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Chirac, dopé par la victoire des " bleus ", serait-il de retour ? L’effet anabolisant risque d’être de courte durée

L’ambiance d’euphorie tricolore et d’union sacrée qui a suivi la victoire de l’équipe de France a permis à Chirac de réendosser l’espace d’un jour le costume de Président et de chef de la droite. C’est inhabituellement calme et détendu qu’il a répondu aux questions, sans surprise il est vrai, des journalistes chargés de l’interviewer le 14 juillet, rappelant à l’ordre les chefs des partis de droite, en se plaçant au-dessus de leurs rivalités. Un communiqué du RPR affirmant " son soutien naturel au chef de l’Etat dans l’épreuve de la cohabitation ", est tombé à pic immédiatement après. Mais si Debré, le dirigeant du groupe parlementaire du RPR a fait allégeance à Chirac, Seguin, son président, dont Chirac a affirmé dans son interview qu’il était " un ami de très longue date ", a gardé le silence, comme les Pasqua, Balladur, Madelin et autres chefs de la droite qui ont pris leurs distances ces derniers mois, chacun lorgnant du côté du Front national.

Tout en s’affirmant pour une " cohabitation constructive ", et en se démarquant de l’extrême droite, Chirac a émaillé son interview de propos les plus réactionnaires : ainsi pour la " préférence nationale " que Balladur a choisi de reprendre à son compte, il " n’est pas sûr que ce soit un vrai problème ". Sur la régularisation de tous les immigrés, il est absolument contre, avec cet argument qui n’a rien à envier à ceux des racistes : " La régularisation, c’est très bien. Bien sûr il faut une gestion humaine, mais la régularisation est un amplificateur important de l’immigration car le régularisé acquiert le droit familial. Vous croyez régulariser une personne, en fait vous en régularisez toute une série. " Il n’a pas manqué, non plus, de faire de la surenchère pour une politique d’austérité. " Il y a une certaine facilité à dépenser de l’argent, sans toujours contrôler exactement l’efficacité de la dépense ", a-t-il dit, avec le culot et le cynisme de ces politiciens qui nous font la morale alors qu’ils sont plongés jusqu’au coup dans des affaires de corruption. Il est vrai que - échange de bons procédés - le gouvernement et les politiciens de la gauche plurielle ont passé sous silence l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris, tandis que Chirac a de son côté donné quitus à Roland Dumas.

Jospin, Chevènement, ni aucun des ministres n’ont rien à redire aux propos réactionnaires de Chirac, ils sont sur le fond bien d’accord. Et c’est bien là le problème pour les chefs de la droite, et par contrecoup pour Chirac lui-même. Ses " amis " comme Seguin ne veulent pas de cette cohabitation qui les empêche de se différencier du gouvernement. Il y a quinze jours, à l’université d’été du RPR, Seguin s’était affirmé violemment opposé à la politique du gouvernement avec ces propos : " La gauche plurielle, avec son fatras idéologique, ses rescapés de l’échec communiste, ses héritiers du mitterrandisme, ses intégristes de l’écologie, ne saurait prétendre incarner l’avenir "... "En vérité, la France est encalminée. Et pire encore, les Français sont anesthésiés. Gavés et repus d’un consensus mou... ". C’est dans la logique des choses : les politiciens de droite ne peuvent s’opposer à un gouvernement qui mène une politique de droite, que par une surenchère en propos réactionnaires, imprégnés du mépris de classe propre aux véritables " gavés et repus ", qui est le fond même de l’idéologie d’extrême droite.

Chirac, président de cohabitation, n’a pas la liberté suffisante pour s’y livrer entièrement. C’est cela qui l’empêche d’être, comme il en rêve, le chef d’une droite qui se recompose sur des positions proches de celles du Front national, et son futur candidat aux élections présidentielles.

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 Ceux qui tricolorent

Dans un poème de 1931, " Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France ", Jacques Prévert ridiculisait le conformisme des bien-pensants et leurs penchants cocardiers :

" Ceux qui pieusement…

Ceux qui copieusement…

Ceux qui tricolorent

[...]

Ceux qui debout les morts

Ceux qui baïonnette... on

Ceux qui donnent des canons aux enfants

Ceux qui donnent des enfants aux canons

Ceux qui ont quatre mille huit cents dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers

Ceux qui mamellent de la France "

A ce monde-là, Prévert en opposait un autre :

" ceux qui soufflent vides, les bouteilles que d’autres boiront pleines

ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait

ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux

ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ".

Tant il est vrai que le patriotisme et le chauvinisme n’ont jamais servi aux possédants qu’à berner les opprimés en leur faisant croire qu’ils avaient des intérêts communs, pour mieux les maintenir dans l’oppression.

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Les sans-papiers du Havre toujours mobilisés

Les sans-papiers du Havre en sont à leur cinquième mois d’occupation de l’église de Caucriauville.

