alliance pour le Changement. Toutes ces initiatives mobilisent largement la population qui se retrouve dans une volonté commune d’opposition à Milosevic. Et elle se sert de toutes les possibilités qui s’offrent à elle pour manifester, signer des pétitions, après des années de dictature et de désorganisation. Derrière la revendication du départ de Milosevic qui est mise en avant, il y a l’espoir confus encore d’un véritable changement dans ses conditions de vie. Elle-même n’en a pas encore forcément conscience mais les impérialistes, eux, le savent parce qu’ils craignent la menace d’une révolte populaire contre une situation insupportable dont ils portent la responsabilité.

Pour que le départ de Milosevic n’ouvre pas la porte à des changements sociaux, ils veulent accélérer le jugement de Milosevic par le Tribunal international de La Haye. Sa présidente, Louise Arbour, a déclaré clairement que le " processus est totalement irréversible ".

L'impérialisme voudrait en faire non le procès du dictateur - qui songe à juger Hassan II ? - mais celui du communisme pour tenter de liquider chez les masses tout espoir en une autre société.

Ils ne jugeront qu'un pantin pour qui le communisme était un masque, comme il le fut pour Staline ou comme les idées de liberté, d'égalité et de fraternité le sont pour la dictature du capital.

Les idées du communisme, ce sont les masses elles-mêmes. Rien ne les arrêtera.

Valérie Héas

L'Europe est née au Kosovo " selon Bernard Kouchner - Leur Europe, celle de la guerre contre les travailleurs et contre les peuples

" Ce qui a été fait au Kosovo, c'est-à-dire la protection des minorités à l'intérieur de l'Europe, était inimaginable en 1945. Pour la première fois, les armées des cinq pays majeurs d'Europe sont du même côté. Voilà pourquoi l'Europe est née au Kosovo, celle des droits de l'homme, de la fraternité. Celle que nous aimons ". Voilà comment Kouchner, gonflé de l’importance de sa nouvelle fonction de gouverneur civil de l’ONU au Kosovo, a défini le sens historique du rôle de l’Europe en ex-Yougoslavie.

Si, par tact diplomatique, il ne développe pas la comparaison qu’il établit entre la situation actuelle et 1945, celle-ci est claire : à l’époque, l’Allemagne n’était pas " du même côté " que " les droits de l’homme " et " la fraternité ", aujourd’hui tous les pays d’Europe sont dans le même camp, à l’époque, on sortait d’une guerre inter-européenne, une guerre que les vainqueurs présentaient comme une guerre de la démocratie contre le fascisme. Pour Kouchner, comme pour Chirac et Jospin, le " pays ", c’est sa bourgeoisie et son armée, et ces dernières se disaient alors " armées de libération ". C’était l’époque où les démocraties victorieuses de la guerre écrasaient la population allemande sous les bombes, détruisant toutes les villes importantes du pays, pour empêcher que la classe ouvrière ne profite de la défaite militaire du régime de Hitler pour se soulever et renverser l’Etat qui avait été dirigé par les nazis. C’est pour protéger celui-ci et assurer sa reconversion, comme celle de tout son personnel politique, en démocratie, que les armées alliées occupèrent militairement le pays.

Dans le même temps, la démocratie française se distinguait par sa férocité contre les populations de ses colonies qui avaient pris au mot les phrases des dirigeants impérialistes vainqueurs sur le " droit et la liberté des peuples ", osant réclamer cette liberté pour eux-mêmes. L’armée française fit 45 000 morts dans la région de Sétif, en Algérie, en mai 1945 et 90 000 à Madagascar, en 1947, tandis qu’en Indochine, elle engageait une guerre qui allait durer trente ans, sous la conduite ensuite de l’autre grande démocratie, les Etats-Unis, et dont la population vietnamienne ne put venir à bout que par un acharnement héroïque. En 1945, l’après-guerre était dans la continuité de la guerre elle-même, dont l’objectif n’était pas de libérer la population allemande du nazisme, que les bourgeoisies française et anglaise avaient vu avec soulagement écraser la classe ouvrière la plus puissante d’Europe, mais pour tenter de préserver leur empire colonial face à l’expansionnisme de la bourgeoisie allemande.

