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Russie : une situation qui ne cesse de se dégrader pour les travailleurs

Un groupe de mineurs campe depuis plus de 3 semaines à Moscou pour réclamer le paiement de leurs salaires. Dans la région du Kouzbass, le montant des salaires non perçus s’élève à 3,7 milliards de francs. Ce n’est pas la première flambée de colère des mineurs qui, déjà, en mai 98, avaient bloqué les voies du train Transsibérien pour protester contre le retard du versement de leurs salaires et les conditions de travail de plus en plus difficiles. Ils avaient d’ailleurs été rejoints par les médecins et les enseignants dans leur protestation.

Les mineurs de Tchéliabinsk entre autres, ont, samedi dernier, bloqué de nouveau le Transsibérien et paralysent le trafic des marchandises. Depuis 4, 5 ou 6 mois selon les puits, les mineurs n’ont pas reçu leur paie et ne survivent que grâce au crédit et aussi grâce à un petit lopin de terre où beaucoup d’entre eux cultivent fruits et légumes.

Ils continuent à descendre dans la mine sans lampe ni équipements de sécurité, certains en sont réduits à creuser à la pelle avec des équipements quasi-inexistants comme le prouve la multiplication des accidents : 277 morts et 15000 blessés en 1997 dans les mines. La situation catastrophique des mineurs risque de s’aggraver puisque le gouvernement prévoit la fermeture de 10 % des puits, c’est-à-dire que 500 000 mineurs vont se retrouver sans emploi.

Mais la situation critique des mineurs est le reflet de la situation d’une partie de la classe ouvrière russe. Près d’un salarié sur quatre perçoit son salaire ou avec retard ou pas du tout, ce qui fait que près de 20 millions de personnes se trouvent plongées dans la tourmente des difficultés à vivre, pour ne pas dire dans la misère quand on pense aux retraités qui ne reçoivent pas leurs pensions.

Le premier ministre Kirienko a présenté à la Douma, le parlement, son programme d’austérité pour sortir l’économie russe de la crise. Ce projet " anti-crise " ne vise qu’à répondre aux exigences du FMI qui est prêt à attribuer à très court terme une aide financière de 10 milliards de dollars (60 milliards de francs) à l’Etat russe.

La Douma a adopté déjà quelques mesures pour rééquilibrer les finances publiques : un nouvel impôt sur les maisons de jeux, les petits entrepreneurs (style restaurants, kiosques...). En revanche, Kirienko et son gouvernement ont annoncé qu’ils souhaitaient soutenir les lois qui iront dans le sens d’alléger le fardeau fiscal des entreprises. L’impôt sera baissé de 35 à 30 %. D’ailleurs, un oukase d’Eltsine fin juin a donné le ton : une réduction de 50 % des tarifs d’électricité et de gaz pour les entreprises.

Certaines des mesures du plan anti-crise sont avancées très prudemment par Kirienko. Il faut dire que ce sont des mesures sensibles qui s’en prennent directement au niveau de vie des travailleurs. Le projet présenté prévoit une augmentation de la TVA de 10 à 20 % pour l’ensemble des marchandises, ce qui va pénaliser une fois de plus les gens aux revenus modestes. De même, ce projet a en vue d’imposer de 20 % les comptes bancaires rémunérés, mais aussi les polices d’assurances, ce qui frappera directement des milliers de retraités qui y ont placé leurs petites économies.

Toutes ces mesures seront examinées le 13 juillet à la Douma et vont aller dans le sens de l’aggravation de la situation de millions de travailleurs.

Si ces mesures entrent en application dans le contexte actuel, elles seront ressenties comme une provocation. Et elles peuvent se retourner contre leurs initiateurs, entraîner un renforcement, un élargissement des luttes en cours.

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 La révolte de la jeunesse kabyle, révélateur de la situation explosive en Algérie

Les milliers de manifestants qui parcourent les rues des principales villes de la Kabylie depuis l’assassinat de Lounès Matoub le 25 juin, n’ont pas désarmé dans leur colère contre le pouvoir, malgré la revendication, difficilement vérifiable, de l’assassinat du chanteur par une branche du GIA. Leur colère a monté d’un cran lorsque le gouvernement a entériné le 5 juillet la loi imposant l’usage de l’arabe classique dans l’administration, les média, les entreprises et à l’école. Une véritable provocation pour les Kabyles, qui représentent près de 30 % de la population et qui parlent le tamazight, la langue berbère.

