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Baisse des taux d’intérêts : l’argent bon marché pour financer les profits et les spéculations

Les chefs d’Etat de l’Europe rose se sont réunis la semaine dernière en Autriche. Très en forme et contents d’eux-mêmes, avec parmi eux le joyeux drille de droite Chirac, qui vient de découvrir que " l’Europe n’est ni de droite ni de gauche ". Tout va tellement vite dans cette époque de " changement culturel ", selon les mots d’un des brillants chefs d’Etat de la bande des Quinze. Tony Blair veut sortir l’Angleterre de son isolationnisme et tous semblent bien pressés de devenir les chefs d’Etat de leur future Europe…

Dans cet état d’esprit conquérant, d’un seul élan, ils ont décidé de se fixer comme priorité la croissance et l’emploi. Voilà qui sonne nouveau !

Et pour cela, ils n’ont pas trouvé mieux que de se déclarer favorables… à la baisse des taux d’intérêts. Dés le lendemain, l’Italie diminuait son taux d’escompte de 1 %. Ils font aujourd’hui ce qu’ils disaient ne pas vouloir faire hier, contraints au passage de reconnaître que l’Europe n’est pas à l’abri de " l’onde choc de la crise financière ".

Il est bien difficile de voir en quoi le fait de diminuer le loyer de l’argent, le prix à payer par l’emprunteur au prêteur, relancera la croissance.

Les emprunts devenant moins chers, nous dit-on, les entreprises vont investir. D’où la croissance, d’où l’emploi !

Si c’était si simple, que n’y ont-ils pensé plus tôt ?

La baisse des taux d’intérêts a pour conséquence de rendre les emprunts meilleur marché, pour quelque usage que ce soit. A un moment où les capitaux abondent de partout sans savoir où s’investir, puisque leurs détenteurs n’ont aucun espoir de pouvoir tirer suffisamment de profit des investissements productifs, le résultat sera de faciliter les emprunts pour continuer d’abord et avant tout d’alimenter les opérations financières et boursières. Il s’agit de drainer de l’argent vers les bourses puisque les prêteurs eux-mêmes, compte tenu des taux, auront tendance à acheter des actions plutôt que de prêter leur argent. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la réaction favorable de Wall Street quand, il y a deux semaines, la Banque fédérale américaine a diminué ses taux.

Le but de l’opération est d’éviter un effondrement boursier tout en facilitant les investissements productifs.

Le prétendu remède ne peut qu’aggraver le mal d’une économie qui repose sur un océan de dettes, de créances douteuses, malade du crédit qui ne cesse d’anticiper des richesses qui ne sont pas créées.

Les chefs d’Etats de l’Europe rose seraient autre chose que de vulgaires larbins contents de servir leurs maîtres, les grands groupes financiers et industriels, ils seraient un tant soit peu soucieux des intérêts généraux de la société, qu’ils prendraient des mesures simples comme taxer les opérations financières et augmenter l’impôt sur les bénéfices pour, par l’intermédiaire de l’Etat, investir pour satisfaire les besoins de la population et créer des emplois. Ce serait des mesures infiniment plus efficaces, sans même remettre en question la propriété capitaliste. Mais même cela, ce serait trop !

Car il faudrait affronter les dirigeants et les gros actionnaires de ces quelques grands groupes qui contrôlent la marche de l’économie et font l’opinion par les médias dont ils sont propriétaires.

Pour la gauche gouvernementale, il n’en est pas question. Elle s’est elle-même convaincue des mérites de l’économie de marché, devenue pleine de compréhension " démocratique " vis-à-vis du patronat. La violence du chômage, de l’insécurité et de la précarité contre les travailleurs la laisse indifférente, subjuguée par ses maîtres.

 

Pinochet : les démocraties occidentales ont beaucoup de mal à juger les dictateurs

Mercredi matin, la Haute Cour britannique ne s’était pas encore prononcée pour ou contre le maintien en détention – dans une clinique – de Pinochet.

Les manifestations au Chili et dans de nombreux pays européens se sont multipliées pour exiger que Pinochet soit détenu et jugé. Des familles des victimes ont déposé des plaintes judiciaires en Suisse, en Suède et en France pour demander l’extradition de Pinochet et son jugement pour assassinat, enlèvements, tortures de citoyens de ces différents pays. Du côté des victimes de la dictature, l’exigence de justice redouble et se fait entendre de plus en plus fort.

