Vers une liste LCR-LO aux élections européennes, un pas vers un nouveau parti des travailleurs révolutionnaires, socialistes et communistes
Alain Krivine et Arlette Laguiller lont chacun de leur côté annoncé, la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière ont décidé de sorienter vers une liste commune pour les élections européennes, conduite par leurs deux porte-parole. Cette décision constitue un pas en avant, riche de perspectives et de possibilités.
Pour tous ceux qui au lendemain des élections présidentielles de 95 avaient pris au sérieux lappel dArlette Laguiller à un nouveau parti des travailleurs, et qui ensuite avaient été déçus par la dérobade de Lutte Ouvrière, par son impuissance à aller jusquau bout des choses, à assumer les conséquences de ses propres succès, cette nouvelle orientation des deux organisations constitue une indiscutable satisfaction. Une satisfaction cependant qui ne peut effacer le doute qui est né de cette fuite de LO comme des recherches dalliance à droite de la LCR, une satisfaction qui, à contrario, laisse un petit goût damertume devant le temps perdu durant les trois années passées.
LO comme la LCR, prisonnières jusqualors de leur vieille rivalité, se plient aux nécessités nées de la nouvelle période dans laquelle nous sommes. Les effets de la crise du capitalisme comme la participation des partis de gauche à la gestion des affaires de la bourgeoisie, concourent au regroupement des forces les plus conscientes du monde du travail. Devant cette nécessité dune nouvelle organisation politique des travailleurs, nécessité qui simpose à tous avec la force de lévidence, ni Lutte Ouvrière ni la LCR nont osé prendre le risque de diviser le mouvement révolutionnaire. Lévolution des conditions sociales et politiques a rappelé à chacun bien plus que tous les discours des uns et des autres et de nous en particulier, ses responsabilités. Cest tant mieux et cela prouve la richesse, la force, le dynamisme des idées du trotskysme dont les uns et les autres nous sommes les défenseurs.
Il est prématuré de pronostiquer limpact quaura la liste, en espérant que rien ne viendra gêner sa réalisation. Il est difficile dimaginer la dynamique qui peut se créer autour delle comme il est difficile de prédire son résultat et le nombre délus quelle pourra avoir.
Il est cependant dès maintenant nécessaire de formuler la politique et les perspectives qui résulteront de la situation politique nouvelle créée par cette liste et surtout son éventuel succès dautant que le mode de scrutin proportionnel des élections européennes devrait lui permettre davoir des élus.
De fait, la perspective de cette liste ouvre la possibilité que se constitue un pôle des révolutionnaires et au-delà pose dans les faits la question dun nouveau parti des travailleurs.
Alain Krivine a tenu en définissant le sens de lorientation de la LCR, à préciser quil ne sagissait pas de faire " un parti commun " avec Lutte Ouvrière. Celle-ci névoque même pas pour sa part le problème. Dailleurs ses lecteurs nont pas eu, jusqualors du moins, dinformations sur cette question, façon de faire comprendre quil sagit dun accord " au sommet ". Certes, il ne sagit pas de faire un parti commun LCR-Lutte Ouvrière et il serait erroné de militer pour la fusion de ces deux organisations, aucune ne le souhaitant, et le fonctionnement de LO rendant, sauf évolution radicale, toute unité impossible. Par contre est inscrite dans la situation actuelle la nécessité dun nouveau parti. Ni les militants de la LCR, ni les militants de Lutte Ouvrière, ni aucun militant de lextrême gauche néchappera à la question qui se pose à tous ceux qui nentendent pas se dérober à leurs responsabilités. De quel type de parti avons-nous besoin, sur la base de quel programme, de quel fonctionnement interne ? Autant de questions auxquelles personne ne pourra éviter de répondre. La réponse concrète ne pourra naître que dune large discussion au sein de toute lextrême gauche.
Pour notre part, nous souhaitons la constitution de cette liste commune. Nous la soutiendrons inconditionnellement. Mais nous situerons notre propre activité dans la perspective de ce nouveau parti.
La campagne qui de fait souvre, aura pour but déveiller les plus larges fractions des travailleurs à la nécessité de sorganiser. Aucune revendication, même la plus minime, na de sens aujourdhui si elle nest pas directement liée à la nécessité pour les salariés, les chômeurs, les jeunes, de se donner les moyens de limposer comme de contrôler son exécution. La campagne qui souvre ne sera autre chose quune simple campagne électoraliste, cest-à-dire quant au fond opportuniste, que si elle se fixe pour fonction et pour but lorganisation de notre classe, si elle y soumet par avance et explicitement lélection de députés qui ne pourraient être que des tribuns du monde des classes opprimées.
