éditorial



Le mépris des pauvres, l'indifférence à la souffrance, la logique sans pitié de la société de classe

Nous avons tous été émus et choqués par les souffrances, le désarroi et l'accablement des populations des pays touchés par le cyclone Mitch, dont principalement le Honduras et le Nicaragua. Plus de 30 000 morts, 3 millions de personnes sinistrées pour la plupart sans abri, menacées par la famine et les épidémies, condamnées à tenter de survivre dans des villes dévastées ou des villages le plus souvent détruits.

Le plus insupportable de toutes les images et les scènes que rapporte la télévision, est de voir ces enfants, ces femmes, ces hommes, dans l'abandon le plus total.

Le Honduras et le Nicaragua sont deux des pays parmi les plus pauvres du monde, victimes du pillage de leurs richesses par les grandes puissances occidentales. Ils ont été réduits à n'être que de grandes plantations de bananes ou de café, pour satisfaire les besoins des grandes compagnies essentiellement américaines, en leur fournissant une terre riche et une main d'œuvre quasiment gratuite avec la complicité des dictatures à leur solde pour lesquelles elles ont su dépenser sans compter.

Aujourd'hui, les populations pauvres sont victimes de l'indifférence de ceux qui les ont exploitées et soumises.

Devant l'émotion suscitée par la passivité des Etats, une campagne de solidarité a été lancée. Cet appel à la solidarité ne peut répondre aux besoins immédiats et urgents des populations abandonnées, c'est-à-dire des hélicoptères, des avions, des bateaux, des pompes, tout ce dont les armées du monde entier ont à profusion et en particulier celle de leur plus proche voisin, les Etats-Unis. Sans ces moyens, dans ces pays sous équipés, l'aide est paralysée. Tous le savent. Tous savent qu'il est déjà trop tard.

Mais les mêmes chefs d'Etat qui sont prêts à mobiliser en quelques jours leurs armées pour faire la guerre contre un pays dont le tort essentiel est qu'il ait osé défier leur arrogance et leur prétention à imposer leur loi, sont aujourd'hui indifférents au point de n'avoir fourni après le cyclone qu'une aide dérisoire.

Les chefs des grandes puissances assassinent une nouvelle fois ces peuples qu'elles ont spoliés.

On parle d'un " plan Marshall " d'aide, que revendiquent les chefs d'Etat des pays dévastés. On en parle d'autant plus que les uns et les autres veulent masquer leur incurie et leur indifférence devant les souffrances des populations. Seule les intéresse la suite, la reprise des affaires.

Jospin a annoncé que la France allait annuler ou alléger la dette des quatre pays les plus touchés par le cyclone et " engager une initiative multilatérale pour demander à l'ensemble des pays créanciers de ces pays d'accélérer les opérations d'allégement de la dette et de mettre en œuvre un moratoire pour les prochaines années. "

Proposition d'autant plus hypocrite qu'elle ne touche guère aux intérêts français et qu'elle vient juste à temps pour tenter vainement de masquer la passivité des grands Etats dont la France elle-même.

Jospin est spécialiste des déclarations ronflantes et pompeuses pour faire diversion et poser au champion des grandes causes alors que la seule grande cause qu'il connaît, c'est la sienne, celle de sa carrière, toute vouée au service des puissants et des riches.

C'est dans ce même souci que la semaine dernière, à l'occasion de l'anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, cette boucherie où les peuples furent sacrifiés aux intérêts des grands financiers français, anglais ou allemands, Jospin a réhabilité les mutinés de 1917, en particulier ceux de Craonne, lors de la bataille du Chemin des dames, et demandé à ce qu'ils soient " réintégrés à la mémoire collective ". Certes, ces propos tranchent avec l'attitude de Mitterrand allant fleurir la tombe de Pétain, un des principaux responsables des fusillades pour l'exemple. Mais ce geste de Jospin a surtout pour fonction de le poser en leader de la future Europe que les capitalistes veulent construire. Il vise aussi à dénaturer le sens et la portée universelle du geste des mutinés, de ceux qui disaient d'eux-mêmes dans leur chant, la " chanson de Craonne ", " nous sommes les sacrifiés ", et qui se dressaient pour refuser cette injustice qui est au cœur de la société de classes où une minorité se joue de la vie des hommes pour défendre dans les guerres économiques et militaires leur sordides intérêts de parasites.

Les mutinés de l'année 17 étaient les frères d'armes de leurs camarades allemands comme des travailleurs et des paysans russes qui, avec le parti de Lénine et Trotsky, s'emparèrent du pouvoir pour mettre fin à cette guerre infâme. Victimes de la répression, des fusilleurs, et de la coalition que firent les grandes puissances contre eux, avec la complicité des partis socialistes, les mutinés et les révoltés de l'année 17 ne purent en finir avec cette société de classes dont aujourd'hui sont victimes les milliers de morts et les millions de sinistrés du Honduras et du Nicaragua.

