Les jeunes et les travailleurs, tous ensemble pour se donner les moyens de changer la société
Jeudi 15 octobre les lycéens et les lycéennes étaient 500 000 à manifester dans tout le pays. Mardi dernier ils étaient encore 300 000 et personne ne se risque à dire que le mouvement se termine. Allègre et le gouvernement Jospin nen mènent pas large. La mobilisation de la jeunesse lycéenne les a pris au dépourvu. Elle nest pas près de séteindre car elle a des causes profondes. Tout ce qui est inacceptable dans cette société pour la jeunesse comme pour le monde du travail se résume dans un slogan : " Y-en-a marre de la galère ! ".
Le seuil de lintolérable est franchi pour les jeunes des lycées. Plus question daccepter les classes surchargées, les cours supprimés faute de professeurs, les locaux insuffisants et dans un état lamentable. Ils exigent de lEtat des moyens humains et financiers pour remédier à ces conditions denseignement inadmissibles. Cest la moindre des choses pour se faire respecter dans limmédiat.
Au-delà, les jeunes refusent lavenir de chômage, de surexploitation et de violence que leur réserve la société actuelle. Ce en quoi on ne peut que les approuver et les soutenir de toutes nos forces.
Ce sont les fils et filles de travailleurs qui descendent dans la rue. Ils scandent avec enthousiasme " Tous ensemble " comme nous le faisions en novembre-décembre 1995. Ils sont rejoints souvent par des jeunes de milieux plus aisés qui ne connaissent pas leurs difficultés mais qui ont le sens de la solidarité.
La justesse de leur cause entraîne la sympathie. Lampleur et le dynamisme de leur mouvement en imposent à tout le monde, ce qui oblige tous les politiciens de droite comme de gauche à se prétendre daccord avec les lycéens. Quelle touchante unanimité, révélatrice de leur hypocrisie ! Ceux de droite qui ont largement contribué à la dégradation des conditions denseignement lorsquils étaient au pouvoir, aimeraient bien tirer leur épingle du jeu ; en particulier en agitant discrètement lépouvantail des " casseurs " pour flatter lélectorat réactionnaire. Jospin ne sen est pas privé non plus, avec en plus la volonté dintimider les lycéens et de faire encadrer leurs manifestations par la police.
Dans sa position délicate actuelle, Allègre est prudent. Il ne joue plus le fier-à-bras prétendant tailler dans le vif du " mammouth " de lEducation nationale. Il tente de faire dériver la colère des lycéens pour imposer " sa réforme ". Face à cette manuvre grossière, le " mammouth " a montré ses défenses. Les lycéens ont percé à jour la démagogie dAllègre. Ils ne vont pas se laisser endormir par les gouvernants de gauche ni séduire par les politiciens de droite.
Pour ne pas répondre aux besoins de la population en matière denseignement, de santé ou de logement, ils nous ont tous servi le même discours odieux quAllègre sur le plateau de TF1 dimanche soir : " lEtat, ce nest pas la hotte du père Noël. " Il a affirmé que si lon voulait plus denseignants, on aurait moins dinfirmières. Cest le langage de tous les larbins de la bourgeoisie. Ils gardent précieusement les milliards de lEtat tirés pour lessentiel des revenus des petits contribuables, pour subventionner les patrons, pour renflouer les banquiers qui se sont lancés dans des spéculations hasardeuses. Ils prennent ensuite un air contrit pour expliquer quil ny a plus dargent pour embaucher des enseignants, des postiers, des hospitaliers ou des cheminots. Pire, ils continuent à supprimer des postes par milliers dans tous les services publics.
En exigeant du " concret " pour les lycées, les jeunes vont découvrir à qui ils ont affaire : à des politiciens serviles avec les riches, qui cherchent à les faire rentrer dans le rang avec des miettes, qui se disent de gauche pour mieux les tromper. Cette expérience ne pourra pas les décourager car pour la plupart ils sen doutent déjà.