Nous disons cela en supposant que chacun comprend bien quorganiser, cest éveiller chacun à la vie politique, lui donner les moyens de comprendre pour agir et à partir de là, le goût de laction, lenvie de se réunir, de discuter, de décider en toute démocratie et de se donner directement, par soi-même les moyens dappliquer ses décisions. Organiser, cest éveiller le goût et la joie de laction collective démocratique.
La liste LO-LCR constituera de fait un pôle des révolutionnaires, un pôle " par en haut ".
Le nouveau parti dont la classe ouvrière a besoin naîtra aussi et surtout par " en bas " des mille et une initiatives de travailleurs, de jeunes, qui prendront avec force, au mépris de tout esprit de dérobade, de fuite ou dambivalence, leur propre avenir en main. La liste commune devrait les susciter.
Cest à cela que " Voix des Travailleurs " souhaite contribuer.
Nous reproduisons ci-dessous la lettre que nous avons envoyée aux camarades de la LCR dans le but de définir le cadre dans lequel nous envisageons les discussions qui souvrent entre leur organisation et notre tendance. Dans un souci de clarté et de transparence, qui, comme nous en avons décidé dun commun accord, doivent régir nos relations, nous portons aujourdhui cette lettre à la connaissance de tous nos camarades et amis lecteurs.
Chers camarades ,
Nous avons décidé dun commun accord douvrir une discussion entre votre organisation et notre tendance sur lappréciation de la période, la situation du mouvement ouvrier, les tâches et les perspectives des marxistes révolutionnaires aujourdhui, ainsi que lévolution possible et souhaitable de nos relations. Nous nous en réjouissons. De cette discussion devrait résulter, nous lespérons, lintégration de notre tendance en votre sein.
En effet, cette discussion sinscrit dans les rapports que nous avons essayé davoir avec vous depuis que nous avons été contraints de nous constituer en fraction indépendante au sein du mouvement trotskiste. Dans les mois qui ont suivi leur exclusion de LUTTE OUVRIERE, les militants à lorigine de notre tendance ont pris linitiative de proposer aux camarades de la LCR de Rouen et de Bordeaux dorganiser ensemble nos fêtes locales. En faisant ces propositions, nous navions pas de préoccupations seulement locales ou circonstancielles, mais nous agissions dans lidée duvrer à lunité des marxistes révolutionnaires voire à leur regroupement là et au niveau où nous avions des responsabilités.
Au-delà des péripéties et incidents qui ont pu marquer notre exclusion, celle-ci ne sexplique et ne se comprend quant au fond que du fait de la situation créée au sein de LO par lincapacité de sa direction à assumer les conséquences de ses propres succès aux élections présidentielles et en particulier lappel dArlette LAGUILLER à la construction dun nouveau parti. Ce sont du moins les conclusions que nous en avons tirées, conclusions que nous avions formulées dans une brochure éditée en mars 97, intitulée " Fausses raisons dune exclusion, vraies raisons dune rupture, nos perspectives ".
Dans cette brochure, nous écrivions : " Nous nous considérons comme une tendance du mouvement trotskiste... nous entendons ainsi contribuer à ce que le mouvement révolutionnaire se donne les moyens matériels, humains, politiques pour nous préparer à une remontée du mouvement ouvrier. Nous voulons agir pour que se constitue le cadre nécessaire à la collaboration de tous ceux qui veulent participer à la construction du parti dont la classe ouvrière a besoin ".
Cest dans cette perspective-là que sinscrivaient nos démarches vis-à-vis des différentes tendances du mouvement révolutionnaire, en priorité vis-à-vis de la minorité au sein de LO, vis-à-vis de la LCR ou, en son sein, de la tendance R !. Cest aussi dans cette perspective que nous avons fusionné avec les camarades de la Ligue Socialiste des Travailleurs issue du courant international de la LIT ou que nous collaborons à la revue Carré Rouge.