Jospin peut essayer de réhabiliter pour son propre compte les mutinés et les révoltés, il ne pourra empêcher les forces d'une nouvelle révolution de naître pour en finir avec la misère et l'insupportable indifférence des classes privilégiées.

 

Nouvelle Calédonie : les travailleurs répondent Non au chômage et à la misère

Le référendum sur l’accord de Nouméa signé le 5 mai dernier par le gouvernement français, les représentants du FLNKS (indépendantistes canaques) et du RPCR de Lafleur (parti d’européens caldoches) a eu lieu dimanche 8 novembre en Nouvelle-Calédonie. Il a remporté un oui massif : 71,87 %. Le taux d’abstention a été moins élevé que lors du précédent référendum (25,76 % contre 36,63 % en 88). Les motivations pour voter oui sont sans doute très diverses. La population canaque y a vu des concessions correspondant sans doute à une aspiration de voir les problèmes se régler sans bain de sang, ce qui se comprend même si elle ne se fait pas forcément d’illusion sur le fait que cela va résoudre ses problèmes fondamentaux.

Jospin se sert de ces résultats comme faire-valoir, se faisant passer pour le champion de la réconciliation entre les peuples. Il veut faire oublier la répression exercée pendant des années par l’Etat colonial français, le massacre de la grotte d’Ouvéa qui avait fait 19 morts. Il se garde bien de dire que c’est la révolte de la population pauvre canaque dans les années 80 qui a contraint l’Etat français à négocier. Et cet accord sert avant tout à désamorcer une situation explosive. Les indépendantistes du FLNKS se satisfont d’une promesse d’indépendance. Les bourgeois caldoches qui ont appuyé le RPCR préfèrent un accord à l’amiable qui préserve leurs intérêts. Les européens conservent en effet le contrôle de la province Sud et de la capitale Nouméa où se concentrent les principales richesses. Il est prévu un transfert progressif de pouvoirs de la France à la Nouvelle-Calédonie sur 15, 20 ans. A la fin de cette période transitoire, la population de l’archipel devra dire par référendum si elle veut ou non l’indépendance complète.

Mais l’important n’est pas de savoir ce qui se passera dans 15 ou 20 ans. Pour tous les pauvres de Nouvelle-Calédonie, le problème bien présent est de savoir comment lutter contre la misère, le chômage. Les travailleurs de l’archipel n’ont pas attendu pour répondre de la bonne façon aux promesses illusoires des uns et des autres. En effet, le territoire de la Nouvelle-Calédonie a connu une semaine sociale marquée par le blocage du port de Nouméa par les dockers et une grève générale dans l’ensemble des sociétés minières qui extraient le nickel. Le nickel fait vivre près de 4000 familles en Nouvelle-Calédonie. Or, tout le secteur minier est en récession suite, entre autres, à la crise asiatique qui frappe le Japon, principal acheteur du minerai calédonien. Toutes les sociétés minières veulent baisser les coûts de production par des réductions d’effectifs. Les mineurs demandent depuis plusieurs années la mise en place d’une caisse de compensation qui permettrait d’engranger de l’argent pendant les années fastes pour en disposer pendant les périodes de crise et leur assurer de quoi vivre. Cela leur a toujours été refusé. Lundi 9 novembre, le syndicat majoritaire dans le secteur minier a déclenché un mouvement de grève générale sur l’ensemble des mines. Quant aux dockers de Nouméa, indépendamment des rivalités entre appareils syndicaux du port, ils sont menacés par la réforme de la manutention portuaire et demandent une mensualisation de leur salaire. Ils ont bloqué les accès au port jusqu’au jeudi 5 novembre et les forces de l’ordre sont intervenues pour débloquer la zone portuaire. En représailles, les travailleurs du port voulaient bloquer les accès à la capitale et c’est encore l’intervention de la police qui a empêché la paralysie complète de Nouméa.

Derrière le grand mot de réconciliation mis en avant par le gouvernement français se cache la réalité d’une société divisée entre exploiteurs et exploités. Ces derniers montrent la voie à suivre, préparer leur émancipation et celles de tous les pauvres de Calédonie en se battant contre leurs exploiteurs et en ne comptant que sur eux-mêmes.

 

Le Havre : le grand écart de la CGT entre la défense des A.C.H. et le soutien au gouvernement

