" Au cur des manifestations, les fleurs de la révolution "
Cest ce que lon pouvait lire sur une banderole dans une des nombreuses manifestations du mouvement lycéen, comme bien souvent revenait le slogan " une seule solution, la révolution ", ainsi que bien dautres, écrits sur des pancartes, peints sur des banderoles ou scandés, qui témoignent de limpertinence, de lirrespect pour les institutions et les gens en place, de la liberté des jeunes manifestants. Ségolène Royal na pas dû bien les écouter, comme bien des sociologues soucieux comme elle de démontrer à quel point cette bonne jeunesse était motivée par le besoin de travailler, de sintégrer dans la société, en un mot, comme eux, de trouver une place. Et de disserter sur les différences entre mai 68 et octobre 98. Mai 68 voyez-vous, cétait la vaine et gratuite contestation de la société dune jeunesse désorientée, influencée par les gauchistes, aujourdhui la jeunesse a des revendications matérielles, elle ne contesterait pas la société et refuserait la politique.
Pure incompréhension, si ce nest mensonge. On a vu refleurir non seulement les mots dordre du mouvement de 95, mais pour les mêmes sociologues, il serait aussi " apolitique " que celui des lycéens, mais aussi des slogans de 68. " Soyons raisonnables, demandons limpossible ", disait une pancarte.
De ce point de vue, le mouvement de la jeunesse est profondément " raisonnable ". Il exige le droit de pouvoir sinstruire, accéder aux connaissances et à la culture, comme il serait normal que tous y aient accès dans une société moderne. Ils exigent un avenir, cest-à-dire que tous puissent mener une vie digne, libre et harmonieuse en étant utiles à la société. Ils exigent limpossible dans la société de classe où une minorité concentre toutes les richesses entre ses mains et pervertit les relations sociales en faisant lapologie de lindividualisme et de larrivisme.
Leurs revendications sinscrivent directement dans toutes les aspirations et les revendications des mouvements passés, cest la même révolte, la même soif de vivre humainement que celle qui poussa dans la rue ceux qui se battirent contre la sale guerre dAlgérie et les guerres coloniales, ceux qui en 68 brandissaient les drapeaux rouges et noirs, comme tous les mouvements qua connus depuis la jeunesse.
Ce qui change, cest le contexte social et politique dans lequel sinscrit ce mouvement et qui lui donne, de fait, une profondeur, un radicalisme, une portée bien plus grande que beaucoup ne limaginent.
Il ne faudrait pas croire que parce que la jeunesse a peur des récupérations politiques, cest-à-dire dêtre manipulée et récupérée par les partis au pouvoir dont, par son origine, son passé et ses sentiments, elle se sent proche, quelle ne fait pas de politique. Sa méfiance des partis au pouvoir, dont elle nest cependant pas entièrement affranchie, même pour une fraction dentre elle, la amenée à exprimer sa méfiance de la politique en général. Ce qui dailleurs a été grossi et amplifié par les alliés du pouvoir déguisés en apolitiques pour mieux récupérer les jeunes.
Mais tout cela na pas marché et cest " allègrement ", avec une grande maturité, une étonnante conscience des problèmes sociaux et de profonds sentiments de solidarité que les jeunes ont affirmé leurs revendications qui contestent toute la logique de ce système qui sacrifie les intérêts de la collectivité aux intérêts de quelques groupes financiers.
Ce mouvement de la jeunesse sinscrit dans une évolution collective des consciences sous les effets conjugués de la crise économique et de la participation de la gauche à la gestion des affaires de la bourgeoisie. Il en sera un puissant accélérateur. Les jeunes ont dit tout haut dans la rue ce que déjà depuis plusieurs années ils entendent dire chez eux, dans leur milieu, par leurs proches. Leur mouvement est le point de convergence de tous les ressentiments accumulés depuis des années. Il devient un encouragement pour les générations antérieures qui nont pas caché non seulement leurs sympathies mais pour beaucoup leur complicité. Complicité et souvent fierté.
En cela et quelle que soit la suite que les jeunes donneront à leur mouvement, ils ont accompli, du point de vue de lensemble du mouvement ouvrier, un travail indispensable.
Dans les mois qui viennent, une large fraction de la jeunesse cherchera à donner un contenu dans sa vie aux sentiments de fraternité, de solidarité quelle a connus dans sa lutte, à échapper au carcan que la société bourgeoise voudrait lui imposer, à continuer son combat et pour cela, se tournera vers les idées de ce combat. Les révolutionnaires ont un rôle important à jouer pour aider la jeunesse, pour lui apporter les armes et les expériences dont elle aura besoin, en lincitant à prendre linitiative, à faire sa propre expérience, à occuper lirremplaçable place qui lui revient dans la remontée du mouvement ouvrier à laquelle elle vient de donner une salutaire accélération. Cela ne se fera pas spontanément, cest une de nos tâches.
