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La crise financiere et boursiere, echo et accelerateur de la crise d’une production guidee par le seul profit

A la fin de la semaine dernière, alors que la Bourse de Paris venait de perdre tous les gains qu’elle avait réalisés depuis un an, le ministre de l’économie Strauss-Kahn déclarait que " la forte baisse de la Bourse de Paris n’était plus justifiée par aucun élément de l’économie réelle ". Pur mensonge destiné à tenter de nous bercer d’illusions.

Au début de la crise mondiale actuelle, la crise monétaire et boursière dans les pays du Sud-Est asiatique de l’été 1997 n’était que le reflet d’une crise née de l’insuffisance de débouchés commerciaux pour une production dont l’emballement, stimulé par la concurrence et l’abondance des crédits fournis par une pléthore de capitaux étrangers à la recherche de profits, avait élargi le volume au-delà des capacités d’absorption par les marchés. Le retrait brutal de ces capitaux y a précipité l’effondrement de la production, 40 % par exemple en Corée du Sud, la ruine des populations, et la contraction de marchés qui représentaient un débouché essentiel pour la production de l’ensemble de l’économie mondiale, du Japon en particulier, mais pas seulement. Ainsi la production japonaise d’acier, dont les deux tiers s’écoulaient dans le Sud-Est asiatique, a diminué de plus de 10 % sur les sept premiers mois de l’année par rapport à la même période l’année précédente. Mais les exportations allemandes en direction de cette zone ont aussi reculé de 19,7 %, et en direction de l’ensemble de l’Asie de 8 %. Les économies française ou allemande exportaient certes une faible part de leur production vers l’Asie, mais le peu qu’elles y écoulaient manque aujourd’hui, alors que la concurrence sur tous les marchés s’exacerbe. Et les gouvernements européens ont beau nous seriner que l’Europe serait à l’abri de la crise, parce que les pays européens échangent entre eux les deux tiers de leur production, ils sont les uns après les autres contraints de réviser en baisse leurs prévisions de croissance pour l’année à venir.

De même par rapport à la crise russe, dont les politiciens qui y avaient vanté les progrès du capitalisme, attribuent maintenant la responsabilité à l’ancien régime soviétique. " C’est une crise très spécifique, ce n’est pas une crise de tous les marchés ", dit Strauss-Kahn, " la Russie ne représente que 1 % de nos exportations ". Mais en France, comme un peu partout, l’ensemble des exportations qui représente 35 % de la production, a depuis un an tendance à diminuer. Et c’est un nouveau marché, en particulier pour les biens de consommation courante, qui avait contribué à la progression des exportations européennes et américaines, qui se ferme complètement aujourd’hui. Les pays européens y exportaient par exemple l’an dernier 45,11 % de leur production de viande bovine, 32,1 % pour le porc, 29 % pour la volaille, 37,3 % pour le beurre, etc. Les capitaux étrangers qui s’étaient investis en Russie, 10 milliards de dollars en 1997, et 3,4 milliards pour le seul premier trimestre 1998, se sont retirés, ou ont été engloutis dans la banqueroute financière. C’est ainsi que toutes les banques des pays occidentaux annoncent aujourd’hui des pertes en Asie mais aussi en Russie, et que le cours de leurs actions en Bourse était ces derniers jours en chute libre.

Les valeurs les plus touchées par la chute des Bourses ont été celles de tous les trusts ou banques qui ont une activité internationale, et dont la production a le plus de mal à trouver des débouchés, celles des trusts des produits de grande consommation, ou producteurs de matières premières dont le cours a baissé à cause de la fermeture des débouchés asiatiques, celles des banques. Les financiers s’en détournent aujourd’hui parce que leurs profits ne sont pas à la hauteur de ceux qu’ils espéraient, et ils se portent vers les valeurs " sûres " que sont les obligations, c’est-à-dire les emprunts d’Etat, européennes ou américaines. La production, jusqu’alors alimentée en crédit par les capitaux drainés par la Bourse mais qui s’en détournent aujourd’hui, risque d’en manquer, alors que les banques, de leur côté, hésitent elles aussi à prêter des capitaux.