Le droit fondamental de la population berbère à s’exprimer dans sa langue a toujours été bafoué par le pouvoir algérien. Dès le lendemain de l’indépendance, en 1962, l’arabe était déclaré langue nationale et officielle ; en 1970, Boumediene lançait les premières lois d’arabisation, et en 1990, le FLN faisait voter le principe de la généralisation de la langue arabe, assortie de sanctions pénales en cas de non-respect.

L’arabisation forcée est une tentative pour museler toute la population et pas seulement les Kabyles : l’arabe classique, littéraire, celui du Coran, n’est pas plus utilisé par le reste de la population qui s’exprime en algérien, un arabe parlé courant, ou en français, notamment à l’université, dans les média ou dans l’administration. Comme le nouveau " Code de la famille " qui aggrave l’oppression des femmes, l’arabisation est un gage de plus donné aux islamistes.

Dimanche, le gouvernement a fait quadriller Alger par l’armée et a interdit la manifestation appelée par le FFS (Front des Forces socialistes) contre la politique d’arabisation forcée. Ce que craignent les classes dirigeantes algériennes, qu’elles s’en remettent à l’armée ou aux islamistes pour gouverner, c’est une explosion sociale généralisée d’une population acculée à la misère la plus terrible : des Algériens sont touchés par la famine, les maladies liés à la sous-alimentation se développent. Alors que la préoccupation essentielle de la majorité des Algériens est de trouver de quoi se nourrir, la minorité liée au pouvoir continue à s’enrichir insolemment en protégeant les profits encore plus fabuleux des banques et des trusts français et une nouvelle mafia liée au développement du marché noir permet à quelques uns de bénéficier de la situation en bâtissant des fortunes en quelques mois. Tous ces privilégiés sont sur une poudrière.

Les partis majoritaires en Kabylie et dits " démocratiques ", le RCD de Saïd Sadi et le FFS de Hocine Aït Ahmed, ont mis d’abord tout leur poids pour canaliser les manifestations. Interviewé la semaine dernière par le " Nouvel Observateur ", Aït Ahmed ne cachait pas ses intentions : " Nous avons tout de suite pris l’initiative de manifestations résolument pacifiques pour éviter des débordements. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour que cela se passe dans le calme ". Ces partis tentent maintenant d’enfermer la révolte de la jeunesse kabyle sur le terrain piégé de " l’identité berbère ". Ils veulent empêcher que les jeunes de Kabylie ne donnent à leur révolte un contenu social en s’en prenant aux possédants et fassent ainsi le lien avec tous les autres jeunes et travailleurs algériens. Ces partis craignent tout autant que le pouvoir en place l’explosion sociale.

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 Cinéma : " The second civil war "

" La deuxième guerre de Sécession ", c’est la traduction du titre de ce film, farce dramatique qui ridiculise et dénonce la folie de la société américaine, ou plus généralement de la société capitaliste, du nationalisme et des rivalités nationales. La deuxième guerre de Sécession, c’est la Yougoslavie aux USA.

Après l’explosion d’une bombe nucléaire lâchée par l’Inde sur le Pakistan, des enfants, orphelins, réfugiés recueillis par une organisation humanitaire doivent trouver accueil aux Etats-Unis dans l’Etat de l’Idaho.

Le gouverneur de cet Etat est un démagogue qui s’est fait élire en défendant l’" american dream ", le " rêve américain " pour les seuls Américains. Il décide d’interdire le sol de son Etat aux jeunes réfugiés. Les surenchères, les rivalités, la démagogie conduisent à la sécession de l’Etat puis à la guerre avec le pouvoir fédéral. Derrière la farce de ce gouverneur démagogue, tombé amoureux d’une journaliste… mexicaine, du chef de la Maison Blanche en train de poser pour l’histoire, hésitant entre Eisenhower et Lincoln, ou des deux généraux, anciens de la guerre contre l’Irak, paranos par ambition, il y a une vérité à laquelle le film nous fait croire, en direct sur les écrans d’une société de télévision prête à tout pour l’audimat ; celle de la folle logique de la concurrence, des ambitions personnelles mises à son service, jouets d’une mécanique absurde que rien ne peut arrêter et qui se nourrit des préjugés, des fantasmes, des peurs, du nationalisme et du racisme… Le film nous met face à cette vérité, nous la rend crédible, menaçante, tout en jouant de son absurdité ; la plus grande puissance du monde est minée par les conflits raciaux et baigne dans une idéologie réactionnaire qui pourrait servir de terreau à un fascisme américain. Il ne montre pas le lien entre cette vérité et la course au profit capitaliste, mais nous convainc de la réalité du danger.