Sang contaminé : des anciens ministres " responsables et coupables " que la justice a tenté de couvrir pendant plus de dix ans
Mercredi 21 octobre sest terminée, après quatre ans de procédure et un rapport de 126 tomes, lenquête dans laffaire du sang contaminé. Le procès des trois anciens ministres socialistes, Fabius, Dufoix et Hervé aura lieu en février prochain et celui de 32 personnes - responsables du Centre de transfusion sanguine, proches des ministres et médecins - vraisemblablement au début de lan 2000.
Les premières plaintes déposées par les familles de personnes hémophiles contaminées par le virus du Sida lors dune transfusion sanguine remontent à mars 1988. Depuis, 500 au moins sont décédées et il y aurait plus de 1200 hémophiles contaminés. La justice a tout fait pour étouffer laffaire et ce nest que parce que les familles avec leurs associations nont jamais renoncé à se battre quelle na pas pu lenterrer définitivement. Les seules condamnations jusquici prononcées sont celles, en 1993, des docteurs Garretta et Allain, responsables du Centre national de transfusion sanguine, respectivement à quatre ans et deux ans de prison ferme pour " tromperie sur les qualités dun produit " ! La justice sest employée à gagner du temps reculant devant la mise en examen des trois anciens ministres socialistes, Fabius, Dufoix et Hervé pour lesquels elle a déjà prononcé 17 non-lieux. Depuis le début, ils se posent en victimes, la ministre des Affaires sociales de lépoque, Dufoix, ayant déclaré en 1992 quelle était " responsable mais pas coupable " et Fabius, ancien Premier ministre, en juillet dernier : " je pense avec compassion aux victimes de ce drame et à leurs proches ; je comprends et je respecte leur douleur mais je suis certain davoir agi comme je le devais ". Aveuglés par leurs préjugés sociaux et leur respect de largent, ces anciens ministres déclarent maintenant quils consentent à être jugés pour quenfin, ils soient disculpés.
Dans leur milieu, il est courant de considérer que la fin justifie les moyens et le respect de la vie humaine nest pour eux quune notion abstraite quils oublient dès que des enjeux financiers sont en cause. Pour Fabius, il était tout naturel de retarder lintroduction du test de dépistage du virus du Sida mis au point par le laboratoire américain Abbott dès 1985 pour laisser le temps à la société française Diagnostic Pasteur de mettre au point son propre test de dépistage ; cette décision condamnait les hémophiles à recevoir du sang non testé et elle a entraîné la contamination dau moins 22 personnes entre août et décembre 1985. Pour Dufoix et Hervé, il était normal de retarder jusquau 23 juillet 85 lapplication des procédés consistant à inactiver le virus par la technique de chauffage, dautoriser la distribution des stocks de sang non chauffé jusquen octobre de la même année et dattendre le 31 juillet 86 pour faire détruire les stocks à risque, tout cela pour défendre les intérêts du Centre national de transfusion. Et cest dès 83, quHervé a purement et simplement ignoré une information mettant en garde contre les risques de contamination de donneurs comme les prisonniers.
Les faits parlent deux-mêmes. Mais la justice qui na pu empêcher que les ministres passent finalement en jugement na retenu comme motifs dinculpation contre eux qu" homicides involontaires et atteintes involontaires à lintégrité physique des personnes ", sappuyant sur une décision de la Cour de Cassation qui, en juillet, a décidé que linculpation d" empoisonnement " nétait possible que si était prouvée lintention de tuer. Pour les 32 autres inculpés, dont à nouveau les docteurs Garretta et Allain, il est question que la même décision serve à adoucir le motif dinculpation.
Allègre : dis-moi qui sont tes amis
Sil a été brocardé pendant quinze jours par des centaines de milliers de jeunes manifestants, Allègre a aussi trouvé dans cette épreuve des soutiens appréciables qui ont dû lui mettre du baume au cur. Celui de Lionel Jospin tout dabord et de tous les ministres qui se sont solidarisés avec lui. Mais aussi des soutiens plus révélateurs, comme celui de Chirac, de Juppé ou de Madelin.
Cest quils ont trouvé en Allègre un homme politique comme ils les aiment. Voilà quelquun qui nhésite pas à sen prendre aux fonctionnaires, à leurs syndicats, qui traite les profs de privilégiés et regrette davoir revalorisé leurs salaires en 90 sans compensations, qui déclare aux jeunes que les lycées, ça ne doit pas être " la chienlit ". Voilà un ministre qui nhésite pas à déclarer : " aujourdhui, quand vous mettez bout à bout les pilotes dAir France, les transports, les radiologues , les enseignants, dans tous les cas, les résistances ont leur origine dans les corporatismes. Les rigidités sont là et le gouvernement de Lionel Jospin sy attaque ". Voilà un ministre socialiste qui, à lAssemblée, nhésite pas à river leur clou à ses alliés communistes : " demander toujours plus, cest trop facile, ce nest pas responsable " et qui sait trouver des accents dun anticommunisme vraiment primaire : " laissez-moi vous dire que je nentends imiter ni le modèle américain, ni celui de lAcadémie des sciences de lURSS ".