Ils sont toujours mobilisés et se sont organisés avec leur collectif de soutien pour maintenir des réunions et des actions durant tout l’été. Une réunion hebdomadaire regroupe entre 60 et 90 personnes, les parrains sont présents et relaient les départs en vacances au sein du collectif de soutien. Le jeudi 9 juillet, nous nous sommes retrouvés à une quarantaine de personnes pour occuper la préfecture afin de demander des entretiens avec le préfet, les parrains, les sans-papiers non régularisés et le collectif de soutien.

Une délégation a été reçue et les entretiens vont avoir lieu, ils concernent une quarantaine de dossiers. Par ailleurs, ils ont obtenu de la préfecture qu’elle leur envoie un récépissé de demande en recours pour ceux qui l’ont demandé, ce qui leur permet d’avoir sur eux un papier officiel provisoire justifiant leur présence sur le territoire. La lutte des sans-papiers continue et son étalement dans le temps n’érode ni leur détermination ni celle du collectif de soutien.

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Augmentation des maladies professionnelles : les patrons font payer leur guerre économique aux salariés

Les troubles musculo-squelettiques, ces inflammations des tendons et des nerfs actionnant les articulations (aux poignets, coudes, épaules, genoux ) sont en augmentation constante. Ils sont à l’origine de 7000 cas de maladies reconnues professionnelles en 1996 alors qu’on signalait 3165 cas en 1993 et 1040 en 1990. Aujourd’hui 3,5 millions de travailleurs sont exposés à ces maladies, soit un quart de la population active du secteur privé, en particulier dans l’industrie agro-alimentaire, automobile et textile. A Renault, par exemple, les maladies péri-articulaires ont augmenté de 26 % entre 1994 et 1996, passant de sept à trente-deux cas. Dans l’industrie de l’abattage de la viande, le nombre de salariés victimes de troubles musculo-squelettiques a été multiplié par six en cinq ans. Mais ces maladies s’étendent aussi, bien que de façon moins visible, aux secteurs du tertiaire et, en particulier, de l’informatique. Le syndrome du canal carpien, la compression du nerf médian du poignet, est déjà une véritable épidémie aux USA dans le secteur des banques et des assurances.

Ces troubles sont dus à l’accroissement des cadences des chaînes de montage mais aussi à la répétitivité des gestes et à la force déployée sur le poste de travail dans l’industrie. Par exemple, dans les abattoirs de viande de porc, les opérateurs ont entre 15 et 20 secondes face à une chaîne circulaire tournant sans arrêt, pour scier des pièces pesant entre 10 et 15 kilos. Le même geste de découpage avec une scie de 8 kilos est effectué environ 2000 fois par jour. Cette hausse des cadences s’explique par la diminution des effectifs.

Les patrons font payer aux salariés les fluctuations de leurs marchés. Il faut produire le maximum, de la meilleure qualité et le plus vite possible, de moins en moins nombreux. Les travailleurs sont stressés par les cadences et l’effort, mais aussi par le travail rendu absurde et arbitraire. Et les patrons se servent de la précarisation de l’emploi pour faire accepter l’aggravation des conditions de travail ; par crainte de perdre leur travail face aux nombreux contrats précaires, intérimaires, et autres CES, des travailleurs, même en CDI, souffrant de maladies professionnelles, ne s’arrêtent souvent que lorsque la maladie est trop avancée.

Les patrons voudraient que nous soyons les soldats de leur guerre économique, que nous usions notre santé et notre vie pour leurs profits . Au nom de la concurrence qu’ils se font entre eux, ils font pression et répandent leur propagande pour nous persuader qu’il faut en faire toujours plus pour garder sa place. C’est ainsi que les progrès, comme les machines, l’informatique, au lieu de rendre le travail plus facile, deviennent source de fatigue et de maladies pour les travailleurs qui se battent pour les faire reconnaître par les patrons comme des maladies professionnelles.

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 Flers : un office HLM qui fait payer la note aux locataires

A Flers, dans l’Orne, une partie des habitations à loyers modérés (HLM) appartient à l’Office Public des HLM de l’Orne et une autre partie à une société privée, la Sagem. En réalité, les loyers de ces HLM sont d’autant moins modérés au regard des ressources des travailleurs qui y vivent qu’ils augmentent régulièrement tous les ans. C’est ainsi que le loyer d’un F3 est passé de 1170 F en 1987 à 2075 F aujourd’hui. Ce prix du loyer a augmenté de 50 à 100 F tous les ans à cause des taxes pour les poubelles ou de celles pour le chauffage. Mais le gros lot de ces augmentations revient à celle survenue il y a six ans entre juillet et août 1992 : 340 F d’un seul coup. La justification de cette augmentation était les travaux de réhabilitation pour le respect des normes en vigueur : sécurité incendie, isolation en laine de verre sous la toiture, etc., mais rien à l’intérieur excepté la plomberie dans la cuisine. Tout cela n’était pas du luxe après vingt ans sans travaux, c’est-à-dire depuis la construction des immeubles. Ces travaux sont normalement à la charge du propriétaire et non du locataire. Mais l’office public, pour entériner l’augmentation de 340 F, a imposé aux locataires de signer de nouveaux baux datés de juillet 1992, y compris à ceux qui occupaient les logements depuis des années.

