éditorial



Honteuse de sa politique quand elle ne va pas dans le sens des préjugés réactionnaires, la gauche se ridiculise alors que la jeunesse, dans la rue, affirme sa dignité

Vendredi dernier, la majorité plurielle a offert à la droite une victoire que celle-ci n’espérait même pas, en désertant la bataille. Toute honte bue, la grande majorité des députés des partis au pouvoir n’ont même pas osé défendre la politique de leur propre gouvernement sur la question du Pacte civil de solidarité. Le projet de loi modifié devra repasser devant le parlement.

Pourtant, la grande majorité de l’opinion publique est favorable à ce projet de loi qui vise à garantir des droits minimum aux couples qui partagent leur vie sans être passés par les liens du mariage. Et cela qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. La droite et l’extrême-droite, tous les curaillons et les intégristes avaient essayé de mobiliser l’opinion publique contre le projet gouvernemental sans aucun succès. Elle est tout aussi ridicule que le PS de se gonfler d’un succès que ce dernier lui a offert.

Lorsqu’on a des convictions, il faut se mobiliser pour les défendre ", a déclaré, en faisant la leçon à ses troupes, leur chef Jospin. Il est pourtant bien placé pour savoir que ses propres députés ne sont ni socialistes ni seulement pour la plupart d’entre eux progressistes. Ils se sont dérobés parce que prisonniers de leurs propres préjugés.

La veille au soir d’ailleurs, le même Jospin à la télévision n’avait pour l’essentiel rien d’autre à répondre à l’explosion de colère des travailleurs de la RATP et de la SNCF face à l’insécurité, sinon qu’il fallait être plus répressif à l’égard de la jeunesse. Et de se vanter d’être pour l’ordre.

Ces propos, comme cette déculottade parlementaire, sont pour nous une leçon. Il serait fou d’espérer quoi que ce soit de ces partis de gauche qui se bousculent au parlement pour distribuer largesses et subventions au patronat, qui font tous l’apologie de l’économie de marché, du profit, de l’initiative privée et s’inclinent devant les financiers et les boursicoteurs, alors qu’ils sont intraitables devant ceux qui réclamaient simplement la revalorisation des minima sociaux, ou sans pitié vis-à-vis des 70 000 travailleurs immigrés toujours sans-papiers.

La verve de Strauss-Kahn pour défendre son budget entièrement adapté aux intérêts du patronat était directement proportionnelle à la couardise des députés PS face au PACS.

Derrière l’étiquette de gauche qu’ils se donnent, il y a des politiciens arrivistes qui pour beaucoup partagent les préjugés réactionnaires des classes qu’ils servent. Nous aurions tort de leur faire la moindre confiance.

La jeunesse des lycées, excédée, qui par milliers descend dans la rue, ne s’en laisse pas compter, et refuse de se laisser duper par les discours sur tout ce qui sera fait demain. Elle exige son dû tout de suite. Elle a raison.

Lycées en colère, finie la galère ", crient-ils dans la rue, dénonçant ainsi les conditions d’études scandaleuses qu’on voudrait leur imposer comme l’avenir bouché auquel ils sont confrontés. C’est toute l’inquiétude de la nouvelle génération qui s’exprime à haute voix dans la rue, une génération qui n’a plus confiance dans tous les politiciens qui ont trompé leurs parents et voudraient les lanterner à leur tour. Ils n’ont plus confiance et ils ont raison. Ils ont raison aussi quand ils reprennent le mot d’ordre que leurs parents, que nous scandions en 1995, " tous ensemble ". Ils ont raison d’affirmer un idéal de solidarité, de dignité, de combat et de lutte collectifs face à l’individualisme forcené dont les tenants du système, politiciens socialistes compris, leur vantent les mérites.

De fait, c’est toute la société que la révolte de la jeunesse met en cause. Spontanément, elle a compris que l’on ne pourrait avoir que ce pour quoi on se bat, sans se laisser endormir par tous les donneurs de conseils et les charlatans du jour. La jeunesse se dresse pour lutter, certes sans organisation, sans politique réelle, mais avec un esprit démocratique, un sens de ses droits, une volonté de ne pas subir qui inévitablement débouchera sur une pleine confiance en elle et une ferme détermination à prendre son destin en main.