Une nouvelle génération est à lécole de la lutte collective. Derrière une apparente confusion de son mouvement, elle apprend qui sont ses alliés et qui sont ses adversaires. Elle apprend à sorganiser et à contrôler démocratiquement son mouvement. Tout comme nous, les travailleurs, nous devons faire ou refaire lapprentissage de la démocratie dans chacune de nos mobilisations et dans chacune de nos grèves. Le mouvement des jeunes prépare les plus conscients dentre eux à une lutte plus large, plus vaste, pour la transformation de toute la société aux côtés des travailleurs. Des prises de conscience semblables et complémentaires se font actuellement dans les entreprises.
Un espoir se lève pour lavenir de la société. Il est en train de prendre corps au sein de la jeunesse et au sein du mouvement ouvrier. Une force politique va en émerger permettant de sen prendre à la propriété privée capitaliste, une force politique capable de préparer la transformation radicale de la société pour faire disparaître toutes les injustices et toutes les inégalités sociales.
Aux lycéens en colère, Allègre accorde des miettes : leur réponse sera à la hauteur de son mépris
Les mesurettes annoncées par Allègre mercredi montrent de façon flagrante avec quel mépris le gouvernement a traité les demandes des lycéens. Nombre d'entre eux exigeaient la création de 100 000 postes fixes et notamment des postes de professeurs. Allègre s'est contenté d'un saupoudrage de 14 000 postes dont 10 000 emplois-jeunes qui par définition ne sont pas des postes fixes et qui ne peuvent résoudre aucun des problèmes criants dans les lycées. Quant aux 3000 surveillants, cela ne fait même pas un poste en moyenne par lycée ! Sous prétexte de faire dans le qualitatif, Allègre ne veut créer aucun poste d'enseignant. Sur le plan des moyens financiers, la somme de quatre milliards est fort éloignée de ce qu'attendaient les lycéens. C'est une concession dérisoire de la part de l'Etat puisqu'il se contentera de prendre à sa charge les intérêts du prêt de quatre milliards consenti aux régions. Avec sa grossièreté coutumière, Allégre n'en avait d'ailleurs même pas avisé les présidents des régions mais surtout le gouvernement se défausse une fois de plus de ses responsabilités en matière d'éducation sur le budget des régions. Les réactions à chaud des lycéens interrogés par les journalistes ont tout de suite révélé quils avaient compris quAllègre se moquait deux : " Je nai entendu que des phrases, du blabla ". Ils ont été scandalisés par la promesse de la baisse des effectifs à 35, seulement dans les terminales, et seulement en septembre prochain.
Allègre n'avait qu'un but à très court terme : atteindre les vacances de la Toussaint en ayant désamorcé le mouvement. Pour cela il avait choisi des interlocuteurs, en l'occurrence des lycéens de la FIDL proche du Parti socialiste, pour être sûr que des responsables lycéens se disent satisfaits de ses concessions. Seulement même eux n'ont pas eu l'air d'être très enthousiastes. C'est dire à quel point la grande masse des lycéens risque de réagir comme il se doit dans la rue à un ministre qui se dérobe et ne veut pas satisfaire des revendications complètement légitimes.
Mouvement lycéen : avoir sa propre politique et sa propre représentation démocratique, pour nêtre récupéré ni par le gouvernement ni par aucun politicien
Tout naturellement, de par son ampleur, sa durée et son contenu social, le mouvement des lycéens a déclenché les manuvres et les calculs de tous ceux qui sont du côté de lordre établi. Gouvernement, politiciens, directions syndicales et grands médias craignent que le mécontentement de la jeunesse scolarisée ne trouble durablement la " paix sociale " et ne soit un encouragement à lexpression dautres mouvements de colère venant de la classe ouvrière. Ils ont beaucoup brodé ces derniers jours sur les risques de " récupération " du mouvement lycéen. Ils laiment tous tellement, cette jeunesse en mouvement, quils se doivent de faire assaut de flatterie et de démagogie. Surtout depuis les manifestations du jeudi 15 octobre, ils tentent de létourdir et de labasourdir en invoquant tous ces terribles risques de récupération qui la guetteraient.