Mais les grands démocrates qui gouvernent, non seulement au Chili, mais aussi en Espagne, au Royaume-Uni ou en France ont dans l’arsenal juridique de leurs très démocratiques constitutions des tas d’objections et de difficultés pour juger un dictateur responsable de la mort de milliers d’opposants. En Angleterre, ce seraient les chefs d’Etat qui seraient, de toute façon, protégés. En France, ce sont les crimes commis depuis plus de dix ans pour lesquels il y aurait prescription. En Espagne, ce serait la procédure suivie par les juges qui serait contestable… Bref, Pinochet n’est pas encore jugé, vu le peu d’empressement des plus hautes autorités de ces pays.

D’autant que de son côté le gouvernement chilien du " démocrate-chrétien " Frei accentue sa pression pour qu’on lui rende son dictateur. Il a reçu le soutien " total, absolu, ferme " du président argentin Menem. Entre receleurs d’assassins, on se serre les coudes. Histoire de rappeler au gouvernement anglais qu’il y a plus important que les " droits de l’homme ", l’armée chilienne laisse planer le doute sur une commande de 500 millions de francs qu’elle devait passer à l’industrie britannique. Un avion militaire chilien attendait sur un aérodrome, prêt à décoller avec Pinochet. Visiblement, mercredi, les autorités chiliennes avaient encore confiance dans la justice de Sa Majesté…

 

Élections au Pays basque : un camouflet pour l’État espagnol

Le Pays basque a voté. " Pour le maintien de la constitution ", proclament les dirigeants du Parti populaire, le parti de droite au pouvoir, et du PSOE, qui ont gagné des voix par rapport aux précédentes élections et sont passés de 11 à 16 sièges pour le PP et de 12 à 14 sièges pour le PSOE. " Pour le nationalisme ", disent les partis nationalistes basques qui, toutes tendances confondues, ont regroupé 54,5 % des suffrages. " Pour la paix " disent tous ces partis qui entament une longue série de tractations pour former le futur gouvernement autonome basque et surtout pour négocier un accord avec l’ETA qui a annoncé depuis un mois une trêve dans ses actions armées.

La presse a surtout insisté sur les progrès du Parti populaire, mais les résultats de la coalition dirigée par Herri Batasuna, avec 17,9 % des voix et 14 sièges contre 11 auparavant, sont également en nette progression. C’est une gifle infligée aux partis gouvernementaux qui avaient voulu marginaliser et diaboliser les partisans les plus radicaux de l’indépendance devenus aujourd’hui la troisième force politique du Pays basque.

La grande majorité de la population du Pays basque a certainement voté en cherchant à exprimer son aspiration à ce que cesse le cycle de répression et de terrorisme qui ensanglante le pays depuis des années. Mais quelle " paix " peuvent bien lui offrir ces partis ?

La situation de guerre a été engendrée d’abord par la dictature franquiste puis par les choix répressifs de ses successeurs centristes, socialistes et aujourd’hui du Parti populaire. Aux revendications du peuple basque et de sa jeunesse, les gouvernements centraux de Madrid ont toujours répondu par la répression brutale, les tortures et les assassinats. De son côté l’ETA, par sa politique terroriste aveugle a discrédité aux yeux des travailleurs d’Espagne les aspirations du peuple basque.

Aujourd’hui les nationalistes de toutes tendances, appuyés par Izquierda Unida, la coalition du PCE, se sont prononcés pour la négociation avec l’ETA. Négociation dont les partis gouvernementaux de l’Etat espagnol, le PP et le PSOE ont accepté le principe. Et on voit les uns et les autres changer de discours et s’envoyer des fleurs. Le Parti populaire s’est félicité des résultats d’Herri Batasuna, l’organisation politique liée à l’ETA, dont il a fait emprisonner toute la direction il y a un an. Les dirigeants d’Herri Batasuna, de leur côté, ont encouragé le PNV, le parti nationaliste basque de droite, à " avoir confiance dans la voie qu’il a choisie ", alors qu’hier encore ils qualifiaient ce parti de traître. Il s’avère que, comme en Irlande, la bourgeoisie de toute l’Espagne souhaite régler, autant qu’elle en est capable, le problème de la violence et de l’instabilité au Pays basque. A l’heure de l’intégration européenne elle a besoin d’institutions stables où des partis à son service résolvent les problèmes en acceptant les règles qu’elle fixe. Tous les partis impliqués sont disposés à lui offrir cette stabilité. Ce qui est en jeu pour eux, c’est la place qu’ils tiendront les uns et les autres dans le futur équilibre politique au Pays basque et dans les relations entre l’Etat central et la région autonome.