Pas étonnant que Madelin sexclame : " A Démocratie libérale, on soutient les lycéens et on soutient Claude Allègre. Nous sommes dailleurs prêts à créer en sa faveur un comité de soutien ". Et Goasguen, ami de Madelin, de renchérir à propos de la mesure dAllègre sur la décentralisation des mutations : " le ministre de lEducation nationale a le mérite davoir popularisé la réalité dun système dont les ministres de gauche comme de droite nosaient pas parler jusquà maintenant. Il faut le reconnaître, dune certaine façon, Allègre a libéré lopposition ". Propos confirmés par Juppé - qui avait sans doute appris que Chirac avait dit à Allègre lors du Conseil des ministres, " continuez, vous êtes sur la bonne voie " - et qui a fait son autocritique : " les gouvernements successifs, y compris le mien, je le reconnais bien volontiers, a dit Juppé, nont pas pu mettre en uvre la réforme des rythmes scolaires comme il aurait fallu " et il donne à son tour un satisfecit à Allègre en jugeant que la déconcentration " est une bonne orientation ".
Pour certains des leaders de la droite, Allègre, cest quand même autre chose que ce dégonflé de Bayrou, pourtant ministre de Juppé, quAllègre a accusé davoir " cogéré le ministère de lEducation nationale avec le SNES ", et qui se trouve soudain accusé par ses amis politiques " dimmobilisme " ! Décidément, la gauche au gouvernement fait mieux que la droite aux yeux mêmes de son personnel politique. En tout cas, grâce à la mobilisation des lycéens, Allègre et le gouvernement Jospin se seront révélés pour ce quils sont : dignes des éloges de Chirac, de Juppé et de Madelin !
Front national : derrière lunité de façade, guerre des chefs et murs de voyous
Lundi dernier, en présentant léquipe de campagne du Front national, Le Pen a déclaré aux journalistes : " Il ny a pas de guerre dans le parti. Il nous arrive davoir des divergences, mais nous discutons entre nous ". En parlant de discussion, Le Pen faisait allusion, sans doute, à une récente réunion du bureau politique, où, selon un de ses membres, " les mots dexclusion et de démission ont été prononcés ". La guerre des chefs qui oppose Le Pen et Mégret est semble-t-il maintenant ouverte, sans cesser de se mener à coups de campagnes en sous-main et de coups bas.
Mais pour lheure, élections européennes à venir obligent, et bien que chacun des deux campe sur ses positions, la trêve est publiquement déclarée. Le Pen, fidèle à la préférence familiale, ne démord pas de présenter sa femme tête de liste si lui-même était condamné à linéligibilité, mais saffiche aux côtés de Mégret, tandis que celui-ci, dans cette même hypothèse, est toujours candidat à la candidature mais ajoute quil est prêt " à se ranger à la décision qui sera prise ".
Les chefs du Front national - et en cela Le Pen et Mégret sont bien daccord - haïssent tout autant la démocratie à lintérieur du parti quà lextérieur. Aussi arrivistes lun que lautre, ils sont tous les deux candidats à un pouvoir fort auquel pourrait faire appel la bourgeoisie pour museler le monde du travail, et entourés dhommes capables de faire ce sale boulot. Ils craignent plus que tout la démocratie et la publicité qui pourraient révéler limposture de sauveurs suprêmes quils prétendent être, et la corruption de ces politiciens véreux champions dune " France propre ".
Ils ne peuvent pas même saccommoder de ces libertés pourtant limitées qui existent dans le régime bourgeois actuel, de sa presse ou de ses caméras de télévision, qui avaient filmé Le Pen se ruant sauvagement, comme un vulgaire nervi sur la députée socialiste de Mantes-la-Jolie, agression à cause de laquelle il craint dêtre déclaré inéligible. Ancien parachutiste pendant la guerre dAlgérie par conviction, Le Pen choisit ses amis parmi ses pareils, tels Susini, un ancien dirigeant de lorganisation raciste et terroriste OAS, quil vient de propulser contre Mégret à la tête du parti dans les Bouches-du-Rhône. Mais les politiciens ratés des partis de droite qui ont rallié le Front national comme Mégret, sont tout aussi intéressés à saboter la démocratie pour camoufler leur corruption et leur crapulerie qui se révèlent dès quils sont au pouvoir. Ainsi le maire de Toulon, Le Chevallier, dont lancien bras droit Poulet-Dachary est mort dans des conditions mystérieuses en 1995, et dont un des adjoints, Calone, vient dêtre écroué pour " viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité et harcèlement sexuel ". Cinq de ses victimes, employées en contrat à durée déterminée par loffice municipal des HLM de Toulon dont il est président ont osé porté plainte contre lui, et révélé les violences quil leur a fait subir en exerçant sur elles un odieux chantage.
Une unité, de façade sans doute pour ce qui est des calculs darrivistes qui les opposent, mais au fond bien réelle, quant à leur haine de la démocratie, leur mépris du monde du travail, et leurs murs de voyous.