Oui, c’est tout à fait logiquement que Kouchner se situe dans la continuité de ces guerres contre les peuples, assumant sa fonction de " gouverneur " du Kosovo, nouvelle colonie au cœur même de l’Europe, à la tête des 50 000 soldats qui l’occupent.

Depuis 1945, les bourgeoisies européennes ont été pacifiées par l’impérialisme américain dont la deuxième guerre mondiale a consacré l’hégémonie, et ont été contraintes de s’associer plus étroitement, lorsque, au milieu des années 80, ce dernier, son Etat, ses trusts ont engagé avec la mondialisation une offensive généralisée contre les peuples, contre les travailleurs des pays riches et des pays pauvres, imposant à tous les Etats d’ouvrir leurs frontières à leurs capitaux, de privatiser les entreprises publiques, d’imposer la libre-concurrence, sous leur égide, dans l’exploitation des richesses et des hommes du monde entier. Avec, à la fin des années 80, la disparition de l’URSS et l’intégration de tous les Etats du monde dans le marché capitaliste mondial, les capitaux des oligarchies financières ont eu le champ libre pour s’investir partout et tirer profit de la moindre parcelle de travail humain sur la planète.

La guerre contre l’ex-Yougoslavie, comme au début de cette année la mise en place de l’euro, représentent un tournant dans cette situation. Les bourgeoisies d’Europe, incapables jusqu’à présent de réaliser leur unité politique, se sont engagées dans une fuite en avant pour disputer à leur rival américain une place de premier plan dans l’exploitation et le contrôle du monde et de ses richesses, en tentant de constituer un impérialisme européen maître dans sa zone.

La naissance de l’euro s’est accompagnée d’un mouvement de concentration des capitaux des trusts européens sans précédent, dans le mouvement général des fusions à l’échelle mondiale, qui aboutit à la constitution de géants de l’industrie et de la finance. Quelles que soient les divergences qu’ils affichent, tous les gouvernements européens ont la même politique anti-ouvrière, libérale, imposent partout la flexibilité, le travail précaire et mal payé, privatisent les dernières entreprises publiques, s'attaquent aux protections sociales. Et c’est en toute logique qu’ils concertent ces attaques à l’échelle européenne, par le biais aussi bien de la Banque centrale européenne qui impose la réduction des déficits publics et le blocage ou quasi-blocage des salaires, que par le biais des directives de la Commission européenne qui recommande la " mutation " du marché du travail, la flexibilité, le travail à temps partiel.

Depuis la guerre au Kosovo, il n’est plus question que de " défense européenne " commune parmi tous les gouvernements d’Europe, et Chirac, dans son message aux armées pour le 14 juillet, a réaffirmé qu’à ses yeux la crise du Kosovo démontre " l'impérieuse nécessité pour les Européens de se donner les moyens d'agir ensemble et entre eux, pour préserver ou restaurer la sécurité de leur continent ". Les politiciens de la bourgeoisie savent bien que la violence de l’exploitation économique a besoin de la violence des armes, baptisée " paix " quand celle-ci n’est qu’à l’état de menaces, " guerre pour les droits de l’homme ", comme dit Kouchner, quand il leur faut assurer la " sécurité ", la stabilité qui permet les affaires et les profits de leurs trusts. Les bourgeoisies d’Europe, soumises à une " impérieuse nécessité ", com-me le dit Chirac, saisissent l’occasion de la guerre au Kosovo pour s’engager dans la constitution d’une armée européenne qui leur est nécessaire pour devenir le premier exploiteur des peuples du continent.

G.T.