Une renégociation du statut d’autonomie, un peu moins de soldats, de gardes civils, de fonctionnaires espagnols contre un peu plus de juges, de flics et de politiciens basques, voilà ce que peut, au mieux, apporter à la population la " paix " que lui préparent tous ces partis.

Cela ne peut en aucun cas résoudre les problèmes de la population basque. Au Pays basque il y a une autre guerre qui se déroule. Comme ailleurs, mais avec une intensité particulière. C’est la guerre économique et sociale qui plonge plus de 22 % de la population au chômage, avec des taux dépassant les 30, voire 40 % dans certaines vieilles villes industrielles. Les partis représentés au parlement basque n’ont pas de " paix " à offrir sur ce plan-là. Les intérêts des travailleurs, des chômeurs et des jeunes, ils ne les évoquent que pour les persuader qu’ils sont liés à ceux des patrons et des banquiers basques, qui sont parmi les plus puissants et les plus riches d’Espagne. La coalition d’Herri Batasuna ou Izquierda Unida ont bien, au passage, évoqué le chômage, mais c’était pour dire que le droit à l’autodétermination permettrait d’y répondre.

La trêve annoncée par l’ETA, les récentes élections et les négociations à venir créent une nouvelle situation politique au Pays basque. Le " nationalisme radical " prêt à jouer le jeu voulu par les bourgeoisies basques et espagnoles va démontrer à tous les travailleurs qu’il ne peut en aucun cas incarner leurs espoirs d’émancipation.

Une page est en train de se tourner. La page suivante, ce sera la jeunesse et les travailleurs qui l’écriront par leurs luttes. Des luttes qui viseront à bien autre chose qu’à un changement de statut constitutionnel : à construire avec tous les travailleurs d’Espagne et d’Europe le cadre d’une société libre, débarrassée de l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire de toutes les oppressions.

 

Turquie : Renault et Fiat profitent à l’ombre des militaires

Depuis plus d’un mois en Turquie, notamment à Bursa et à Istanbul, plusieurs milliers de travailleurs de la métallurgie sont en lutte contre leurs patrons et contre le syndicat Metal Is, branche du principal syndicat lié au pouvoir, Turk Is. A l’origine de cette mobilisation, il y a la colère des travailleurs de Renault et de Tofas (filiale de Fiat) à Bursa quand ils ont appris le résultat des négociations salariales entre le patronat de la métallurgie et le syndicat officiel. Ce dernier venait d’accepter, contre toute promesse, une augmentation de 43 % des salaires alors que l’inflation annuelle est de l’ordre de 90 à 110 %. Lorsque le dirigeant de Metal Is, Özbek, est venu annoncer la nouvelle aux travailleurs de l’usine Renault de Bursa, il ne s’attendait sûrement pas à un tel comité d’accueil : il s’est fait jeter dehors et il peut remercier la vivacité de la police turque de s’en être tiré sans plus de mal. Aussitôt Renault a fermé l’usine et a donné " des congés " aux salariés. Renault-Turquie, dont le principal partenaire est Oyak, la mutuelle de l’armée turque, n’est généralement pas du genre à laisser s’exprimer la colère de ses salariés.

La contestation, partie de Renault, a touché Tofas rapidement, puis s’est étendue à d’autres villes, notamment à Istanbul puisque l’accord concerne environ 100 000 travailleurs au total. Il y a eu des grèves et des manifestations, puis dans les usines les plus mobilisées, notamment chez Renault et Tofas, les travailleurs ont décidé de quitter le syndicat Metal Is… ce qui n’est pas chose anodine en Turquie. En effet, véritable syndicat officiel, les travailleurs y sont affiliés automatiquement. Ils ont du s’affronter avec la police pour aller chercher le notaire capable d’enregistrer leur démission ! Puis ils ont adhéré à un autre syndicat, avec l’idée de lui faire renégocier les augmentations salariales.

Du coup, la réaction du patronat ne s’est pas faite attendre : plus de 600 travailleurs contestataires ont été licenciés à Bursa, dont 500 par Tofas et 20 par Renault. Renault et Fiat se sont implantés en Turquie pour bénéficier de tous les avantages du pays à leurs yeux : bas salaires, conditions de travail de surexploitation et une population prise en main par le pouvoir militaire et ses relais dans les syndicats. Alors, ils en profitent tant et plus. Mais pour l’instant ces licenciements n’ont pas suffi à faire taire la contestation puisque ce sont près de 18 000 travailleurs au total qui ont démissionné de Metal Is et qui continuent à réclamer les augmentations de salaires minimum pour ne pas tomber dans la misère.