L’exacerbation de la concurrence entre les trusts se traduit déjà par des annonces de milliers de licenciements : dans l’électronique, où la surproduction par rapport aux possibilités d’absorption du marché a entraîné la baisse vertigineuse des prix de certains composants, et des profits, Motorola en a annoncé 15 000, Hitachi 4000, Hewlett-Packard 2500. Alors que Alcatel en confiant une partie de sa production à la sous-traitance va encore supprimer des emplois qui s’ajouteront aux 30 000 déjà supprimés depuis 1995, Siemens a annoncé 4600 licenciements. Dans le secteur des biens de consommation, Levi Strauss vient d’annoncer 1461 licenciements, Gillette 4700, le distributeur de jouets Toys’R Us 3000. Les trusts concluent alliances et fusions pour faire des économies et tailler dans leurs effectifs. La fusion des banques Travelers et Citicorp s’accompagne de 8000 licenciements, de même celles de NationsBank et BankAmerica, British Petroleum et Amoco ont décidé pour leur part de licencier 6000 salariés.

 

Citation : Paul Lafargue, La religion du capital, 1887

" Capital, mon Dieu et mon maître, pourquoi m’as-tu abandonné ? quelle faute ai-je donc commise pour que tu me précipites des hauteurs de la prospérité et m’écrases du poids de la dure pauvreté ?

Ai-je à me reprocher d’avoir jamais travaillé ? N’ai-je pas pris toutes les jouissances que permettaient mes millions et mes sens ? N’ai-je pas tenu à la tâche nuit et jour, des hommes, des femmes et des enfants tant que leurs forces pouvaient aller et au-delà ? Leur ai-je jamais donné mieux qu’un salaire de famine ?

[…] Et voilà que j’ai tout perdu, tout, et je suis devenu un objet de rebut.

Mes concurrents se réjouissent de ma ruine et mes amis se détournent de moi.

[…] Mais, Seigneur, se peut-il que tu frappes si impitoyablement un homme qui n’a jamais désobéi à un de tes commandements ?

[…] Qui voudra croire en toi ? Quel capitaliste sera assez téméraire, assez insensé pour accepter ta loi, si l’avenir est si incertain, si menaçant, si le vent le plus léger qui souffle à la Bourse renverse les fortunes les mieux assises, si rien n’est stable, si le riche du jour sera le ruiné du lendemain ?

[…] O Dieu doux et aimable, rends-moi tes faveurs. […] Si tu me redonnais la richesse, je fais vœu de suivre plus rigoureusement ta loi. J’exploiterais mieux et davantage les salariés ; je tromperais plus astucieusement les consommateurs, et je volerais plus absolument les gogos.

Je te suis soumis, comme le chien au maître qui le bat, je suis ta chose, que ta volonté s’accomplisse. "

 

Le scandale permanent de l’amiante

Vendredi 2 octobre, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Gironde a condamné la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) de la Gironde à indemniser onze travailleurs victimes de l’amiante qui poursuivaient leur employeur, la société Everite (région bordelaise) pour " faute inexcusable ". Que la CPAM jugée responsable parce qu’elle n’a pas fait son travail de dépistage des maladies professionnelles liées à l’amiante soit condamnée et paie des dommages, c’est la moindre des choses. Et il a fallu, pour arriver à ce résultat, que les victimes et leur famille se battent sans relâche. Mais l’employeur, pourtant reconnu lui aussi responsable ne versera pas un sou aux victimes. C’est pourtant bien en travaillant pour son compte que les salariés contaminés y ont laissé leur santé !

C’est la première fois que la Sécurité sociale est condamnée dans le dossier de l’amiante. Mais le fait que cette décision apparaisse comme exceptionnelle en dit long sur le scandale persistant que constitue ce dossier des maladies professionnelles liées à l’amiante. Sur 700 cancers spécifiques de l’amiante déclarés chaque année à la Sécurité sociale, une centaine seulement sont indemnisés. Et combien d’entreprises et de constructeurs, utilisateurs d’amiante pendant des décennies malgré les cris d’alarme n’ont jamais été inquiétés ! Selon l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) la fibre cancérigène a causé encore près de 2000 morts en 1996. A l’heure actuelle, près de cinq cents dossiers accusant de " faute inexcusable " des employeurs ayant exposé leurs personnels à l’amiante sont en cours d’examen devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale. A ce jour quatre informations judiciaires ont été ouvertes seulement. La justice avance décidément beaucoup moins vite que la maladie qui frappe les victimes.