En fait, ce sont eux qui voudraient endiguer et si possible récupérer ce mouvement. Lorfèvre en la matière est incontestablement Allègre répétant sur lair des lampions : " Moi, je ne fais pas de démagogie ! ". Il faut bien quil sen défende, tellement cest évident quil en fait. Il veut utiliser lénergie des lycéens pour faire passer sa réforme aux dépens des enseignants et au bout du compte aux dépens des lycéens. Voilà pourquoi il a accusé mardi les syndicats enseignants de vouloir récupérer les lycéens. Se payant daudace il avait aussi prétendu que sil avait été lycéen, il aurait été en tête des manifestations.
Dans un sens on imagine très bien le jeune Allègre jouant des coudes pour être un " porte-parole raisonnable " et tenir le rôle de courroie de transmission entre le gouvernement et les lycéens. Il est certain que le gouvernement et les partis de gauche aimeraient bien trouver au sein du mouvement des leaders jouant ce rôle, criant bien fort contre " la récupération " ou au moins se retrouvant déstabilisés par leurs manuvres relayées par les médias.
Dans lensemble, les animateurs du mouvement se sont dégagés de toutes les tentatives plus ou moins insidieuses de leur dicter leur conduite. La plupart cherchent à y voir clair et à exprimer fidèlement les aspirations des lycéens qui se méfient dAllègre et de tous les politiciens.
Les commentateurs peuvent ironiser lourdement sur la confusion et la division du mouvement sous prétexte quil existe plusieurs coordinations plus ou moins concurrentes. En fait, ce mouvement encore peu structuré est profondément démocratique. Chacun y trouve sa place et peut sy exprimer librement.
Il a un contenu social beaucoup plus riche et plus radical que tous les mouvements lycéens du passé parce quune grande partie des jeunes dans laction sont des fils et filles de travailleurs qui savent que cette société ne leur réserve comme avenir que le chômage, " des petits boulots " ou un travail harassant. Les parents les encouragent bien souvent à manifester pour quils ne connaissent pas leur sort, et pour quils changent cette société autant quils le peuvent. Les deux générations du monde du travail opèrent leur soudure morale au travers de ce mouvement.
Cela constitue un formidable espoir à condition quune politique correspondant à leurs intérêts parvienne à se formuler et que tout le contenu démocratique du mouvement sexprime avec cohérence. Cest ce à quoi les militants révolutionnaires contribuent. La démocratie sanime et se construit par le bas, à la base, au travers dassemblées générales, de comités élus qui se coordonnent ensuite dun endroit à lautre. Cette démocratie dans la lutte permet de contrôler et si nécessaire de démettre ceux quon a élus. Elle est la seule garantie contre toutes les tentatives de récupération. Elle est ce qui permet de juger des positions différentes en présence. Elle permettra que sexprime librement une orientation politique qui soude tout le monde, surmonte les obstacles et prépare lavenir. Tout cela est en gestation, et prépare le retour en force dun mouvement ouvrier démocratique unissant toutes les générations et inversant le cours actuel des choses qui fait régresser toute la société.
Citation : Lettre de Marx à Ruge, septembre 1843
" Rien nempêche notre critique de prendre position en politique, de faire de la politique, de sassocier aux luttes réelles, voire de sidentifier à ces luttes. Dans ces conditions, nous ne nous présenterons pas au monde avec un principe nouveau, en doctrinaires disant : voici la vérité, prosternez-vous devant elle ! Mais nous lui apporterons les principes que le monde a développés lui-même dans son sein. Nous ne lui disons pas : laisse là tes combats, ce sont des sottises ; nous venons tannoncer le véritable mot dordre de la lutte ! Nous lui montrons simplement pourquoi il lutte en réalité, car il doit en prendre conscience, quil le veuille ou non
Nous pouvons donc résumer dun mot la tendance de notre journal : prendre conscience et clarifier pour les temps présents nos propres luttes et nos propres aspirations. Cest là un travail pour le monde aussi bien que pour nous : il ne peut être que luvre dun grand nombre de forces associées et non dindividus particuliers. "