Cette entrée de la jeunesse dans la lutte est riche d’espoir. Elle tire les leçons de l’expérience de la génération antérieure beaucoup plus vite, sans concession ni compromis. C’est sa force. Cette force, soyons sûrs qu’elle saura nous la communiquer ou plutôt que nous saurons la faire nôtre pour que tous ensemble, toutes générations confondues, le monde du travail, ses filles et ses fils inversent enfin le cours des choses pour imposer à tous les privilégiés, les profiteurs petits et grands, leurs propres revendications pour mettre fin au chômage, à la dégradation des conditions d’existence, prendre sur les richesses accumulées que nous avons produites pour garantir à tous le bien-être et un avenir.

Cela exigera que tous ensemble nous contestions cet ordre social injuste fondé sur la propriété privée capitaliste pour réorganiser toute la vie sociale en fonction des intérêts de la collectivité.

 

Les peuples kosovar et serbe pris dans un étau entre les grandes puissances et Milosevic

Avec prudence, les puissances occidentales se félicitent d’être parvenues à faire plier le genou au chef de l’Etat serbe dans la question du Kosovo. Après avoir fait monter la pression en exhibant leur arsenal de 2 porte-avions et de 460 avions mis en alerte, elles ont obtenu de Milosevic la promesse qu’il retire ses troupes du Kosovo et que 2 000 observateurs soient envoyés sur le terrain pour vérifier l’application de l’accord. Milosevic peut évidemment traîner des pieds pour l’appliquer et c’est pourquoi l’OTAN a maintenu sa menace de procéder à des" frappes aériennes ", c'est-à-dire à des bombardements sur la Serbie, si Milosevic n’obtempère pas dans les quatre jours.

Ces dernières semaines, Chirac et Védrine, le ministre des Affaires étrangères, ont fait des déclarations martiales contre Milosevic avec d’autant plus d’entrain que la décision de bombarder la Serbie ne peut venir que des dirigeants américains. Mais ils tiennent à afficher servilement leur approbation de tout ce qui peut être entrepris par l’impérialisme américain contre le peuple serbe ou contre le peuple kosovar. Car les pressions diplomatiques des Américains, appuyées par leurs manœuvres militaires, visent davantage les populations qu’ils cherchent à tétaniser que Milosevic. Ce dernier est de fait leur homme de main dans la région. Celui qu’ils appellent le " boucher des Balkans " maintient " l’ordre ", et c’est bien là l’essentiel pour les Etats-Unis et leurs alliés européens. Actuellement, ils s’efforcent seulement de " recadrer " Milosevic qui, par son zèle répressif au Kosovo, pourrait un jour créer une situation explosive totalement incontrôlable.

Mais depuis sept mois, Milosevic a bénéficié de la complicité des grandes puissances pour mener ses opérations guerrières contre la population kosovar. Le bilan de la répression serait de 1 300 Kosovars tués et de 300 000 exilés en Albanie ou au Monténégro, ou errant dans les forêts ou les montagnes du Kosovo. A l'approche de l'hiver, leur situation va devenir particulièrement dramatique. Des journalistes occidentaux ont assisté à la mort par épuisement de plusieurs personnes. Les dirigeants américains et les porte-paroles de l'ONU n'ont pas cessé de rappeler qu'il n'était pas question de remettre en cause les frontières dans la région, en d'autres termes d'accepter l'indépendance nationale réclamée par les nationalistes kosovars. Dans ces conditions, Milosevic a eu toute latitude en particulier en juillet et en août dernier pour intensifier la guerre contre l'Armée de libération du Kosovo, l'UCK, que les grandes puissances avaient le cynisme de rendre responsable de la dégradation de la situation au Kosovo. L'armée serbe ayant en grande partie écrasé l'UCK, l'ONU a pu recommencer en septembre à " s'indigner " des massacres au Kosovo. Estimant avoir atteint l’essentiel de son but au Kosovo, Milosevic peut se payer le luxe d’accepter une vague promesse d’élections sur l’autonomie du Kosovo dans trois ans. Les pressions de l’OTAN ont été également utilisées par Milosevic et son allié d’extrême-droite Seselj pour serrer la vis aux opposants serbes à leur politique au Kosovo par la censure et par une campagne de haine contre eux. Ils en ont profité pour s’en prendre encore plus au niveau de vie de la population serbe en augmentant la TVA et en repoussant à plus tard le paiement des salaires non versés depuis des mois aux fonctionnaires.