Martine Aubry s’est crue obligée d’intervenir à l’occasion d’une manifestation de la FNATH (Fédération Nationale des Accidents du Travail et des Handicapés) qui a regroupé plus de 10000 personnes samedi 3 octobre sur l’esplanade des Invalides. On pouvait y lire des pancartes comme : " Amiante, plus jamais ça ! " et " pas de cadeaux aux entreprises sur le dos des victimes ". Mais ce ne sont pas les décisions annoncées par la ministre qui vont régler les problèmes. " Les dossiers de toutes les victimes seront rouverts " a-t-elle déclaré. Il serait temps ! Elle a dit aussi qu’elles auront deux ans après la promulgation de la future loi sur la Sécurité sociale pour demander une indemnisation, d’ailleurs jugée bien insuffisante par des associations de victimes. Quant aux employeurs coupables pas un mot bien sûr. La ministre préfère que la Sécurité sociale paie le moins et le plus tard possible ; cela revient à faire payer les cotisants, salariés, retraités, chômeurs plutôt que les patrons !

Les victimes, comme dans le passé devront compter avant tout sur eux-mêmes pour faire payer tous les responsables comme il se doit. Quant à l’assurance que des employeurs ne continuent pas à utiliser l’amiante, malgré la loi de janvier 97 interdisant toute fabrication et vente de produits contenant ce matériau, on ne pourra l’avoir que si les travailleurs exercent leur pression et leur contrôle.

 

La condamnation de Florence Rey : la justice animée d’un désir de vengeance

Florence Rey, qui, le 4 octobre 1994, avait participé avec son compagnon Audry Maupin, à une prise d’otage armée qui s’était soldée par la mort d’un chauffeur de taxi et de trois policiers, a été condamnée à 20 ans de prison et à verser 2,3 millions de dommages et intérêts aux familles des victimes. Elle était jugée pour sa présence aux côtés d’Audry Maupin au moment de la tuerie qui avait entraîné la mort de son compagnon alors qu’il était établi qu’elle-même n’était responsable de la mort d’aucune des victimes. Le procès pour les avocats des familles des policiers tués et l’avocat général de la cour d’assises devait aboutir à la condamnation de Florence Rey même si, âgée de 18 ans en 94, elle n’avait fait que suivre son compagnon, lui-même pris au piège de l’engrenage d’une violence gratuite, comme le sont tous les actes criminels dans cette société qui repose elle-même sur des rapports de force engendrant la violence. " Vous étiez deux, unis dans l’amour et dans le sang de vos victimes " a déclaré une avocate des familles des policiers tués et pour une autre avocate, le jeune couple avait " la volonté de former un couple mythique, comme Bonnie et Clyde ou Jacques Mesrine et sa compagne ". Et de citer à l’appui de cette démonstration le fait que Florence Rey avait vu le film d’Oliver Stone, " Tueurs-Nés " et lu le livre de Mesrine ! La justice a tenté de faire de ce procès un procès où l’accusée aurait de concert avec Maupin eu des visées politiques et la police avait même, au début, enquêté dans les milieux proches de l’extrême gauche puis du mouvement autonome parce que Maupin avait participé aux manifestations contre le CIP en 1994 et selon le témoignage de son père, fraiseur et militant syndicaliste, discutait avec lui de la société. Le Pen qui fait feu de tout bois, a apporté sa pierre au soi-disant complot contre la police fomenté par l’extrême gauche en justifiant la violence de son service d’ordre contre la députée socialiste à Mantes-la-Jolie en 1997 en affirmant que parmi les contre-manifestants, il y avait " des gens du Scalp, le mouvement d’Audry Maupin et de Florence Rey, le mouvement des tueurs de flics ". L’avocat général de la cour d’assises a réclamé 30 ans de prison pour Florence Rey l’accusant d’être co-auteur de la mort des victimes, détournant certains témoignages et justifiant la lourdeur de la demande par le fait qu’une période de sûreté était indispensable pour elle. Il n’y aura pas de remise de peine puisque, lorsque des policiers sont tués, les accusés font toujours l’intégralité de leur condamnation. Mais s’il est clair que Florence Rey n’est pas une dangereuse criminelle capable de passer à nouveau aux actes, qu’elle est brisée par son propre passé, la justice avait besoin de se venger et par esprit de corps en tant qu’appareil d’Etat vis-à-vis de la police, elle exigeait une lourde condamnation pour que sa solidarité avec la police soit affirmée.