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À LIRE : une réédition du roman de Victor SERGE
" LES DERNIERS TEMPS ",
aux éditions Grasset (les Cahiers Rouges) – 69 F

" Ici battait le cœur tenace d’un peuple sans terre dispersé dans Paris comme sur les continents "

Militant de l’Opposition en URSS, Serge ne doit qu’à la campagne internationale menée pour sa libération de sortir des geôles staliniennes en 1936. " Il est minuit dans le siècle ", selon le titre d’un de ses romans témoignant de la lutte menée par ceux qui, restés fidèles aux idées de Lénine, ont rejoint le combat de Trotsky. Réfugié au Mexique avec des militants anarchistes et des sympathisants trotskystes, chassés comme lui de plusieurs pays d’Europe par la victoire du nazisme et ensuite de Paris par l’entrée des troupes allemandes, il écrit ce roman en 1943. Dans un quartier populaire de Paris, se côtoient des militants comme Hilda qui " connaissait à sa 25ème année, une demi-douzaine de sous-sols de Polizeiprasidiums, de maisons d’arrêt, de prisons modèles (comme on dit en Espagne), de camps de concentration d’Autriche, d’Allemagne, de Valence dans le Levante, de Catalogne " et comme Ardatov, qui a participé à la prise du palais d’Hiver à Pétrograd en 1917 et à la révolution espagnole. L’entrée des troupes allemandes dans Paris contraint chacun à choisir son camp. Flotte, le patron de l’hôtel-borgne qui héberge les militants qu’il méprise parce que ce sont des étrangers, sent pousser des ailes à tous ses préjugés et retourne vite sa veste du côté du régime vichyste et de l’occupant. Mûrier, qui se prend pour un intellectuel parce qu’il a la Légion d’honneur et qu’il fréquente les salons parisiens, au contraire, prend conscience de la futilité de sa vie et bascule du côté de ceux qui ne baissent pas les bras comme Charras, l’ancien mineur, qui l’aide à ouvrir les yeux et pour qui : " on ne peut plus se sauver qu’en se risquant. Si la classe ouvrière met la tête sur le billot, ne va pas croire qu’on te fera grâce par exception ou par oubli… Nous n’avons à compter que sur nous-mêmes, mais tous ensemble… ". Après que la classe ouvrière ait subi de plein fouet les conséquences de la crise de 29, les militants ont le sentiment que de l’issue de la révolution espagnole dépendait non seulement le sort de la classe ouvrière en Espagne, mais celui de la classe ouvrière du monde entier. Après la victoire du nazisme et le déferlement de la guerre, viendra une remontée du mouvement du mouvement ouvrier comme le dit Ardatov : " les nazis sont devenus les fossoyeurs de la vieille Europe ; mais en accomplissant leur tâche, ils engendrent par la haine et la nécessité leurs propres fossoyeurs… Dans trois, cinq ou dix ans, ils seront emportés par l’ouragan qu’ils auront déchaîné… ". Réfugiés à Marseille en attente de visas pour embarquer vers les Etats-Unis ou le Mexique, les militants gardent toute confiance dans leurs idées et leur engagement. Leur passé révolutionnaire et les coups subis leur ont appris, durement, que les consciences se transforment et que le combat entraîne les victimes d’hier comme Justinien, soldat déserteur et ayant assassiné par appât du gain, qui ouvre les yeux sur la réalité sociale et devient un des leurs. Un témoignage sur une période difficile où l’espoir était ténu, mais riche d’optimisme révolutionnaire qui donne des forces aux militants d’aujourd’hui.

" Ce sera long, long, ce sera un long cauchemar, mais le vieux monde irrespirable est fini… " Hilda.

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