Pour se libérer du joug de leurs oppresseurs serbes et de leurs complices occidentaux, les ouvriers et paysans kosovars et serbes doivent unir leurs forces. Seule une politique les unissant et préparant leur émancipation sociale peut permettre à tous les peuples des Balkans de ne plus subir aucun massacre ni aucune discrimination.

 

" Octobre 98 " la jeunesse des lycées fait sa rentrée politique : un gage pour l’avenir

Des dizaines de milliers de jeunes lycéens ont manifesté dans de nombreuses villes de province lundi et mardi : les chiffres des cortèges sont souvent impressionnants, reflétant la montée en puissance d'un mouvement lycéen qui prend de vitesse le gouvernement Jospin et son ministre de l'Education nationale Allègre, qui croyait la rentrée scolaire accomplie sans anicroche. Mais les lycéens n’acceptent pas les classes surchargées, les heures de cours non assurées faute de profs, les options évanouies, les locaux dégradés ou insuffisants. Le mouvement lycéen vient brutalement remettre en cause l'idée que l'on pourrait continuer à enseigner et à étudier dans de telles conditions. Il prend à contre-pied les syndicats d’enseignants, râlant à la rentrée contre Allègre, mais réticents à organiser une protestation digne de ce nom contre le gouvernement. Les lycéens leur donnent une bonne leçon sur la manière de s’y prendre pour faire bouger les choses ! Leur ras-le-bol n'attend pas, il s'exprime sur l'heure : c'est donc tout ce qui ne va pas à l'école, dans leurs quartiers, leur présent, et tout ce qu'ils perçoivent de l'avenir que la société leur réserve qui s'exprime dans leurs slogans " Lycéens en colère, y'en a marre de la galère " ou " Jospin t'as raté ton PACS, ne nous fais pas rater notre Bac ".

Ce mouvement spontané, enthousiaste, ne s'enferme pas dans une revendication précise, cloisonnée à l'Education nationale. Les problèmes sont plus larges, c'est l'école et le manque de moyens, donc les économies budgétaires, mais c'est aussi l'insécurité, celle de la vie et le chômage, quand ils parlent de " la galère ". Finalement leur colère est celle d'une génération qui n'a aucune envie d'être sacrifiée. Ce ne sont pas les réponses d'Allègre sur les " conseils de vie lycéenne " ni ses promesses de redéploiement de postes d'enseignants qui peuvent satisfaire les lycéens, qui ne sont d'ailleurs pas dupes des tentatives de récupération de leur colère par le ministre : ce n'est pas l'allégement des programmes qu'ils demandent mais les profs nécessaires au bon déroulement des cours. L'attitude musclée de la police face aux manifestants dans certaines villes (à Nancy par exemple, quatre lycéens ont été arrêtés mardi soir pour être jugés en procédure d'urgence pour avoir forcé le portail d'un lycée) leur indique tout aussi clairement ce qu'est la politique gouvernementale.

Les lycéens sont d'emblée sur un terrain politique. Le gouvernement est mis sur la sellette. En reprenant dans les manifestations le slogan de 95 " tous ensemble, tous ensemble ", les jeunes s’inspirent de la dernière grande mobilisation de leurs parents. Le mouvement d'ensemble des travailleurs du secteur public contre le gouvernement Juppé a laissé des traces positives. La forte mobilisation des lycéens en province, y compris dans nombre de petites villes, est un autre trait commun à celle de novembre-décembre 95. Le gouvernement Jospin apparaît comme celui de Juppé à l'époque clairement au service des privilégiés, le masque tombe. C'est une réelle chance à saisir pour tous ceux qui subissent les attaques gouvernementales : le mouvement lycéen peut apparaître brouillon à ceux qui préféreraient un mouvement " bien encadré " et " bien contrôlable ". Mais il est clair dans sa démarche, la remise en cause d'une logique servile aux intérêts des possédants.

Comme l’ont dit les lycéens, " la société est déprimée, mais nous on n'est pas sous Prozac ". Ils ont l'ambition de la transformer, tout leur dynamisme, leur ouverture d’esprit dans leur lutte le prouvent. La confiance dans un autre avenir, ils l'ont. Tout cela ne s’est pas encore exprimé dans une politique clairement formulée. Mais c’est cela qui est à l’ordre du jour. Et c’est la tâche qui revient aux révolutionnaires, loin de tout formalisme et de toute frilosité, pour établir un pont entre la jeune génération qui s’éveille à la politique et celle qui mène des luttes dans les entreprises, les ANPE et dans la rue.