Pour essayer de définir notre attitude, le mieux nous semble de citer quelques lignes extraites dune des lettres que nous vous avions envoyées dans lannée passée, lettre datée du 23/06/97. Nous écrivions : " Pour notre part, nous pensons quil y a urgence pour que se regroupent toutes les forces qui se réclament du communisme et de la révolution, du trotskisme. Si nous narrivions pas à constituer tous ensemble une force capable de représenter un pôle dans le camp des travailleurs, libre de tout soutien au gouvernement et, donc, disponible pour impulser, susciter, organiser les luttes des travailleurs, larrivée de la gauche au gouvernement se traduirait pas une nouvelle démoralisation comme ce fut le cas après 81, qui livrerait les travailleurs pieds et poings liés aux coups de la bourgeoisie et de son Etat, et préparerait le terrain de lextrême droite comme ce fut le cas aussi après 81, sauf quaujourdhui, le Front National est à 15 %.
Voix des Travailleurs, tendance issue de Lutte Ouvrière, ne se fixe nullement lobjectif de constituer une nouvelle organisation révolutionnaire, concurrente des autres organisations, mais veut uvrer dans le sens dun regroupement de toutes les forces de lextrême gauche, cela bien sûr dans la mesure de nos moyens. Et cest pour cela que, quelles que soient nos différences dappréciation, nous essaierons dagir là où nous sommes avec vos propres camarades dans le but de discuter et de confronter nos politiques, et daffirmer lexistence dune force communiste et révolutionnaire nouvelle, qui apparaisse comme un espoir, comme une perspective à tous les militants du Parti communiste, du Parti socialiste, des syndicats ou dassociations diverses qui perdront dans les mois qui viennent leurs dernières illusions sur des partis gouvernementaux qui ont tourné le dos aux intérêts du monde du travail ".
Nous persistons et signons dans cette orientation, en espérant que la discussion qui commence entre nous nous permettra daller beaucoup plus loin.
Bien évidemment cette discussion implique pour nous, comme nous le disions au début de cette lettre, la volonté de regrouper nos forces. Comment ? Sous quelle forme ? Est-ce possible ? Cest ce que la discussion devra définir.
Militer dans le même cadre organisationnel ne signifie pas, est-il nécessaire de le préciser, être daccord sur tout, en particulier, sur toutes les formes dintervention. Cela suppose être daccord sur les perspectives générales quen tant que marxistes révolutionnaires, nous nous fixons les uns et les autres : la construction dun parti ayant pour objectif lémancipation des travailleurs par eux-mêmes pour en finir avec la société dexploitation. Cest pourquoi, au moment où commence réellement cette discussion entre nous, nous avons confiance dans nos capacités à définir des liens solides même sil nous est bien difficile de dire la forme que peut prendre notre collaboration ou plus précisément notre intégration à la LCR .
Cela nous est dautant plus difficile que vous-mêmes êtes engagés dans une discussion de fond sur vos propres perspectives, vos orientations et les changements que vous estimez nécessaires pour votre propre organisation.
Il nous semble, mais, là encore, cest ce que devra définir la discussion qui sengage, que vos préoccupations et les nôtres convergent dans la perspective de constituer un parti dextrême gauche qui offre un cadre et ouvre des perspectives à tous ceux qui, aujourdhui, se détournent du réformisme du Parti communiste et du Parti socialiste et rompent avec la gauche gouvernementale. Cest dans cette perspective-là que de notre côté, nous sommes engagés dans une discussion autour dun projet de programme et de statuts pour tenter de définir le cadre politique et organisationnel du futur parti qui devrait naître des transformations en cours. Nous vous communiquerons ces textes à loccasion de notre rendez-vous du 2 octobre au plus tard.
La direction de votre organisation a fait sienne la perspective dune liste LO-LCR pour les prochaines élections européennes. Dans des discussions que nous avons pu déjà avoir, nous avons exprimé lidée que nous nous situions dans cette même perspective dune liste commune. Nous pensons quune telle liste permettrait au courant nouveau qui est en train de se former dune extrême-gauche ouvrière, de se regrouper et de sexprimer au mieux, y compris sur le plan électoral. Nous souhaitons la constitution dune telle liste, nous la soutiendrions sans condition.
Ceci dit, cela ne signifie pas que nous y soumettions nos relations et notre travail commun. Quoi quil se passe pour les élections européennes, les perspectives générales du mouvement ouvrier et du mouvement révolutionnaire en particulier resteront les mêmes face au tournant politique et social que nous sommes en train de vivre.
En conclusion, nous pensons que nous avons devant nous des mois de clarification et de confrontation riches de possibilités et nous espérons que, si nos relations ont été un peu lentes à se formaliser, les choses évolueront beaucoup plus vite dans les mois qui viennent pour le plus grand profit de tous. Cest du moins dans ce sens que nous voudrions agir.
Recevez, chers camarades, notre salut fraternel.
Le 07/09/98