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 ISF : un faux débat révélateur

C’est le 22 juillet au Conseil des ministres que le gouvernement annoncera ses principales mesures fiscales pour l’année 99, mais la plupart sont déjà connues, notamment celles qui touchent à l’ISF, l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Celui-ci a été au centre d’un débat pour savoir s’il fallait inclure dans l’assiette de l’impôt les biens professionnels. Le patronat était bien sûr violemment contre, le PS réservé et le PC a choisi d’en faire un cheval de bataille pour montrer sa volonté de " faire payer les riches ". C’est une vraie comédie car sur les 1400 milliards de francs qui sont prélevés par l’impôt, l’ISF n’en représentait qu’une dizaine en 96. Dérisoire lorsque l’on sait que les 2,2 millions de ménages les plus fortunés possèdent un patrimoine de plus de 10 000 milliards de francs, soit la moitié de la richesse totale pour un dixième des ménages !

Mais le débat a été néanmoins révélateur des intentions des uns et des autres. Du côté du patronat, c’était " pas question ". Bien qu’officiellement il n’ait encore rien décidé, le gouvernement a finalement renoncé à une mesure même symbolique, si peu radicale qu’elle avait été préconisée par le Conseil des Impôts composé de hauts fonctionnaires et présidé par Pierre Joxe, le président de la Cour des Comptes ! Il s’agit pour le gouvernement de ne pas " braquer " le patronat déjà " traumatisé " par la loi sur les 35 heures et d’éviter une " évasion fiscale qui serait préjudiciable à l’emploi ". Dès que les gouvernants parlent de " défendre l’emploi ", c’est qu’ils vont faire un cadeau petit ou grand aux patrons !

Du côté du PCF, on fait mine de croire que rien n’est encore décidé et on se contente de mettre en évidence les déclarations de Jospin disant qu’il allait instituer une " fiscalité de gauche " : il n’est pire sourd …

Chacun tient donc sa partition dans cette comédie. Car ce fameux " Impôt sur les grandes fortunes " mis en place en 82, puis supprimé par la droite en 86 et rétabli en 88 sous le nom " d’Impôt de Solidarité sur la Fortune " n’a jamais été que de la poudre aux yeux, une de ces fameuses " mesures de gauche " qui font hurler le patronat et la droite tandis que la gauche prend des airs de vertu égalitaire. Pendant que les uns et les autres jouent la comédie, les capitalistes continuent de faire fortune en faisant les poches des salariés.

Le débat actuel reste dans ce cadre-là : la mesure présentée par le PCF est dérisoire, elle aurait majoré l’ISF de 1,6 milliard de francs. A titre de comparaison, la loi Pons, qui accorde des dégrèvements d’impôts à ceux qui " investissent " dans les DOM-TOM, a permis selon un rapport de l’Inspection générale des Finances de détourner 13 milliards de francs, plus que l’ISF n’en a rapporté en 96 !

Ce faux débat sur l’ISF ne sert aux politiciens qu’à tenter de masquer leur servilité à l’égard des intérêts des patrons.

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Privatisation et actionnariat des travailleurs, un jeu de dupes

A l’occasion de la privatisation de Thomson-CSF, environ sept salariés sur dix se sont portés acquéreurs d’actions selon les informations données par la direction du groupe, avant que l’opération ne se termine. Il y a peu, en octobre dernier, les actions de France Telecom avaient rencontré le même succès aboutissant au fait que 70 % des salariés du groupe détiennent… 2,5 % du capital. Dans le cas de Thomson-CSF, la part du capital des salariés, pour reprendre la façon dont les patrons présentent le problème, est de 1,4 %. C’est dérisoire bien évidemment, mais surtout mensonger. Il y a quant au fond une véritable escroquerie.

En vérité, ce sont les salariés qui donnent une partie de leur salaire aux capitalistes en échange d’un bout de papier leur garantissant un hypothétique revenu, si tout marche bien. Pour ces derniers, c’est toujours du capital dont la rémunération est le plus souvent remise à plus tard et en prime, l’opportunité de baratiner les salariés devenus actionnaires sur leurs droits…et surtout leurs devoirs. Il faut que l’entreprise marche, c’est l’intérêt de tous !

" Le danger pour un salarié est d’assimiler la participation au capital à un élément de rémunération au risque de s’exposer à de sérieuses déconvenues en cas de chute des cours " écrit un journaliste du Monde commentant la privatisation de Thomson. Indiscutablement. Le danger, c’est aussi et surtout de se laisser bluffer par les discours sur la nécessaire "adhésion à la stratégie de croissance " pour se plier à la dégradation des conditions de travail, le blocage des salaires réels, les licenciements.

Associer les travailleurs à leur propre exploitation est un vieux rêve des capitalistes et surtout une constante de leur politique. Ah si les salariés pouvaient se croire un peu, ne serait-ce qu’un peu capitalistes, quel meilleur des mondes capitalistes ne verrions-nous pas. L’harmonie des classes enfin trouvée !

Mais il est bien moins utopique de se préparer à construire une société sans capitaliste ni exploitation que de transformer les travailleurs en capitalistes.

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