Mercredi 4 novembre, les travailleurs des A.C.H. étaient appelés par la CGT à se rendre au siège social de Delmas. Cette entreprise, actionnaire à 30 % des A.C.H., est la propriété du milliardaire Bolloré, à la tête du groupe qui porte son nom, qui empoche de confortables profits. Cette brève occupation du siège a mis du baume au cœur des 250 salariés qui y ont participé. D’autant plus qu’il y a eu une escapade non prévue au programme : la direction se réunissait dans les salons d’un hôtel " 3 étoiles " voisin. Des manifestants, sans doute beaucoup mieux informés que la direction du syndicat des chantiers, l’ont appris et ont proposé un détour par l’hôtel. Les travailleurs, qui n’ont jamais eu aucun moyen de contrôle sur les aides versées aux patrons, sur la gestion de l’entreprise par les directions passées et actuelles, ni sur les décisions qui sont prises au-dessus de leurs têtes, pouvaient croire à juste titre qu’on leur préparait, en douce, un mauvais coup. Alors le directeur, présent, a été sommé de s’expliquer. Il a expliqué qu’en cas de débrayage, la direction se réunirait à l’hôtel Mercure, histoire de " ne pas faire de provocation ", appelant les travailleurs à se retrousser les manches pour finir le premier chimiquier commandé, car " si le chantier n’est pas livré le 15 mars (1999), ce sera une responsabilité collective ". Son culot a reçu les huées et les sifflements qu’il méritait. En tous cas, sur l’idée que " la livraison des chimiquiers est essentielle pour l’avenir des chantiers ", la CGT est en phase avec lui, et pour 10 heures, il a fallu réintégrer le chantier : le débrayage était prévu de 7h30 à 10h00.

Le Front National a couvert l’agglomération du Havre d’une affiche jaune non signée qui proclame " gouvernement PC-PS : trahison ". Ces affiches suscitent un malaise, mais les travailleurs des chantiers ne peuvent pas se sentir solidaires du gouvernement de licencieurs pluriels. Par contre, ils sont à juste titre solidaires de leurs camarades socialistes et communistes, menacés comme eux de licenciements. C’est pourquoi la venue de Mégret à la porte des A.C.H. vendredi 6 a été ressentie comme ce qu’elle était : une provocation et une menace. Cette venue surprise, encadrée par une trentaine de sbires a été accueillie comme elle le méritait : par des invectives de travailleurs et de militants. Dans son tract, Mégret s’en prend au gouvernement et a le culot de proclamer le F.N. nouveau " parti des travailleurs ". Personne n’est dupe de la manœuvre du parti du milliardaire Le Pen. Mais quand il somme les ministres communistes de " démissionner si la fermeture est confirmée ", il sème le trouble. Et quand il parle de mondialisation, de l’Europe comme responsables de la situation des A.C.H., quand il évoque " les milliards du FMI versés pour les chantiers navals coréens ", il ne fait que reprendre le poison du nationalisme déjà distillé par la C.G.T. et le PC eux-mêmes, qui sont de fait mal placés pour contrer sur ces terrains les arguments du F.N.

Mais les travailleurs prennent connaissance d’autres idées, celles des révolutionnaires. Un tract commun LCR-VDT, distribué à la porte des A.C.H. et au meeting de Viannet se termine ainsi : " La seule solution possible pour " zéro licenciement ", c’est la nationalisation sans indemnité ni rachat. Mais cette nationalisation ne peut être efficace que si nous, les travailleurs, participons à la réorganisation de l’entreprise, au contrôle des recettes et des dépenses, au choix des chantiers ! Car nous seuls sommes capables de savoir ce qui est bon pour nous et la population et c’est la seule garantie de ne pas nous laisser mener dans des impasses. Gageons que nous ferions mieux que ce qui a été fait jusqu’à maintenant ! Pour ne pas subir les lois de l’économie capitaliste, nous devrons imposer notre contrôle sur la gestion de l’entreprise. Pour ne pas subir l’impasse de l’union sacrée, c’est à nous de contrôler nous-mêmes l’avenir de notre lutte. C’est ainsi que nous pourrons obtenir le plus grand soutien du monde du travail, des chômeurs, des jeunes. "

Le meeting de Viannet a rassemblé 1000 personnes environ à la gare maritime, regroupant essentiellement le milieu militant syndical et politique de l’agglomération. Un intervenant de la CGT s’est félicité de la politique d’union sacrée " Le Havre derrière sa navale ", qui a permis d’éviter " les réactions épidermiques des salariés ", " de mener la lutte tout en continuant les chantiers en cours ", ce qui aurait selon lui valu aux salariés " l’unité des élus politiques locaux et son élargissement " (à qui ? aux élus FN ?), mais surtout " le respect du ministère de l’industrie " ! Les salariés des A.C.H. ont dû apprécier cette allusion à Christian Perret, ministre de l’industrie, co-décideur avec Strauss-Kahn de la fermeture des chantiers. Du discours de Viannet on retiendra qu’il déplore que les aides du patronat soient versées sans contrôle… des C.E., que " Le Havre a des atouts ", que " la France a des atouts "… et les travailleurs ? Car si lui, comme d’autres, parle d’enjeu national, c’est pour tourner le dos à un " tous ensemble " des travailleurs de l’agglomération contre les licenciements et pour la nationalisation des A.C.H., ce qui serait un début de riposte à la hauteur des enjeux. Pourtant, la seule présence dans la salle de salariés de De Carbon, venus tout exprès de l’Eure, la présence d’une délégation des sans-papiers, mais aussi l’existence de toute une série de luttes partielles dans l’agglomération, tout cela pourrait rendre cette politique concrète.

Le meeting s’est terminé sur un appel à une nouvelle manifestation au Havre, samedi 21 novembre.